Décision No. 23/2019



Décision no 23/2019

Date: 12/09/2019

Requête No 4/2019 du 14/08/2019

Requérants: Les députés Paula Yacoubian, Eddy Demerjian, Sami Gemayel, Elias Hankash, Fouad Makhzoumi, Jean Taluzian, Oussama Saad, le Général Jamil Al-Sayed, Adnan Traboulsi, Nadim Gemayel et Chamel Roukoz.

Loi objet du recours : Annulation de certains articles de la loi n°144 du 31/7/2019 relative au Budget public et aux budgets annexes pour l’année 2019.

Requête No 5/2019 du 16/08/2019

Requérants : Les députés Jean Talouzian, Assaad Hardan, Eddy Demerjian, Sami Gemayel, Stephan Douaihy, Chamel Roukoz, Paula Yacoubian, Fouad Makhzoumi, Abdel Rahim Mourad, Elias Hankash et Nadim Gemayel.

Loi objet du recours : Annulation de certains articles de la loi n°144 du 31/7/2019 relative au Budget public et aux budgets annexes pour 2019.

Le Conseil constitutionnel,

Réuni en son siège le 9 décembre 2019, sous la présidence de son président le juge Tannous Mechleb, en présence du vice-président Akram Baasiri et des membres : Awni Ramadan, Elias Bou Eid, Antoine Bridy, Abdallah Al-Chami, Riyad Abu Ghaida, Omar Hamza, Faouzat Farhat et Elias Mecherkani.

 

Conformément à l’article 19 de la Constitution,

Après examen du dossier du recours, des documents joints et du Rapport du rapporteur daté du 03/09/2019, il apparait ce qui suit :

Concernant la requête no 4/2019 :

Considérant que, le 14/8/2019, les députés Paula Yacoubian, Wadi Demerjian, Sami Gemayel, Elias Hankash, Fouad Makhzoumi, Jean Talouzian, Oussama Saad, le Général Jamil Al-Sayed, Adnan Traboulsi, Nadim Gemayel et Chamel Roukoz ont soumis un recours enregistré auprès du greffe du Conseil constitutionnel sous le n°4/2019 en vertu duquel ils demandent de déclarer la requête recevable dans la forme, et dans le fond, de déclarer l'inconstitutionnalité des articles 26, 27, 89 et 94 et les autres articles qui ont porté atteinte aux juges, et par conséquent, d'invalider lesdits articles.

Considérant que les Requérants ont invoqué ce qui suit :

1-      Il est nécessaire d’annuler les articles suivants :

a - Les articles 26 et 94 de la loi pour violation des droits sociaux de valeur constitutionnelle prévus à la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans d'autres pactes internationaux, y compris le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui sont tous mentionnés dans la Constitution, ainsi que pour avoir violé le principe selon lequel le législateur ne peut modifier une loi relative à l'un des droits fondamentaux si cette modification a pour effet d’annuler ou de réduire les garanties prévues par la loi précédente.

 

b- L’article 89 pour violation de la définition constitutionnelle de la loi de finances prévue à l'article 83 de la Constitution, signifiant qu'il est l'un des cavaliers budgétaires, nonobstant le défaut de consultation préalable du pouvoir judiciaire à ce sujet, ce qui constitue une violation du paragraphe (e) du Préambule de la Constitution qui prévoit que le régime est fondé sur le principe de la séparation, de l'équilibre et de la coopération entre les pouvoirs.

 

c- L'article 27 pour violation de l'alinéa (c) du Préambule de la Constitution qui pose le principe de l'égalité en droits et en devoirs entre tous les citoyens sans distinction ni préférence, d'où découle le principe de l'égalité entre les personnes dépositaires du pouvoir constitutionnel, car l'article 27 précité n'affecte pas aux juges une lettre latine pour les plaques d’immatriculation de leurs voitures à l’instar des ministres et des députés.

 

d- Le reste des articles qui ont porté atteinte aux magistrats (réduction de 10% de la contribution de l'Etat à la Mutuelle des Magistrats – L’article 72 relatif à la fixation du plafond des sommes versées aux magistrats pour leurs prestations dans les administrations publiques – L’article 82 relatif à la fixation d’ un plafond maximal aux indemnités et compléments de salaire dont bénéficient les fonctionnaires dans les administrations publiques et les établissements publics, les conseils, les fonds, etc... – l’article 83 et l’article 90 relatifs à la détermination du nombre minimum d'années de service permettant de prendre sa retraite), et cela du fait que ces articles ont porté atteinte aux droits des magistrats, et pour leur adoption sans l'avis de l'autorité judiciaire, et pour constituer des cavaliers budgétaires.

 

Dans la révision #5/2019 :

Considérant que, le 16/8/2019, les députés Jean Talouzian, Asaad Hardan, Eddy Demerjian, Stephan Douaihy, Sami Gemayel, Paula Yacoubian, Fouad Makhzoumi, Abdel Rahim Mourad, Elias Hankash, Nadim Gemayel et Chamel Roukoz ont soumis un recours enregistré auprès du Greffe du Conseil Constitutionnel sous le n° 5/2019, en vertu duquel ils ont demandé que le recours soit reçu dans la forme, la suspension de la loi no 144 du 31/07/2019 et enfin, l’annulation des articles 23, 47, 48 et 82 de cette loi, et les autres articles que le Conseil juge inconstitutionnels.

Considérant que les Requérants ont invoqué ce qui suit :

1-      Le recours est recevable dans la forme pour être signé par le nombre minimal de députés dûment requis par la loi et pour avoir été soumis dans le délai de quinze jours à compter de la date de publication de la loi au Journal officiel.

