Décision No. 1/2025
Décision
Recours:
- no 10/R, reçue en date du 9/12/2024.
- no 11/R, reçue en date du 12/12/2024.
- no 12/R, reçue en date du 17/12/2924.
- no 13/R, reçue en date du 18/12/2924.
Objet des recours : La loi n° 327/2024 du 4/12/2024 visant à modifier l'article 2 du décret-loi n° 150/1983 et ses modifications (Loi organisant les juridictions judiciaires), publiée dans le supplément n° 49 du Journal officiel du 5/12/2024.
Le Conseil constitutionnel, réuni en son siège le 7 décembre 2025, sous la présidence de son président, le juge Tannous Mechleb, en présence des membres: Aouni Ramadan, Akram Baassiri, Albert Sarhan, Riad Abou Ghida, Fawzat Farhat, Michel Tarazi, Elias Mecherkani et Mireille Najm.
Et en l'absence du vice-président, le juge Omar Hamze, en raison de son hospitalisation.
Après lecture du recours et du rapport,
Après examen et délibération,
Il apparaît que les députés suivants : Halima El Kaakour, Charbel Massaad, Cynthia Zarazir, Elias Jaradi, Imad El Hout, Nabil Badr, Adib Abdel Masih, Mark Daou, Fouad Makhzoumi , Michel Dwaihi et Bilal Al Hshaimi, ont soumis le 9 décembre 2024 un recours enregistré au greffe du Conseil constitutionnel sous le n° 10/R/2024, en contestation de la loi n° 327/2024 du 4/12/2024, publiée dans le supplément numéro 49 du Journal Officiel du 12/5/2024, et ont requis la réception du recours dans la forme, la suspension de l'effet de la loi contestée, sa réception dans le fond, et de rendre la décision finale en annulation de la loi.
Ils ont allégué qu’en date du 8 octobre 2024, le député Ali Hassan Khalil a soumis une proposition de loi revêtue de la double urgence, visant à modifier l'article 2 du décret-loi n° 150 du 16/09/1983 et ses modifications (loi relative aux juridictions judiciaires). La proposition de loi se limitait initialement à un seul alinéa prévoyant que la disposition suivante sera ajoutée à l'article susmentionné relatif à la composition du Conseil supérieur de la magistrature : « À l'expiration du mandat, et sauf en cas d'atteinte de l'âge légal, les membres dont le mandat est expiré continueront à exercer leurs fonctions jusqu'à ce que leurs remplaçants soient nommés et qu'ils prêtent le serment mentionné à l'article 3 du présent décret-loi ».
Lors de la séance prévue pour discuter la proposition de loi, ils ont été surpris de voir qu’elle avait été modifiée. Ensuite, certains députés ont soulevé la question de l’absence aux séances du Conseil supérieur de la magistrature du procureur général près la Cour de cassation par intérim, et certains ont souligné la nécessité de sa présence. Le député Ali Hassan Khalil a déclaré par ailleurs qu'il était nécessaire de résoudre la question du procureur financier.
Le président de la Chambre des députés aurait ensuite soumis la proposition au vote, sans que les députés ne comprennent bien sur quoi se déroulait le vote, en raison de l'ambiguïté régnant sur les débats. Il ressort de la page 18 du procès-verbal de la séance parlementaire que le député Ali Hassan Khalil avait lu la proposition soumise au vote, qui comprenait les deux premiers alinéas de la loi contestée, en plus d'une phrase qui est apparue curieusement à la fin de la proposition : « et une prolongation pour une période de six mois pour les juges qui atteignent l’âge de la retraite », sans aucune autre précision, ce qui indique que le troisième alinéa a été ajouté après la séance, et qu'il n'a pas été voté, ni qu’il a été procédé au vote par appel nominal, comme il a été indiqué dans le procès-verbal, et que lors du vote à main levée, la proposition a été approuvée sans compter les mains levées, bien que certains députés aient exigé de connaître le résultat du vote, et ont réclamé que le vote se fasse de nouveau soit par levé ou assis, soit par appel nominal.
Après la séance, ils ont été surpris par le fait que le contenu de la version finale, telle que divulguée par les médias, soit complètement différent de celui de la proposition initiale, puisqu'il y est indiqué : « Le mandat des juges qui atteignent l'âge de la retraite entre le 15/03/2025 et le 15/05/2026, et dont la désignation à leur poste exige un décret pris en Conseil des ministres, est étendu de six mois à compter de la date d'atteinte de l'âge de la retraite ». Puis ils ont été à nouveau surpris par la modification du texte envoyé au Conseil des ministres pour promulgation, dans lequel la date du15/03/2026 est remplacée par celle du 15/05/2026.
Ils ont argué que, dans la forme, leur recours est soumis dans le délai légal et remplit toutes les conditions de forme et que, au fond, la loi contestée devait être annulée pour les raisons suivantes :
1-La méconnaissance des règles de procédure législative constitutionnelles, notamment l'article 36 de la Constitution.
2-La méconnaissance des règles de procédure législative constitutionnelles, notamment l'article 34 annexé à l'article 18 de la Constitution.
3-La méconnaissance de la formalité obligatoire de consultation du Conseil supérieur de la magistrature, et ainsi de violer l’alinéa (E) du préambule de la Constitution et son article 20.