2-      Il convient d’annuler certains articles comme suit :

a-      Les articles 47 et 82 pour violation de l'alinéa (c) du Préambule de la Constitution et de l'article (7) de la Constitution relatif au principe de l'égalité et de la justice sociale, et pour violation du principe selon lequel le législateur ne peut amoindrir les garanties qu'il a établi en vertu de lois antérieures sans les remplacer par d'autres garanties, et pour leur violation du principe de la stabilité juridique et de la stabilité de l'emploi, et pour violation de la Constitution en raison du manque de clarté, et pour violation de l'article 83 de la Constitution relatif aux principes de l’unité et de l’universalité budgétaires, et enfin pour avoir violé le principe constitutionnel relatif à l'inadmissibilité de la double imposition sur une même assiette.

b-      Les articles 23 et 48, en conséquence de l’annulation de l'article 47 de la loi objet du recours.

c-      Tous autres articles que le Conseil Constitutionnel juge inconstitutionnels et contraires à la procédure de l’élaboration de la loi fondée sur la Constitution, ainsi que les traités et chartes internationaux.

 

Sur base de ce qui précède :

 

Premièrement: Dans la forme:

 

Considérant que la loi contestée n° 144 du 31/7/2019 est publiée au Journal officiel, Supplément du n° 36, en date du 31/07/2019,

 

Considérant que l'article 19 de la loi portant création du Conseil constitutionnel n° 250 du 14/7/1993 prévoit qu'au moins dix membres de la Chambre des députés peuvent saisir le Conseil constitutionnel en ce qui concerne le contrôle de la constitutionnalité des lois, et prévoit également que le recours est soumis au Conseil constitutionnel dans un délai de quinze jours suivant la publication de la loi au Journal officiel.

 

Considérant que le Recours n° 4/2019, signé par onze députés, fut enregistré au greffe de ce Conseil le 14/8/2019, de sorte qu'il est présenté dans le délai légal, réunissant les conditions de forme, ce qui entraine sa recevabilité en la forme.

 

Considérant que le Recours n° 5/2019, signé par onze députés, fut enregistré au greffe de ce Conseil le 16/08/2019,

Considérant que le délai de quinze jours à compter de la date de publication de la loi n° 144/2019 au Journal officiel du 31/7/2019 prend fin le 15/8/2019, date qui coïncide avec un jour férié, et de ce fait, le délai de soumission du recours fut prorogé au premier jour ouvrable suivant, c'est-à-dire jusqu'au 16/08/2019, et par conséquent, le Recours n° 5/2019 fut soumis dans le délai légal, réunissant ses conditions de forme, ce qui entraine sa recevabilité en la forme.

 

Deuxièmement : La jonction des deux requêtes :

 

Considérant que les deux recours n° 4/2019 et n° 5/2019 visent à annuler certains des articles contenus dans la loi n° 144 du 31/7/2019, nonobstant les articles que ce Conseil pourrait décider d'annuler en raison de leur inconstitutionnalité.

 

Considérant que les deux recours ayant pour objet la nullité d'articles contenus dans une même loi, il convient de les joindre afin de les examiner ensemble et d'assurer le bon déroulement de la justice.

 

Troisièmement, dans le fond :

 

1-      La constitutionnalité des articles contestés en vertu des deux recours n° 4/2019 et 5/2019.

 

Le Recours no 4/2019 :

 

Premièrement : Concernant la constitutionnalité de l'article 26 de la loi n° 144 du 31/7/2019.

 

Considérant que l'article 26 prévoit ce qui suit : Contrairement à toute autre disposition, sont supprimées les exonérations accordées à certaines personnes et entités sur les droits d'immatriculation et de circulation de tous les véhicules et engins, à l'exception des exonérations accordées aux entités suivantes :

-          Les personnes ayant des besoins spéciaux selon une loi spéciale.

-          L'Etat et les établissements publics exclusivement, les municipalités et les fédérations de municipalités.

-          Les corps diplomatiques et consulaires.

-          Les Nations Unies et ses agences affiliées.

-          Les ambulances et les véhicules de pompiers qui sont offerts en donation aux associations, municipalités et fédérations de municipalités.

Et cela suivant les règles prévues dans les lois qui régissent ces exonérations. »

 

Considérant que l'article 20 de la Constitution dispose ce qui suit : « Le pouvoir judiciaire est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés dans le cadre d'un statut établi par la loi et selon lequel les garanties nécessaires sont préservées pour les juges et les justiciables. Quant aux conditions et limites des garanties judiciaires, elles sont déterminées par la loi. Les juges sont indépendants dans l'exercice de leurs fonctions..."

Il ressort de l'article 20 précité que la Constitution a institué les juges en un pouvoir indépendant dans l'exercice de sa fonction. Les juges ne peuvent être désignés sous la dénomination d’organisme, de corps, ou sous une quelconque autre dénomination ou statuts dont l’usage serait approprié pour les fonctionnaires, mais qui ne pourrait être applicable à la justice.  Pour consacrer le principe de l'indépendance de la justice, la Constitution a imposé de préserver les garanties nécessaires non seulement aux juges, mais aussi par leur intermédiaire et au premier chef, aux justiciables, et ce pour permettre au pouvoir judiciaire le bon exercice de sa fonction constitutionnelle.

 

Considérant que la Constitution, dans le même article 20, a réservé au pouvoir législatif la tâche d’élaborer une loi qui définit les conditions et les limites de la garantie judiciaire auxquels les juges, et au premier chef les justiciables, sont redevables au pouvoir législatif, et de ce fait la Constitution a élevé la garantie judiciaire au rang d’une garantie fondamentale à valeur constitutionnelle (traduite en français dans le texte arabe).

 

Considérant que le législateur, conformément au devoir d’assurer la garantie judiciaire, a élaboré plusieurs textes, dont l'article 11 du Règlement de la Caisse mutuelle des juges édicté par le décret législatif n° 52/83 et ses modifications, qui dispose que la Caisse et les personnes qui y sont affiliés , c'est-à-dire les juges, bénéficient des exonérations prévues à l'article 58 modifié de la loi sur les sociétés coopératives..., notamment l'exonération des frais de circulation et des frais de contrôle mécanique portant sur leurs voitures.

 

Considérant que l'article 26 contesté dispose que les exonérations accordées à certaines personnes et entités des droits d'immatriculation et de circulation des véhicules et mécanismes sont supprimées, sans préciser ni clarifier qui sont ces personnes et entités, puis en exclue de manière claire et précise certaines entités en les nommant du régime de la suppression de l'exonération, sans pour autant que l’exception n’englobe les juges qui sont affiliés à leur mutuelle.

 

Considérant que l'article 26 contesté a ainsi dérogé à une garantie judiciaire essentielle et fondamentale à valeur constitutionnelle, contournant ainsi la compétence accordée par la Constitution dans l'article 20 au pouvoir législatif dans le domaine en question.

 

Considérant que l'interdiction de supprimer une garantie fondamentale de valeur constitutionnelle, ou d'y porter atteinte, est l'un des principes bien connus de la doctrine et de la jurisprudence constitutionnelles, et qu'il s'agit du principe dit de « L'effet cliquet » (en français dans le texte), c'est-à-dire le cadre qui peut ne se déplacer que dans une seule direction vers l'avant, sans pouvoir reculer.

 

Considérant que l'article 26 contesté, en annulant l'une des garanties fondamentales de valeur constitutionnelle consacrées par la loi aux juges, a méconnu l'article 20 de la Constitution, qui a pour conséquence de le déclarer partiellement inconstitutionnel et donc de l’annuler partiellement pour ne pas avoir mentionné explicitement les jugesparmi les personnes exemptées du régime de suppression de l'exonération.

 

Deuxièmement : La constitutionnalité de l'article 94 de la loi n° 144 du 31/7/2019.

Considérant que l'article 94 dispose que « contrairement à toute autre disposition générale ou spéciale, les valeurs des allocations scolaires établies par toutes les administrations et établissements publics, les municipalités, les fédérations municipales et les autres personnes de droit public sont réduites progressivement de 15%  pour l'année scolaire 2019-2020 par rapport à l'année académique précédente, à condition qu'elles ne soient pas inférieures aux limites appliquées dans la coopérative des fonctionnaires de l'État en cours de service.

Les professeurs de l'Université libanaise sont exclus de la réduction progressive ».

Considérant que la Caisse Mutuelle des Juges, même si elle est constituée en établissement public, n'a aucun lien avec les établissements publics qui exercent chacun, une part de service public, mais elle constitue une Caisse Mutuelle, sans que la contribution de l’Etat à ses revenus ne modifie ou n’altère sa qualification de Mutuelle qui regroupe, non pas des fonctionnaires de l’administration publique ou des employés d'un établissement public, mais des membres du pouvoir judiciaire indépendant, protégés par l'article 20 de la Constitution.

Considérant qu’il appartenait au législateur, lors de la rédaction de l'article 94 contesté, d’exclure explicitement les juges et leur mutuelle de ses dispositions, et que l’omission de leur exclusion conduit à considérer les juges parmi les fonctionnaires et les employés et de les identifier à ces derniers, ce qui constitue une atteinte grave au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire consacré à l'article 20 de la Constitution, et entraine une égalité entre des catégories qui ne vaut pas comme garantie pour les justiciables.

En revanche, il convient d’annuler le mot « progressivement » mentionné dans l'article 94 contesté et le mot « progressif » mentionné à la fin du dernier alinéa de l'article 94, pour leur violation du principe de l’annualité du budget.

Considérant qu’il convient d’annuler partiellement l'article 94 pour ne pas avoir exclu les juges personnellement et la Caisse mutuelle des juges de ses dispositions, ainsi que d'annuler et de supprimer les mots «progressivement» et «progressif» dans cet article.

 

Troisièmement : La constitutionnalité de l'article 89 de la loi n° 144 du 31/7/2019.

Considérant que l'article 89 dispose ce qui suit : « Sous réserve des dispositions de la clause 3 de l'article sept du décret législatif n° 115 du 12/6/1959 et ses modifications (instituant l'Inspection centrale),

1-      Les magistrats transférés et affectés du cadre de la justice judiciaire et financière aux cadres des administrations publiques ou des établissements publics disposent d'un délai d'un an à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, pour exercer le droit d'opter entre le maintien dans le cadre où ils ont été transférés ou de réintégrer le cadre du corps judiciaire auquel ils étaient affiliés.

2-      Dans tous les cas, le juge continue de bénéficier exclusivement des cotisations de la Caisse Mutuelle des juges, et dans le cas où il choisit de réintégrer le corps judiciaire auquel il était affilié, il y retournerait en maintenant le degré le plus proche de son salaire, et ce en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres sur proposition du premier ministre concernant la justice financière, ou sur proposition du ministre de la Justice en ce qui concerne la justice judiciaire.

3-      Contrairement à toute autre disposition, à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, il est interdit d'affecter ou de transférer tout juge du cadre de la magistrature judiciaire ou financière aux cadres des administrations publiques et des établissements publics.

4-      Le deuxième alinéa de l'article 16 de la loi organisant le Conseil d'Etat en vertu du décret n° 10434 du 14/06/1975 et ses modifications, est modifié comme suit :

Contrairement à tout autre texte, il est interdit, à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, d'affecter ou de transférer tout juge de la magistrature administrative aux administrations et établissements publics.

 

Considérant qu’il est clair que cet article n'est pas lié au budget public ni à définition, à l'exception de ce qui est relatif au bénéfice des magistrats transférés et affectés de la justice judiciaire, administrative et financière aux cadres des administrations publiques ou des établissements publics, exclusivement des cotisations de la Caisse mutuelle des juges, car cet avantage affecte les finances publiques et par conséquent l'exécution du budget public. La constitution prévoit, à l'article 83, que "chaque année, au début de la session d'octobre, le gouvernement présente à la Chambre des députés un budget qui englobe les dépenses et les recettes de l'État pour l'année suivante, et vote chaque poste budgétaire article par article », tandis que la loi sur la comptabilité publique définit dans son article cinquième, la loi de finance publique comme étant le texte qui contient l'adoption par le pouvoir législatif du projet de budget et qui renferme des dispositions fondamentales et des dispositions spéciales qui se limitent à ce qui est relatif à l'exécution du budget.

Considérant que l'article 89 contesté est considéré, nonobstant ce qui précède, comme un cavalier budgétaire, et donc contraire à la Constitution, plus précisément à son article 83, il convient donc de le déclarer partiellement inconstitutionnel et de l'annuler partiellement pour ce motif, et de maintenir le droit des juges transférés et affectés de bénéficier exclusivement des cotisations de la Caisse mutuelle des juges.