4-La méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs consacré à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution par l'empiétement du pouvoir législatif sur les prérogatives du pouvoir exécutif dans le premier alinéa de la loi contestée.
5-La méconnaissance des principes d'égalité en droits et devoirs entre tous les citoyens sans distinction ni préférence, d'égalité devant la loi et d'égalité dans l'exercice des fonctions publiques, tels que consacrés à l’alinéa (C) du préambule et aux articles 7 et 12 de la Constitution, ainsi que le principe de non-discrimination consacré à l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, joints à l’alinéa (B) du préambule de la Constitution.
6-L’atteinte à l'indépendance de la justice et au principe de séparation des pouvoirs, consacrés à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution et à son article 20.
7-Le troisième alinéa de la loi contestée est contraire au principe d’intelligibilité et de clarté de la loi.
A l'issue de leur recours, ils ont réitéré leurs demandes de réception dans la forme et de suspension de l'effet de la loi contestée, puis ont demandé au Conseil de déclarer sa nullité après avoir vérifié la véracité des faits exposés en écoutant l’enregistrement audio des débats parlementaires.
Le 12/11/2024, une lettre a été envoyée à la Présidence de la Chambre des députés requérant de remettre au Conseil constitutionnel une copie du procès-verbal des débats relatifs à la loi contestée, ainsi qu’une copie de l'enregistrement audio, et les deux exemplaires ont été reçus le 12/12/2024 et déposés au dossier.
En date du 12/12/2024, les députés : Gebran Gergi Bassil, César Raymond Abi Khalil, Salim Georges Aoun, Asaad Dergham, George Naim Atallah, Nicolas Sehnaoui, Charbel Maroun, Samer Assaad El-Thom, Nada El-Boustani et Jimmy Jabour ont soumis un recours en contestation de la loi, enregistré au greffe du Conseil à la date de réception sous le n° 11/R/2024, en vertu duquel ils ont à leur tour demandé la réception du recours dans la forme, la suspension de l'effet de la loi, la réception du recours dans le fond et l’annulation de la loi. Ils ont invoqué les motifs suivants :
1-La violation des procédures substantielles régissant le vote des lois, en vertu de l'article 36 de la Constitution.
2-La violation des dispositions de l'article 18 de la Constitution en ne dévoilant pas les résultats du vote, en sus de son article 34.
3-La violation du principe de séparation des pouvoirs énoncé à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution en empiétant sur les pouvoirs des autorités exécutives et judiciaires.
4-La violation du principe de non-rétroactivité des lois en réactivant la nomination des juges dont le mandat a expiré le 14/10/2024, et ce sans justification.
5-La violation du principe d'irrévocabilité d'une garantie légalement établie.
6-La violation du principe de généralité et d'abstraction de la loi et l'invalidité de la loi faite à la mesure de personnes déterminées.
7-La violation du principe d'égalité.
En date du 16/12/2024, une décision a été rendue par l'Assemblée plénière sous le n° 8/2024, ordonnant de recevoir le recours n° 11/R dans la forme et de le joindre au recours n° 10/R, afin de procéder à l’examen des deux recours ensemble. La décision n° 9/2024 a été également rendue, avec pour effet de suspendre la loi contestée jusqu'à ce qu'il soit statué sur les deux recours.
En date du 17/12/2024, les députés : George Adwan, Ghassan Hasbani, Melhem Al-Riachi, Fadi Karam, Ziad Hawat, Ghada Ayoub, Elias Stephan, Said El-Asmar, Elias El-Khoury, Razi El-Hajj, Sitrida Geagea, Pierre Abou Assi, Camille Georges Okais, Antoine Habchi, Ghayath Yazbek, Jihad Pakradouni, Nazih Matta et Chawki El-Daccache ont soumis un troisième recours contre la loi susmentionnée, enregistré au greffe du Conseil sous le numéro 12/R à la date de sa réception, en vertu duquel ils ont exposé les faits tels que mentionnés dans la requête n° 10/R, et ont demandé la réception du recours dans la forme, la suspension de l’effet de la loi, la réception du recours dans le fond, en annulant la loi soit totalement, soit partiellement, en annulant ses deuxième et troisième alinéas. Ils ont invoqué les motifs suivants :
1-La violation des dispositions de l'article 36 de la Constitution.
2-La violation des dispositions de l'article 20 de la Constitution et du principe de l'indépendance de la justice.
3-La violation des dispositions de l’alinéa (E) du préambule de la Constitution et du principe de séparation des pouvoirs.
4-La violation du principe d’intégralité et d’abstraction de la loi, par l’élaboration d’une législation dans l’intérêt de certaines personnes, et les déviations législatives.
5-Dans tous les cas, l’annulation partielle de la loi contestée, en invalidant les deuxième et troisième alinéas, pour ne pas être accompagnés de l’exposé des motifs.
En date du 18/12/2024, les députés : Paula Yacoubian, Ibrahim Mneimneh, Yassin Yassin, Ghassan Skaf, Ihab Matar, Michel Daher, Farid El-Boustani, Melhem Khalaf, Najat Aoun Saliba et Firas Hamdan, ont soumis un quatrième recours contre la loi susmentionnée, enregistré au greffe du Conseil sous le n° 13/R/2024 à la date de sa réception. Ils ont, à leur tour, demandé de recevoir le recours dans la forme, de suspendre l'effet de la loi, d’accepter le recours dans le fond et de rendre la décision en annulation de la loi. Ils ont avancé les motifs suivants :
1-La violation des dispositions de l'article 36 de la Constitution.