« Tout article qui n’entre pas dans le cadre de cette énumération (…les lois de finances ne peuvent contenir que des dispositions de nature financière) constitue nécessairement un « cavalier budgétaire » ou, selon les termes utilisés par le Conseil, une « disposition étrangère à l’objet des lois de finances » et peut, dès lors, être frappé d’inconstitutionnalité…Non seulement de telles dispositions peuvent être contestées par les requérants, mais le juge constitutionnel se réserve le droit de les déclarer d’office inconstitutionnelles…Cette sévérité se justifie par le double souci d’une part, d’éviter que l’on ne profite de la procédure accélérée des débats budgétaires pour y introduire des mesures à la hâte et d’autre part, de protéger l’intégrité des lois de finances. »[1] (citation en français dans le texte)

En plus de considérer l'article 89 contesté, nonobstant ce qui précède, comme un cavalier budgétaire, cet article a omis une formalité substantielle (traduite au français dans le texte) qui réside dans la nécessité de prendre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, du Bureau du Conseil d'État et du Bureau de la Cour des comptes, sur les projets de lois et règlements relatifs au pouvoir judiciaire...

Considérant que la formalité substantielle précitée ne se limite pas à une simple demande d'avis desdits organes sur les projets de loi et de règlement relatifs au pouvoir judiciaire, mais constitue une consécration de la garantie judiciaire inscrite à l'article 20 de la Constitution ainsi qu'au principe de séparation et de coopération des pouvoirs constitués, tel que prévu à l'alinéa (e) du Préambule de la Constitution.

Considérant que l'article 89 contesté constitue, nonobstant ce qui précède, une violation de la Constitution pour cette raison également, il convient de le déclarer partiellement inconstitutionnel et de l'annuler partiellement.

 

Quatrièmement : La constitutionnalité de l'article 27 de la loi n° 144 du 31/7/2019.

Considérant que l'article 27 contesté, a ajouté à la loi n° 243 du 22/10/2012 sur la circulation, modifiée par la loi n° 61 du 27/10/2016, l'article 154-1 qui dispose en son huitième alinéa ce qui suit :

« Huitièmement : Le paragraphe 4 de l'article 154 de la nouvelle loi sur la circulation est modifié pour devenir comme suit : 4- Les lettres latines B-G-J-M-N-O-R-S-T-Z-Y-H-K sont utilisées pour les plaques d'immatriculation privées de tous les citoyens. La lettre P est utilisée pour les programmes publics, la lettre D pour le corps diplomatique et la lettre C pour le corps consulaire ».

Considérant que l'article 27 contesté, dispose par ailleurs à son début ce qui suit :

« Article 154-1 : Contrairement au 8° de l'article 154 de la présente loi, les numéros d'immatriculation distinctifs des véhicules de tourisme sont classés par arrêté du ministre de l'Intérieur et des Municipalités, et tous les numéros en dehors de ce classement sont considérés comme des numéros non distinctifs. Des droits sont imposés aux titulaires de plaques d'immatriculation comportant des numéros distinctifs de tous les symboles à l'exception des symboles AP, AG, R, J, D, C, selon les modalités suivantes :... ».

Considérant, en premier lieu, que l'article 27 contesté a omis d’affecter aux juges une lettre latine comme les lettres agréées J ou R, en application de la garantie judiciaire prévue à l'article 20 de la Constitution précité.

Considérant que, en second lieu, cet article est entaché d'ambiguïté, de confusion et de contradiction. D'une part, il stipule que la lettre latine J est utilisée pour les plaques des voitures particulières affectées à l’usage de tous les citoyens, et d'autre part, il stipule que le symbole J est exclu de la taxe annuelle perçue sur le numéro de plaque appartenant au symbole J, ce qui ouvre la voie à des possibilités d'application arbitraire de ce texte, ainsi que des difficultés dans son application.[2] L'article 27 contesté étant alors une violation partielle de la Constitution en ce qu'il n'affecte pas aux juges constitutionnels, judiciaires, administratifs et financiers, les juges charia, druzes et les juges ecclésiastiques à l'une des lettres J et R pour leurs voitures, selon leur affiliation à la justice constitutionnelle, judiciaire, administrative ou financière d'une part, et à la justice charia, druzes et ecclésiastiques d'autre part, et au regard de leur manque de clarté pour la partie contestée, nécessitent leur invalidation partielle.

 

Cinquièmement : La constitutionnalité du restant des articles ayant porté atteinte aux juges : (Réduction de 10% de la contribution de l'Etat à la Caisse Mutuelle des Juges - Article 72 relatif à la fixation d'un plafond pour les sommes versées aux juges pour leurs prestations dans les administrations publiques - Article 82 relatif à la fixation d'un plafond des indemnités et compléments de salaire - Article 83 - Article 90 relatif à la détermination du nombre minimum d'années de service ouvrant droit à la retraite).

a-      En ce qui concerne la réduction de 10% de la contribution de l'Etat à la Mutuelle des Magistrats

Considérant que l'article 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à laquelle le Liban est engagé dans le Préambule de la Constitution, paragraphe (b), dispose que le droit de toute personne à la sécurité sociale et à ce que l'État pourvoie à ses besoins, conformément à ses ressources, les droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité.

Considérant que la réduction de 10 % de la contribution de l'État à la Caisse mutuelle des juges est exigée par le déficit du budget de l'État et qu'elle est conforme aux ressources de l'État telles qu'estimées dans le budget 2019, elle ne viole donc pas l'article 22 du Déclaration universelle des droits de l'homme à laquelle le Liban s'est engagé au paragraphe (b) du Préambule de  la Constitution, en gardant à l'esprit que cette contribution doit permettre à la Caisse de fournir des droits économiques et sociaux aux juges et à leurs familles.

b-      En ce qui concerne l'article 72 relatif à la fixation d'un plafond pour les sommes versées aux magistrats pour leurs prestations dans les administrations publiques.

Considérant que l'article 72 contesté dispose ce qui suit : « Le plafond de la totalité des sommes mensuelles versées aux magistrats au titre des indemnités de rémunération pour les services rendus aux administrations et établissements publics, tels que les consultations et services similaires, est fixé suivant les lois en vigueur, à un maximum de trois fois le salaire minimum ».

Considérant que l'article 15 de la loi organisant le Conseil d'État stipule que les membres du Conseil d’Etat peuvent participer pendant une période limitée à des activités conformes à leurs qualifications juridiques dans les administrations publiques, les établissements publics ou les municipalités. L’affectation se fait sur décision du président du Conseil d'Etat.

Considérant que l'article 25 de la loi organisant le ministère de la Justice stipule que le ministre de la Justice peut, par décision de sa part prise sur proposition du directeur général, déléguer au ministère certains magistrats attachés à l'administration centrale, pour exercer des fonctions juridiques auprès de diverses administrations, établissements publics et municipalités, tout comme il peut revenir sur décision à tout moment. Le juge délégué reçoit de l'administration à laquelle il est affecté une indemnité dont le montant est fixé en vertu de la décision d’affection.

Considérant que, au vu des deux textes précités, les émoluments mensuels du juge administratif délégué par le Président du Conseil d'Etat pour assister les administrations, établissements publics ou municipalités, sont fixés par l’administration qui demande l'affectation, et non par le Bureau du Conseil d'Etat ni le président du Conseil. De même, les indemnités mensuelles du juge rattaché à l'administration centrale du ministère de la Justice, qu'il soit administratif ou judiciaire, affecté en assistance aux administrations, établissements publics et municipalités, est fixé par l'autorité administrative qui a décidé de l'affectation, c'est-à-dire le ministre de la Justice, et non le Conseil supérieur de la magistrature.

Considérant que l'article 72 contesté ne fait pas partie des textes qui sont soumis à un avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature ou du Bureau du Conseil d'État ou du Bureau de la Cour des comptes, et il ne porte pas atteinte ou diminue l'indépendance de la magistrature, mais au contraire, il renforce cette indépendance en unifiant le plafond mensuel de rémunération du juge affecté ou délégué, en le libérant de toute forme de subordination à l’administration qui sollicite l'affectation ou la délégation.

Considérant que l'article 72 contesté est donc compatible avec les dispositions de la Constitution et n'est pas susceptible d'annulation.

 

c-      En ce qui concerne l'article 82, « fixant un plafond aux indemnités et compléments de salaire dont bénéficient les employés des administrations publiques, des établissements publics, des municipalités, des Conseils, des fonds, des organismes, des secteurs et des établissements publics ».

Considérant que l'article 82 porte sur "l'imposition d'une retenue mensuelle sur les salaires et pensions des militaires pour la nécessité de soins médicaux, d'hospitalisation et d'assistance sociale", qui fait l'objet du recours n° 5/2019 du 16/8/2019, dont la constitutionnalité sera examinée ultérieurement,

Considérant que, ce qu'on entend par l'article contesté, c'est l'article 81, suivant le principe général selon lequel en cas de contradiction entre le texte écrit et le numéro qui lui est alloué, c’est le texte écrit qui prévaut, et celui-ci énonce ce qui suit :

« 1- Contrairement à toute autre disposition générale ou spéciale, la totalité des indemnités et compléments de salaire de quelque nature, dénomination ou source que ce soit, payés sur les deniers publics (commissions de toute nature, primes, déclarations des collecteurs d'impôts dans les établissements et services publics d'investissement, indemnité de représentation, indemnité de procuration, les indemnités et les émoluments de l'administration des douanes, à l'exclusion des quotas de négociations, des quotas d'amendes, des indemnités de travail supplémentaire, des salaires d'affectation, des indemnités de dépenses, des frais de transaction, des indemnités de travail de nuit, des indemnités de correction et de contrôle des examens, des indemnités relatives aux élections, frais de service, mois supplémentaires, prime de production, part de bénéfices, distribution de dividendes,...) ne peut excéder, au cours d'un exercice, 75% du total des salaires de base de la même année, à l'exclusion des techniciens et suppléants travaillant à la direction générale de l'Aviation civile, jusqu'à ce que les postes vacants au sein de cette direction soient pourvus.

Les dispositions du présent article s'appliquent à tous les travailleurs des secteurs publics et des établissements publics, quelle que soit leur qualité, y compris, à titre d’exemple (les administrations publiques en toutes leurs branches, y compris l'Inspection centrale et le Conseil de la fonction publique, le personnel du corps diplomatique après le doublement de leurs salaires tel que régis par les dispositions de l'expatriation, les indemnités des muftis, des secrétaires de la Fatwa, des présidents des Conseils et du Cheikh Akl de la communauté druze, du Conseil constitutionnel, des juges, des fonctionnaires du Parlement, des municipalités et de la Fédération des municipalités , les établissements publics de toutes sortes, les hôpitaux publics, l'Université libanaise, les services indépendants, les tribunaux Chari et confessionnels, le Conseil pour le développement et la reconstruction, le Conseil du Sud et les autres Conseils, la Haute Commission des secours et tous les organismes publics, le Bureau Exécutif du Projet Vert, Télévision Liban, les organismes de régulation, OGERO, tous les fonds, les sociétés nationales, la Régie libanaise des tabacs et tombacs, la Direction des silos à grains, la Direction du Port de Beyrouth, les zones économiques spéciales, la Bourse de Beyrouth, les institutions d'intérêt public, l'Autorité des Marchés Financiers, …), ainsi que les usagers des projets émanant du ministère des Affaires sociales et des projets communs avec les associations et les organismes civils et les centres de services de développement et sociaux , les contractuels en vertu de contrats de location de services.

De même, et dans tous les cas, le salaire de base payé sur les deniers publics pour les travailleurs dans les secteurs publics et les services publics, quelle que soit leur qualité et tel que susmentionnés, ne peut excéder vingt fois le salaire minimum.