2-La violation de la formalité substantielle consistant dans l’obligation de solliciter l'avis du Conseil supérieur de la magistrature à son sujet, et que le Conseil constitutionnel avait considérée comme consacrant la garantie stipulée à l'article 20 de la Constitution, et le principe d'indépendance et de coopération des pouvoirs constitutionnels énoncé à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution.
3-La violation des dispositions des articles 18 et 51 de la Constitution en promulguant et publiant la loi contrairement à la version approuvée par la Chambre des députés, notamment en ce qui concerne le troisième alinéa de son article unique, qui n'a pas été approuvé par la Chambre des députés.
4-La loi contestée viole les dispositions de l'article 20 de la Constitution et le principe de l'indépendance de la justice, qui a valeur constitutionnelle, en portant atteinte et en affaiblissant les garanties imposées dans ce domaine, notamment en ce qui concerne la composition et le travail du Conseil supérieur de la magistrature.
5-La loi contestée viole le principe d'égalité consacré à l'alinéa C du préambule de la Constitution et à son article 7.
6-La loi contestée s'écarte des règles et procédures de législation consacrés par la doctrine et la jurisprudence, ce qui en fait une législation falsifiée et viciée de déviation législative et d'erreur flagrante, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
7-Les premier et troisième alinéas de l'article unique de la loi contestée violent le principe de séparation, d'équilibre et de coopération énoncé à la Constitution, notamment entre les deux pouvoirs législatif et exécutif.
En date du 23/12/2024, il a été décidé de recevoir les deux recours n°12 et 13/R/2024 dans la forme et de les joindre au recours présent, c'est-à-dire au recours n°10/R/2024, et de procéder à leur examen ensemble.
Sur base de ce qui précède
Premièrement - Dans la forme :
Le premier recours n° 10/R/2024 étant soumis dans le délai légal, signé par le nombre de députés requis et remplissant les autres conditions de forme, il est reçu dans la forme, en précisant que les recours qui y ont été joints, en l’occurrence les numéros 11, 12 et 13/R/2024, ont été reçus dans la forme dans les décisions dejonction.
Deuxièmement - Au fond :
Considérant que les motifs qui fondent les recours se répartissent en deux catégories, les premiers étant relatifs à la violation des procédures législatives et les seconds à la violation du contenu de la loi contestée à la Constitution, ces motifs seront examinés respectivement :
1- Les motifs relatifs à la violation des procédures constitutionnelles de législation :
A- La violation des articles 18, 34, 36 et 51 de la Constitution :
Considérant que les requérants allèguent tous que la loi contestée a été adoptée en violation des procédures législatives spécifiées dans la Constitution, notamment ses articles 18, 34, 36 et 51,
Considérant que le contrôle du Conseil constitutionnel sur tout texte législatif qui lui est soumis ne se limite pas à l’examen de la conformité du contenu de ce texte à la Constitution, mais s'étend à l'examen des vices d'inconstitutionnalité susceptibles d'entacher les procédures de législation prévues dans la Constitution ou les règles générales prévues à son préambule ou dans son corps, encore appelé le contrôle externe des lois,
Considérant que l'article 36 de la Constitution prévoit explicitement les modalités de vote à la Chambre des députés, comme suit :
« Les votes sont émis à haute voix ou par assis et levé sauf quand il s'agit d'élection, auquel cas, le scrutin est secret. Sur l'ensemble des lois et sur la question de confiance on vote toujours par appel nominal et à haute voix »,
Considérant que le texte de l'article 36 a pour objet le vote de la question de confiance et des lois en toute transparence afin de préserver le principe de publicité des séances parlementaires prévu à l'article 35 de la Constitution, qui permet de vérifier la formation de la majorité constitutionnelle requise pour voter les lois et conduit à informer les électeurs de l’action des députés individuellement,
Considérant que la règle énoncée à l'article 36 est une formalité substantielle qui exclut toute exception en raison de la présence du terme « toujours » dans le texte constitutionnel, elle constitue une condition nécessaire au contrôle et à la responsabilisation dans les régimes démocratiques parlementaires, et a été adoptée par le Règlement intérieur de la Chambre des députés dans ses articles 78 et 85,
Considérant que la méconnaissance ou la violation de cette règle substantielle entraîne la nullité du vote, cette nullité s'étendant à la loi, qui est susceptible d’invalidation lorsqu’elle est dûment contestée (Décision du Conseil constitutionnel n° 20/2019 du 6 mars 2019),