Est exclue des dispositions de cet article la Banque centrale, qui est soumise au Code de la Monnaie et du Crédit. »

Considérant que, sur le fondement de la garantie judiciaire établie à l'article 20 de la Constitution  accordée aux juges et à travers eux aux bénéficiaires ultimes, à savoir les justiciables, s'il appartient aux deux pouvoirs exécutif et législatif de fixer une limite ou un plafond à la totalité des rémunérations et suppléments de salaire pendant un exercice qui s'élève à 75% du salaire de base total, et ce en raison du déficit dans les finances publiques et en raison des engagements du Liban au sein du cercle de la conférence CEDRE, toutefois l’insertion des juges et leur soumission au régime de l'article 81 contesté, alors qu’ils président les commissions à caractère judiciaire qui rendent des décisions et jugements qui sont au cœur de la fonction judiciaire, sans prendre l’avis préalable du pouvoir judiciaire, représenté par le Conseil supérieur de la magistrature, le Bureau du Conseil d'État et le Bureau de la Cour des comptes, constitue une violation flagrante de l'article 20 de la Constitution,

De même, l’'insertion de l'expression « Conseil constitutionnel » au sein des organes administratifs visés par la disposition contestée de l'article 81, est contraire à l'article 19 de la Constitution, qui prévoit la création du Conseil constitutionnel, et à l'article 1er de la loi portant sur la Création du Conseil constitutionnel, qui est une loi d'application de l'article 19 précité, qui décrit le Conseil constitutionnel comme étant un « organe constitutionnel indépendant doté du caractère juridictionnel », et dont les décisions s'imposent à tous les ​​pouvoirs publics et aux autorités judiciaires et administratives (article 13 de la loi n° 250 du 14/07/93 et ses modifications), étant rappelé que les membres du Conseil constitutionnel ne perçoivent ni indemnités ni salaires auxquels seraient affectés de telles indemnités, mais ils reçoivent des attributions fixées selon une dotation annuelle forfaitaire au budget du Conseil constitutionnel,

Considérant qu’il convient donc de déclarer l'article 81 contesté inconstitutionnel en partie, en ce qui concerne l’inclusion de l'expression « Conseil constitutionnel, juges » et de l'expression « Tribunaux charia et communautaires » dans ses dispositions, et de l'annuler partiellement en supprimant les deux expressions susmentionnées de l'article 81 précité.

d-      En ce qui concerne l'article 83 de la loi n°144 du 31/7/2019

Considérant que l'article 83 contesté prévoit la modification du paragraphe 1 de l'article 35 du décret législatif n° 112 du 12/6/1959 et ses modifications, de sorte qu'ils deviennent comme suit : « 1- Le salarié a droit, un an après sa nomination, et à chaque année subséquente de service effectif, à bénéficier d'un congé annuel à plein traitement d'une durée de quinze jours. A cette période s'ajoute un jour par tranche de cinq ans de service effectif. Les salariés qui bénéficient des congés judiciaires et scolaires en sont exclus ».

Considérant que les juges ont leur congé judiciaire prévu dans la loi organisant la magistrature judiciaire, celle organisant le Conseil d'État et la loi portant création de la Cour des comptes, et que la plupart des dispositions du Statut des fonctionnaires ne leur sont pas applicables,

Considérant que l'article 83 contesté n'est pas applicable aux juges, car le domaine d'application de ses dispositions est limité aux seuls fonctionnaires, il ne porte donc pas atteinte aux droits des juges, ni fait partie des cavaliers budgétaires, puisqu'il est lié à la productivité du fonctionnaire après avoir bénéficié de ses congés administratifs annuels et à la répercussion de cette productivité sur les revenus du trésor d'une meilleure manière.

Considérant qu'il convient par conséquent de déclarer la constitutionnalité de l'article 83 de la loi n° 144/2019.

e-      En ce qui concerne l'article 90 de la loi n° 144 du 31/7/2019.

Considérant que l'article 90 de la loi n° 144 du 31/7/2019 contesté, dispose ce qui suit :

« Article quatre-vingt-dix : Fixation du nombre minimum d'années de service ouvrant droit à la retraite.

Le nombre d'années de service effectif ouvrant droit à la retraite est déterminé comme suit :

Pour le corps militaire :

*23 ans au lieu de 18 ans pour les particuliers et les sous-officiers

*25 ans au lieu de 20 ans pour les officiers

* 18 ans au lieu de 15 ans pour les officiers spécialisés

Dans le cas où il n'est pas possible de compléter la période légale d'ouverture au droit à la pension de retraite pour avoir atteint l'âge légal, ils ont droit à une pension de retraite en fonction de leurs années de service.

Les militaires bénéficient de l'article 25 du décret législatif n° 47/83, tel que modifié par l'article 26 de la loi n° 46/2017.

Pour le corps administratif :

25 ans au lieu de 20 ans pour tous les salariés, compte tenu des dispositions relatives aux femmes, et des conditions des salariés de la troisième catégorie et au-dessus entrés dans la fonction publique à un âge ne leur permettant pas de continuer à servir pendant 25 ans.

Dans le cas où il n'est pas possible de compléter la période légale d'ouverture du droit à la pension de retraite des enseignants et professeurs pour avoir atteint l'âge légal du fait de leur entrée dans le cadre de l'éducation officielle en vertu des lois spéciales qui contournent la condition d'âge, ils ont droit à une pension de retraite en fonction de leurs années de service.

Pour les professeurs de l'Université Libanaise, 15 ans. »

Considérant que la fixation du nombre d'années de service qui permet aux fonctionnaires ainsi qu'aux magistrats, en vertu d’un renvoi du texte de loi qui leur est applicable à une loi générale qui régit le statut des fonctionnaires du corps en cause, le droit de demander leur mise à la retraite, à vingt-cinq ans au lieu de vingt ans, ne porte pas atteinte aux droits des juges tant que le texte de référence relatif aux juges renvoie au texte général relatif aux fonctionnaires,

Considérant que concernant l'article 90 contesté, étant donné que le texte relatif aux magistrats opère un renvoi au texte général relatif aux fonctionnaires, l'application des dispositions du texte particulier aux magistrats ne fait donc pas partie des questions sur lesquelles l'avis de l'autorité judiciaire doit être recherchée,

Considérant que le texte contesté ne fait pas partie des cavaliers budgétaires en raison de ses implications directes sur le trésor public,

Considérant qu’il convient donc de déclarer la constitutionnalité de l'article 90 de la loi n° 144 du 31/7/2019.

Le Recours n° 5/2019.

Premièrement : Sur la constitutionnalité de l'article 23 contesté.

Considérant que l'article 23 contesté énonce ce qui suit :

« A- Le taux d'imposition des salaires, traitements et pensions de retraite est déterminé comme suit :

-2% (deux pour cent) sur la tranche des revenus nets imposables qui ne dépasse pas /6 000 000/L.L (six millions de livres libanaises). Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

- 4% (quatre pour cent) sur la tranche des revenus nets imposables qui dépasse /6.000.000/L.L (six millions de livres libanaises) et ne dépasse pas /15.000.000/L.L (quinze millions de livres libanaises). Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

-7% (sept pour cent) pour la tranche des revenus nets imposables qui dépasse /15 000 000/L.L (quinze millions de livres libanaise)s et ne dépasse pas 30 000 000/L.L. (trente millions de livres libanaises). Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

 -11% (onze pour cent) pour la tranche des revenus nets imposables qui dépasse/ 30 000 000/L.L de trente millions de livres libanaises et ne dépasse pas 60 000 000 000/L.L de soixante millions de livres libanaises. Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

-15% (quinze pour cent) pour la tranche des revenus nets imposables qui dépasse /60 000 000/LBP (soixante millions) et ne dépasse pas /120 000 000/LBP (cent vingt millions de livres libanaises). Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

-20% (vingt pour cent) de la tranche des revenus nets imposables qui dépasse /120.000.000/L.L (cent vingt millions de livres libanaises) et ne dépasse pas /225.000.000/L.L (deux et vingt-cinq millions de livres libanaises). Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

-25% (vingt-cinq pour cent) pour la tranche des revenus nets imposables qui dépasse /225.000.000/L. L. (Deux millions et vingt-cinq millions de livres libanaises). Ce taux est réduit de moitié à partir de l'assiette des pensions de retraite et celles similaires.

 b- Cette disposition est applicable à compter du 01/08/2019. »

Considérant que l'article 47 contesté dispose que l'article 47 de la loi relative à l'impôt sur le revenu doit être modifié pour devenir comme suit : « Sont exclus de la taxe :

1-...

4- Les pensions des héritiers des martyrs des forces militaires et de sécurité, et des blessés des forces militaires, telles que définies par les dispositions de l'article 85 de la loi sur la défense nationale.

9- Les indemnités de licenciement payé conformément aux lois en vigueur au Liban. »

Considérant que, d'une part, l'article 23 soumet les pensions de retraite à la moitié des taux de l'impôt sur les traitements et salaires des travailleurs en activité effective,

Considérant que, d'autre part, l'article 9 du décret législatif n° 47/83 dispose que la pension de retraite est liquidée sur la base d'une fraction de 40 du dernier salaire mensuel calculé conformément aux dispositions du nouvel article 12 du présent décret-loi, multiplié par le nombre d'années de service jusqu'à quarante ans seulement auquel est ajoutée une indemnité de licenciement équivalente à trois mois de salaire après quarante ans. Tandis que l'article 10 du régime de retraite et de licenciement dispose, que tout en prenant en compte des dispositions de l’article 12 nouveau du présent décret-loi, les indemnités de licenciement sont fixées à un mois de salaire pour chaque année effective de service jusqu'à la dixième année de service, deux mois de salaire pour chaque année effective de service après la dixième et jusqu'à la trentième année, et trois mois de salaire pour chaque année effective de service après la trentième.

Quant à l’article 12 nouveau du décret législatif n° 47/83, il dispose que, contrairement à tout autre texte, pour calculer la pension de retraite ou l'indemnité de licenciement, la somme indiquée à l'article 12 est multipliée par un taux de 85 %.

Considérant qu’il est nécessaire de connaître la cause de la déduction ou prélèvement de 15% de la somme indiquée dans le nouvel article 12 du décret législatif n ° 47/83, et donc la raison de l'adoption de 85%, et non de 100% de ladite somme, afin de calculer à la fois la pension de retraite et l'indemnité de licenciement.

Considérant que l'adoption de 85%, et non 100% de la somme tel qu’indiqué à l'article 12 susvisé, pour le calcul de la pension de retraite ou de l'indemnité de licenciement n’a d’autre motif légal que dans le fait que la déduction ou le prélèvement à la source au taux de 15% constitue un impôt sur la pension de retraite ou sur les indemnités de licenciement, qui rentre dans les recettes du trésor.

Considérant que l'article 23 contesté soumet les pensions de retraite à la moitié des taux de l'impôt sur les salaires et traitements des fonctionnaires en service indique que la même assiette ou soustraction a été soumise, lors de la survenance du fait générateur de l'impôt, à deux impôts à la fois, l'impôt de 15 % retenu ou prélevé à la source et la moitié du taux progressif prévu à l'article 23, objet du recours.

Considérant que, sur la base du principe de l'égalité en droits et devoirs entre tous les citoyens sans distinction ni préférence, prévu au paragraphe (C) du préambule de la Constitution, et du principe de l'égalité des Libanais devant la loi et leur accession à la fonction publique et devant les charges et devoirs sans aucune distinction entre eux prévus à l'article 7 de la Constitution, à l'exception de la distinction imposée par la différence de statut de fait et de droit entre certaines catégories de Libanais, ou celle qui est justifiée par les impératifs de l'intérêt public,

Considérant que l’autorisation conférée par la Constitution libanaise, dans ses articles 81, 82 et 83, aux deux pouvoirs exécutif et législatif pour édicter et percevoir des impôts publics, n’entraine pas une autorisation de la violation du principe d'égalité entre les Libanais qui se trouvent dans la même situation de droit et de fait, en soumettant un groupe d'entre eux, comme le groupe des retraités qui ont choisi la pension de retraite, à deux impôts sur la même assiette fiscale, un premier impôt au taux de 15% du revenu inscrit dans le nouvel article 12 du régime des retraites et de licenciement, et un deuxième impôt qui affecte le même revenu de la moitié des taux de l'impôt sur les traitements et salaires prévu à l'article 23 précité, de sorte que les modifications introduites par l'article 23 à l'article 58 de la loi sur l'impôt sur le revenu, n'est pas conforme aux dispositions de la Constitution.