Considérant que les lois sont adoptées à la majorité des voix des députés conformément aux dispositions de l'article 34 de la Constitution, et qu’aucune loi ne peut être publiée sans être votée par la Chambre des députés, conformément aux dispositions de l'article 18 de la Constitution,
Considérant que la Constitution prévoit la majorité requise pour le quorum des séances de la Chambre des députés et pour la prise de décisions sur chacune des questions qui lui sont soumises, y compris les lois ordinaires et les lois constitutionnelles, ce qui signifie que ce nombre a un caractère déterminant dans la prise de décision et l'élaboration des lois, ce qui constitue la norme dans les régimes démocratiques, et que les dispositions de l'article 36 de la Constitution s'inscrivent dans ce contexte et sont fondamentalement liées à la nature du régime démocratique parlementaire prévu à la Constitution,
Considérant que l'article 51 de la Constitution dispose ce qui suit :
« Le Président de la République promulgue les lois dans les délais fixés par la Constitution après leur approbation par la Chambre des députés, et en demande la publication. Il ne peut les modifier ni dispenser de se conformer à leurs dispositions. »,
Considérant qu'il ressort des dispositions de l'article 51 qu'il prohibe la promulgation et la publication de la loi contrairement à sa version littérale telle qu’approuvée par la Chambre des députés, que ce soit par ajout, retrait ou modification de quelque manière que ce soit,
Considérant que de retour au procès-verbal de la séance des débats de l'Assemblée générale de la Chambre des députés, et en le comparant à l'enregistrement audio de la même séance, reçu de ladite Chambre, il apparaît clairement que la proposition de loi qui a été lue par le député Ali Hassan Khalil, avant que le président de la Chambre ne la soumette au vote, n'a pas été discutée dans la forme lue, ni dans sa version finale publiée au Journal officiel, sachant que ces deux versions diffèrent également entre elles. Le texte soumis au vote comprenait les deux premiers alinéas de la loi contestée en plus d'une phrase qui figurait à la fin de la proposition, à savoir « ... et une prolongation d'une période de six mois pour les juges qui atteignent l’âge de la retraite », sans aucune précision sur la date à laquelle ils atteignent l'âge de la retraite, et ceci contrairement au texte du troisième alinéa de la loi contestée qui dispose que cette prolongation ne bénéficie qu'aux juges dont la nomination à leurs fonctions nécessite un décret pris en Conseil des ministres, et qui atteignent l’âge de la retraite entre le 15 mars 2025 et le 15 mai 2026,
Considérant qu'en outre, il ne semble pas que cette proposition ait recueilli la majorité des voix, puisque lors du vote à main levée, un certain nombre de députés ont contesté le mode de vote et le nombre de mains levées, de sorte qu’ils ont demandé au président de la Chambre des députés de procéder à nouveau au vote par appel nominal conformément à l'article 36 de la Constitution et à l'article 88 du règlement intérieur du Parlement. Le Président a approuvé leur demande et a procédé au vote par appel nominal, mais il ressort clairement de l'enregistrement audio que l'appel s’est limité à déclamer les noms suivants : « George Adwan, Strida Geagea, Ghassan Hasbani, Pierre Bou Assi, Elias Stephan, Elie Khoury, Melhem Riachi, Said El Asmar, Nabil Badr, Razi El-Hajj, Jihad Pakradouni, Nazih Matta », sans attendre leur réponse. Un certain nombre de députés se sont opposés à cette méthode, puis la voix du président du Conseil s'est fait entendre disant : « Approuvé » coupant le chaos qui a accompagné le début du processus de vote par appel. Cela a été suivi de nombreuses objections au milieu d’un tumulte, et des voix ont été entendues s’interrogeant sur le sort de la loi et sur le résultat du vote par appel. Certains députés ont également demandé que leur objection soit enregistrée dans le procès-verbal, en notant que la seule objection du député Jamil El-Sayed y a été inscrite,
Considérant qu’il apparaît clairement que le nombre de députés dont le nom fut déclamé n'excède pas douze, et que ces mêmes députés n’ont pas approuvé la loi, d'autant plus qu'ils faisaient tous partie des requérants qui l’ont contestée dans le cadre du recours n° 13/R/2024,
Considérant que l'adoption de la loi est contraire aux procédures de législation énoncées aux articles 18, 34, 36 et 51 de la Constitution, ainsi qu'aux principes et règles qui fondent le régime démocratique parlementaire au Liban, notamment ceux consacrés aux alinéas (C) et (D) du préambule de la Constitution et au principe de clarté des débats parlementaires, qui a valeur constitutionnelle et qui découle du principe de souveraineté populaire énoncé dans les deux alinéas susmentionnés, qui est considéré comme une expression du principe démocratique au Liban, ce qui nécessite par conséquent l'annulation de l'intégralité de la loi pour ce motif.
B- Le motif relatif au défaut de consultation du Conseil supérieur de la magistrature et, par conséquent, la méconnaissance de l’alinéa (E) du préambule de la Constitution et son article 20 :
Considérant que l'article 20 de la Constitution énonce que « Le pouvoir judiciaire fonctionnant dans les cadres d'un statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés. La loi fixe les limites et les conditions de l'inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l'exercice de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du Peuple libanais. »,
Considérant que l'article 5 de la loi relative à l’organisation des juridictions judiciaires, (décret-loi n° 150 du 16/09/1993 et ses modifications), dispose dans la clause « g » que le Conseil supérieur de la magistrature est chargé d’émettre un avis sur les projets de loi et de règlements relatifs aux juridictions judiciaires,
Considérant que le projet de loi n'a pas été envoyé au Conseil supérieur de la magistrature pour avis, comme le prouve le procès-verbal de la séance, dont il ressort que le député George Adwan a souligné à deux reprises la nécessité de respecter l’obligation de consultation du Conseil avant d'examiner toute proposition de loi liée aux juridictions judiciaires, ainsi qu’il ressort également de la déclaration du président du Conseil supérieur de la magistrature, le juge Suhail Abboud, datée du 2 décembre 2024, et diffusée dans les médias, en vertu de laquelle il a explicitement déclaré que la loi avait été approuvée sans l'avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature, et dont une copie est jointe au recours n° 10/R,
Considérant que le fait de solliciter l'avis du Conseil supérieur de la magistrature dans le processus législatif lorsque le texte est relatif à l'organisation des affaires de la justice et des juges, est considéré comme une consécration du principe de l'indépendance de la justice à valeur constitutionnelle, et qui représente l'un des aspects du principe de séparation des pouvoirs, énoncé à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution,
Considérant que l’avis susmentionné n'est pas une simple procédure formelle prévue par la loi, mais une formalité substantielle qui consacre l'une des garanties judiciaires prévues à l'article 20 de la Constitution,
V. Conseil constitutionnel, décision n°23/2019 du 9/12/2019 (le budget général et les budgets annexes pour l’année 2019) :
« En sus de considérer l'article 89 contesté, à l'exclusion de ce qui précède, comme un cavalier budgétaire, cet article a omis une formalité substantielle qui réside dans l'obligation de solliciter l'avis de chacun du Conseil supérieur de la magistrature, du Bureau du Conseil d'État et du Bureau de la Cour des comptes, dans les projets de lois et de règlements relatifs au pouvoir judiciaire... »,
Considérant que la formalité substantielle susmentionnée ne se limite pas à une simple consultation des organes susmentionnés dans les projets de lois et de règlements relatifs au pouvoir judiciaire, mais constitue une consécration de la garantie judiciaire inscrite à l'article 20 de la Constitution ainsi qu'au principe de séparation et de coopération des pouvoirs constitutionnels, énoncé à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution,
Considérant que l’adoption de la loi contestée, qui comprend des modifications à la loi portant sur les juridictions judiciaires relatives à la composition et au mandat du Conseil supérieur de la magistrature, et modifie l'âge de la retraite de certains juges, sans solliciter l'avis du Conseil supérieur, constitue une violation de la Constitution et doit être annulée pour ce motif.
C - Motif relatif à l’annulation des deuxième et troisième alinéas de la loi pour défaut d’annexion de l’exposé des motifs :
Considérant que les requérants dans la Recours n° 12/R demandent, à titre subsidiaire, l'annulation partielle de la loi contestée, en invalidant les deuxième et troisième alinéas, au motif qu’ils ne sont pas accompagnés d’un exposé des motifs,
Considérant que l'article 6 de la loi n° 28/2017 sur le droit d'accès à l'information dispose que « l’exposé des motifs sera publié au Journal officiel avec les lois et décrets de divers genres, par l'autorité investie du pouvoir de promulgation ou de publication. »,
Considérant que, si l’exposé des motifs accompagnant la loi revêt une grande importance dans le processus législatif, car il éclaire les députés lors du vote, comme il facilite également son interprétation par les personnes concernées par sa mise en œuvre, car il révèle de manière simple et concise les raisons qui ont motivé la proposition du texte, les principes dont il découle, les objectifs qu'il fixe et les modifications qu'il apporte à la loi en vigueur, et de ce fait, l’annexion de l’exposé des motifs à la loi votée et sa publication au Journal officiel constitue une obligation légale à laquelle le législateur est tenu de se conformer, toutefois son absence ne constitue pas une exigence constitutionnelle dont la méconnaissance entraine l’invalidation de la loi contestée, car l’exposé des motifs ne revêt pas de valeur juridique, contrairement aux dispositions de la loi qui l’accompagne, et qui sont seules soumises au contrôle du Conseil,
Considérant que le défaut d’accompagnement des deuxième et troisième alinéas de la loi de l’exposé des motifs ne constitue pas une violation de la Constitution.
2- Motifs relatifs à la méconnaissance du contenu de la loi contestée des dispositions de la Constitution et des principes à valeur constitutionnelle :
A-Motif relatif à la violation du principe d'égalité et du principe de généralité et d'abstraction de la loi qui en découle :
Considérant que les requérants allèguent tous que la loi est contraire aux principes d'égalité des droits et des devoirs entre tous les citoyens sans distinction ni préférence, d'égalité devant la loi et d'égalité dans l'exercice des fonctions publiques, consacrés à l’alinéa (C) du préambule de la Constitution et à ses articles 7 et 12, ainsi que le principe de non-discrimination consacré dans les articles 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, joints à l’alinéa B du préambule de la Constitution, en plus de violer le principe de la généralité et d’abstraction de la loi, qui découle du principe d'égalité, car elle est formulée à la mesure de personnes spécifiques,
Considérant que l'alinéa premier de la loi contestée dispose qu'à l'article 2 du décret-loi n° 150 du 16/09/1983 et ses modifications (la loi sur les juridictions judiciaires) sera ajouté le paragraphe suivant : « A l’exclusion de ceux qui atteignent l’âge de la retraite, les membres dont le mandat prend fin le 14/10/2024 continuent d’exercer leurs fonctions jusqu'à la nomination de leurs remplaçants et leur prestation de serment prévue à l'article 3 du présent décret législatif »,
Considérant que l’alinéa susmentionné n'établit pas une règle générale qui s’applique à l'avenir afin de prévenir toute vacance ou perturbation susceptible de menacer la continuité du travail du Conseil supérieur de la magistrature, contrairement à ce qui est indiqué dans les motifs de la loi attaquée, mais qu’elle n’est applicable qu'aux cinq membres du Conseil supérieur de la magistrature dont le mandat a pris fin le 14 octobre 2024, soit environ deux mois avant la date de publication de la loi contestée,
Considérant que le deuxième alinéa de la loi contestée énonce ce qui suit :
L’alinéa (1er) de l'article 2 du décret-loi n° 150 du 16/09/1983 et ses modifications (Loi sur les juridictions judiciaires) est modifié pour devenir comme suit :
« Le procureur général près la Cour de cassation est membre de droit et vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, qu'il exerce cette fonction en tant que membre titulaire, par intérim ou par affectation. »,
Considérant que le deuxième alinéa accorde à l'un des membres de droit du Conseil supérieur de la magistrature, à savoir le procureur général près la Cour de cassation, le droit de siéger au Conseil avec pleins pouvoirs, même dans les cas où il est intérimaire ou affecté à ce poste, alors que ce droit n'est pas attribué à l'autre membre de droit du Conseil supérieur de la magistrature, à savoir le Chef de l'Inspection intérimaire ou affecté à ce poste, alors qu’il jouissent tous deux du même statut juridique, et par conséquent, la loi les a donc soumis à des statuts juridiques différents sans aucune justification requise par l’intérêt général,
Considérant que le troisième alinéa de la loi contestée prévoit de reporter l'âge de la retraite des juges qui l’atteignent dans la période s'étendant du 15/03/2025 au 15/05/2026 et dont la nomination à leurs fonctions nécessite un décret pris en Conseil de Ministres, et ce pour une durée de six mois à compter de la date de leur retraite,
Considérant que cette clause conduit à en faire bénéficier certains juges et à en exclure d'autres, tels que ceux qui sont également nommés à leurs fonctions par décret et dont le service prend fin lorsqu'ils atteignent l’âge légal de retraite dans la période s'étendant entre la date d'entrée en vigueur de la loi et la date du 3/15/2025, ou ceux dont la nomination à leur fonction ne nécessite pas un décret pris en Conseil des ministres, tout en considérant que cette distinction entre les juges ne repose sur aucune justification exigée par l'intérêt général ou la continuité du service public judiciaire, d'autant plus que la vacance peut être comblée à la retraite de l'un des juges concernés par la loi contestée, qui sera remplacé par le juge le plus haut gradé du tribunal ou du ministère public pour occuper le poste vacant jusqu'à ce qu'un remplaçant soit nommé, en plus de la possibilité d'affecter l'un des juges à ce poste en vue d’exercer les fonctions judiciaires dans l'un des postes vacants,
Considérant que la loi, telle qu'adoptée, est contraire au principe d'égalité consacré à l'article 7 de la Constitution et à l’alinéa (C) de son préambule, ainsi qu'au principe d'égalité dans l'exercice des fonctions publiques consacré à l'article 12 de la Constitution,
V. Conseil constitutionnel, Décision n° 2/2012 du 17/12/2012 :
"Considérant que la loi doit être une pour tous les citoyens, ou une pour tous ceux qui se trouvent dans des situations juridiques similaires, il n'est pas permis d'adopter une loi à la mesure de personnes spécifiques",
Considérant que le principe d’égalité entre les juges qui se trouvent dans une même situation constitue un élément essentiel de l’indépendance des juges et du pouvoir judiciaire, ce qui entraîne également l’annulation de la loi dans son intégralité pour ce motif.
B-Motif relatif à l’atteinte à l’indépendance de la justice et au principe de séparation des pouvoirs consacré au paragraphe (E) du préambule de la Constitution et à son article 20 :
Considérant que les requérants soutiennent tous que la loi nécessite son invalidation car elle porte atteinte au principe de l'indépendance de la justice consacré au paragraphe (E) du préambule de la Constitution et à son article 20,
Considérant que le premier l'alinéa de l'article unique de la loi contestée renouvelle le mandat de l'un des juges élus au Conseil supérieur de la magistrature conformément aux dispositions à l’alinéa (B) de l'article 2 de la loi sur l'organisation des juridictions judiciaires,
Considérant que, selon les normes internationales, l'élection des membres du Conseil parmi leurs pairs est considérée comme l'une des garanties de l'indépendance du Conseil supérieur de la magistrature et constitue l'un des aspects de la réforme judiciaire mentionné dans l’Accord d’entente nationale de 1989, dont l’alinéa (C) du point relatif à la réforme des tribunaux dispose ce qui suit : « Afin de renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, un certain nombre de membres du Conseil judiciaire suprême sont élus par le corps judiciaire. »
Considérant que le législateur, en vertu du texte susmentionné, a établi un droit acquis pour l'autorité judiciaire de former son administration à travers un mécanisme d'élection partielle, droit qui constitue l’une des garanties qui assurent une indépendance plus effective au pouvoir judiciaire, et qu’en conséquence, la loi a privé les juges de la possibilité d'élire l’un de leurs représentants au Conseil, en renouvelant le mandat d'un membre élu dont le mandat est expiré, en application du dernier alinéa de l'article 2 de la loi, qui dispose que « la durée du mandat des juges mentionnés aux alinéas (B) et (C) est de trois années, non susceptible d’être renouvelé qu’après l’expiration d’un mandat complet à compter de la fin du mandat »,
Considérant que cette intervention du législateur constitue une atteinte aux garanties de l'indépendance des membres du Conseil supérieur de la magistrature, qui veille lui-même à l'indépendance des juridictions judiciaires et au bon déroulement de leur travail,
Considérant que le deuxième alinéa de la loi contestée a fait du procureur général près la Cour de cassation, qui exerce cette fonction par intérim ou par affectation, un membre de droit du Conseil supérieur de la magistrature et son vice-président, au même titre que le titulaire de cette fonction, c'est-à-dire qui est nommé par décret pris en Conseil des ministres conformément à l'article 31 du Code judiciaire,
Considérant que l'attribution de la qualité de membre du Conseil supérieur de la magistrature et de sa vice-présidence de droit au procureur de la République près la Cour de cassation, qui est nommé à ce poste par titularisation par décret pris en Conseil des ministres, tient compte dans une large mesure de la règle de stabilité dans la formation du Conseil supérieur de la magistrature, garantissant les exigences d'indépendance de ses membres et les épargnant des influences extérieures, étant donné que sa destitution de ce poste ou son transfert n'est pas une tâche facile car elle nécessite une majorité des deux tiers au Conseil des ministres conformément à l’article 65, alinéa (5) de la Constitution,
Considérant que l'attribution de cette qualité de membre et de vice-présidence de droit à celui qui occupe ce poste par intérim ou par affectation n’assure pas ces garanties, car la délégation intervient par décision du ministre de la Justice avec l'approbation du Conseil supérieur de la magistrature, conformément au dernier alinéa de l'article 20 de la loi sur le pouvoir judiciaire, qui prévoit que le ministre de la Justice décide des affectations nécessaires après approbation du Conseil supérieur de la magistrature, tandis que l’affectation se produit par décision du premier président de la Cour de cassation (qui est lui-même le Président du Conseil supérieur de la magistrature) conformément au même article annexé à l'article 28 de la loi sur les juridictions judiciaires, qui dispose que : « Le premier président de la Cour de cassation assume les pouvoirs qui appartiennent au premier président de la Cour d'appel conformément aux articles 19. 20 et 21 du présent décret législatif. », et par conséquent, il peut révoquer cette affectation ou la modifier par décision unilatérale à tout moment,
Considérant qu'il apparait que la loi contestée, en considérant que le juge intérimaire ou affecté comme procureur près la Cour de cassation, est membre de droit et vice-président du Conseil supérieur de la magistrature, a accordé au ministre de la Justice avec l'approbation du Conseil supérieur de la magistrature en vertu de l’affectation, et a conféré au premier président de la Cour de cassation - le président du Conseil supérieur de la magistrature, en vertu de l’affectation, une prérogative dans la formation du Conseil supérieur de la justice et sa modification sans aucun contrôle ni restriction,
Considérant qu'il n'est pas admis qu’un juge puisse nommer ou révoquer ses pairs, car cela est contraire à la règle de stabilité de la composition du Conseil supérieur de la magistrature et à l'indépendance de ses membres, car il place l'un des membres du Conseil supérieur de la magistrature Conseil, qui en est le vice-président, dans une position instable en permettant qu’il soit remplacé très aisément, ce qui prive sa place au Conseil de la magistrature du caractère de permanence au sens prévu par la loi, et est contraire à l'indépendance du juge, de même qu’il le rend vulnérable aux influences et aux pressions, ce qui viole à son tour le principe de l'indépendance de la justice à valeur constitutionnelle,
Considérant qu'en outre, le juge qui exerce les fonctions de procureur général près la Cour de cassation par intérim ou affectation ne prête pas le serment prévu à l'article 3 de la loi judiciaire devant le Président de la République, de sorte que la loi contestée a permis qu'un membre soit inclus dans le Conseil supérieur sans prêter le serment légal, en violation de l'une des garanties qui régissent le travail du Conseil supérieur de la magistrature, et qui sont prévues à l'article 3 de la loi sur les juridictions judiciaires,
Considérant que la loi contestée est contraire aux dispositions de l'article 20 de la Constitution et au principe de l'indépendance de la justice, qui a valeur constitutionnelle, ce qui entraine son annulation pour ce motif.
C- Motif relatif à la violation du principe de séparation des pouvoirs consacré à l’alinéa (E) du Préambule, par l'empiétement du pouvoir législatif sur les prérogatives du pouvoir exécutif dans le premier alinéa de la loi contestée :
Considérant que les requérants allèguent que le premier alinéa de l'article unique de la loi attaquée viole la Constitution, notamment son article 65 dans ses troisième et cinquième alinéas, ainsi que l’alinéa (E) de son préambule, car il constitue un empiètement du pouvoir législatif sur les prérogatives du pouvoir exécutif,
Considérant qu'il ressort de l’alinéa susmentionné qu'il s'applique exclusivement à cinq juges dont le mandat au Conseil supérieur de la magistrature a pris fin le 14 octobre 2024, soit environ deux mois avant la date de publication de la loi contestée, ce qui constitue pratiquement une nouvelle nomination par le pouvoir législatif, jusqu'à la date de nomination de leurs remplaçants,
Considérant que cette nomination est contraire aux dispositions de l'article 2 de la loi portant organisation des juridictions judiciaires, qui prévoit que la nomination des remplaçants de quatre d'entre eux se fait par le pouvoir exécutif par décret pris sur avis du ministre de la Justice parmi les juges des Cours de cassation, sans possibilité de renouvellement pour aucun d'entre eux jusqu'à l'expiration d'un mandat complet,
Considérant que, si la Chambre des députés jouit d'une compétence étendue au niveau législatif, comme le prévoit l'article 16 de la Constitution, de telle sorte que sa compétence ne se limite pas aux matières qui lui sont expressément réservées, mais qu'elle peut au contraire légiférer validement dans toute matière, toutefois ses compétences en matière législative demeurent soumises à la condition de la conformité de la loi avec les dispositions de la Constitution et les principes généraux à valeur constitutionnelle,
Considérant que l’alinéa (3) de l'article 65 de la Constitution réserve au Conseil des ministres le droit de nommer les fonctionnaires de l'Etat, de mettre fin à leurs services et d’accepter leur démission conformément à la loi, quoique les membres du Conseil supérieur de la magistrature et les juges en général bénéficient d'un statut spécial prévu par la Constitution qui les distingue des fonctionnaires publics au sens étroit, car ils exercent, en vertu de leurs fonctions, l'autorité judiciaire conformément aux dispositions de l'article 20 de la Constitution, qui exige que leur soit assurée, ainsi qu’aux justiciables par leur intermédiaire, toutes les garanties nécessaires pour exercer leur activité en toute indépendance,
Considérant que l’objectif fixé par la loi visant à éviter les entraves au travail du Conseil supérieur de la magistrature et ses conséquences négatives, selon ce qui est indiqué dans l’exposé des motifs, ne justifie pas l'ampleur des dommages résultant de l'empiétement du pouvoir législatif sur les prérogatives réservées au pouvoir exécutif et la violation qui en résulte du principe de séparation des pouvoirs consacré à l’alinéa (E) du préambule de la Constitution, qui constitue un pilier fondamental du système parlementaire démocratique au Liban, en sus de la violation du principe d'indépendance de la justice et du principe d'égalité,
Considérant que le premier alinéa de l’article unique de la loi contestée est également contraire à la Constitution pour ce motif.
D- Motif relatif à la violation du troisième alinéa de la loi contestée du principe d’intelligibilité et de clarté de la loi :
Considérant que les requérants dans le cadre du recours n° 10/R/2024 indiquent que le troisième alinéa de la loi contestée se caractérise par un manque de clarté quant à la manière de bénéficier de l'allongement de l'âge de la retraite et au nombre de fois où le juge peut en bénéficier, car il accepte deux interprétations différentes : la première, que le juge qui remplit les conditions, prolonge une seule fois l'âge de sa retraite de six mois, et la seconde, que le juge qui a bénéficié d'une prolongation de sa retraite peut en bénéficier plus d'une fois. L'ambiguïté de ce texte est accrue par l'absence de l’exposé des motifs et des débats parlementaires de toute référence au présent article ou à l’objectif visé par ce prolongement,
Considérant qu'ils allèguent également que si l'on prend en compte la seconde interprétation, cela conduira à une situation d'inégalité et de discrimination même au sein de la catégorie des juges qui bénéficient de cet article, de telle sorte que l'un d'eux pourra bénéficier d'une prolongation pouvant aller jusqu'à un an et demi s’il atteint l'âge de la retraite en avril 2025 par exemple, tandis qu'une autre personne n'en bénéficiera que pendant six mois jusqu'à atteindre l'âge de la retraite en avril 2026,
Considérant que l'ambiguïté du texte du troisième alinéa de la loi contestée ouvre la voie à une application discrétionnaire qui peut affecter le principe d'égalité entre ses bénéficiaires, ce qui est contraire au principe d’intelligibilité et de clarté de la loi, qui découle lui-même du principe d'égalité consacré à l'article 7 de la Constitution et à l’alinéa (C) de son préambule,
Considérant qu’il convient d’annuler le troisième pour ce motif également.
Pour ces raisons,
Décide à l'unanimité :
Premièrement - Dans la forme :
De recevoir le recours n° 10/R/2024 et les recours n° 11/R, 12/R et 13/R/2024 qui y sont joints, car ils sont soumis dans les délais légaux et remplissent toutes les autres conditions formelles.
Deuxièmement – Au fond :
1- D’annuler l’intégralité de la loi n° 327/2024 du 4 décembre 2024 car elle est contraire aux procédures de la législation, au principe de clarté des débats parlementaires à valeur constitutionnelle et à la garantie constitutionnelle énoncée à l'article 20 de la Constitution concernant le défaut de sollicitation de l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire et au principe d'égalité énoncé à l'article 7 de la Constitution et à l’alinéa (C) de son préambule, au principe de séparation des pouvoirs et au principe de clarté et d’intelligibilité de la loi à valeur constitutionnelle.
2- De notifier cette décision au Président de la République, au Président de la Chambre des députés, au Premier ministre et au Président du Conseil supérieur de la magistrature, et la publier au Journal Officiel.
Décision rendue à Hadath le 7 janvier 2025.
Les membres : Mireille Najm, Elias Mecherkani, Fawzat Farhat, Michel Tarazi, Riad Abu Ghida, Albert Sarhan, et Akram Baasiri
Le Secrétaire général: Aouni Ramadan
Le Président : Tannous Mechhleb