Considérant que l'expression « et similaires », partout où elle figure dans la modification introduite par l'article 23 contesté à l'article 58 de la loi relative à l'impôt sur le revenu, manque de clarté, ce qui ouvre la voie à une application arbitraire par l'administration, ladite expression est également incompatible avec les dispositions de la Constitution[3].

 

Deuxièmement : La constitutionnalité des articles 47 et 48 contestés.

Considérant que l'article 47 contesté, dans son alinéa (9), maintient les indemnités de licenciement payées conformément aux lois en vigueur au Liban, exonérés de l'impôt sur le revenu, ce qui constitue une contradiction avec ce que le législateur a voulu par la phrase « et similaires » contenue dans l'article 23 contesté, et dans tous les cas, l'article 23 annexé à l’alinéa (9) de l'article 47 de la loi relative à l'impôt sur le revenu, a créé une distinction entre ceux qui ont choisi la pension de retraite et sont assujettis à l'impôt, et ceux qui ont choisi l'indemnité de licenciement conformément à la loi sur la retraite et le licenciement, et se trouvent de ce fait exonérés de l'impôt, et par conséquent privent le trésor de deniers qui lui sont dus. Il convient par conséquent de considérer que la modification introduite par l'article 23 à l'article 58 de la loi sur l'impôt sur le revenu - tout en maintenant l’alinéa (9) de l'article 47 de la loi sur l'impôt sur le revenu sans modification - est également considérée comme contraire aux dispositions de la Constitution pour ces motifs également.

Considérant que l'article 47 a modifié, par ailleurs, l'article 47 de la loi relative à l'impôt sur le revenu en remplaçant à l’alinéa (4) la phrase « 4- Les pensions accordées aux employés de l'État et aux services publics ou aux institutions publiques et privées conformément aux lois et règlements relatifs à la retraite », par la mention « pensions de retraite des héritiers des martyrs des forces militaires et de sécurité, et des blessés des forces armées, tels que définis par les dispositions de l'article 85 de la loi sur la défense nationale » .

Considérant que la modification introduite par l'alinéa (4) de l'article 47 contesté est contraire à la Constitution car ladite modification est liée à l'article 23 de la loi du Budget public pour l'année 2019, qui s'applique également à la modification qu'elle a introduite par le biais de l'article 48 à l'article 56 de la loi sur l'impôt sur le revenu en ajoutant l’expression "en plus de déduire dix millions de livres libanaises de la base de retraite des retraités", cette dernière, à son tour, est considérée contraire aux dispositions de la Constitution.

Considérant que l'annulation des modifications introduites par l'article 23, l'alinéa (4) de l'article 47 et l'article 48 de la loi objet du recours, à la loi relative à l'impôt sur le revenu, entraînerait des répercussions très négatives sur la période restante du budget 2019 qui est régi par le principe de l’annualité du budget, et donc sur l'ordre public financier, ce qui nécessite de procéder au plus tôt à rectifier les déficiences contenues dans l'article 23, l'alinéa (4)[4] de l'article 47, et l'article 48 d'une manière conforme à la Constitution au cours de la préparation et l’adoption du budget 2020.

 

Troisièmement : Sur la constitutionnalité de l'article 82 contesté.

Considérant que l'article 82 de la loi n° 144 du 31/7/2019 dispose ce qui suit :

« Il est prélevé 1,5% (un et demi pour cent) du salaire ou de la pension sur l'assiette des salaires et pensions des militaires de tous cadres, et les recettes sont portées au Trésor public au titre de bénéfice des prestations médicales, hospitalières et assistance sociale. Sont exclus de ce prélèvement les bénéficiaires des pensions de retraite des martyrs de l'armée et des forces de sécurité, des handicapés et des blessés de guerre, tels que définies par les dispositions de l'article 85 de la loi sur la défense nationale ».

Considérant que, conformément à l'article 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, auquel le Liban s'est engagé en vertu du paragraphe (B) du Préambule de la Constitution susmentionné, la fourniture par l'État de soins de santé et sociaux, etc.., se fait dans la mesure de ses ressources.

Considérant que le fait de prélever 1,5 % du salaire ou de la pension au titre du bénéfice de l'assistance médicale, hospitalière et l’assistance sociale, avec l'exception mentionnée à l'article 82, est fondé sur un motif légal justifié, analogue à la cotisation versée par les fonctionnaires et retraités de l'État à la coopérative des fonctionnaires de l'État en contrepartie du bénéfice des prestations et services, notamment médicaux et 'hospitaliers, que leur fournit la coopérative, et également à l'instar des juges en service et les juges honoraires qui versent une cotisation mensuelle en contrepartie du bénéfice de leur caisse mutuelle.

Considérant que l'article 82 contesté n’est pas soumis aux garanties à valeur constitutionnelle que dans la mesure où il respecte les dispositions de l'article 22 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à laquelle le Liban a adhéré et l'a inscrit dans le Préambule de sa Constitution, ce qui est le cas présent.

Considérant que le principe de stabilité juridique et de stabilité de l'emploi ne fait pas partie des principes à valeur constitutionnelle, étant donné que le salarié se trouve dans une situation régulière qui ne lui donne aucun droit au maintien du régime antérieur.

Considérant que le texte de l'article 82 ne méconnait pas le principe de l’universalité du budget tant que le prélèvement de 1,5% est opéré en tant que recette du Trésor et n'est pas affecté à la couverture d'une dépense spécifique.

Considérant que l'article 82 contesté ne viole donc pas la Constitution, il convient d'en déclarer la constitutionnalité.

 

Cinquièmement : Sur la constitutionnalité de tous les articles de la loi n° 144 du 31/7/2019.

Considérant que le recours visant au contrôle de la constitutionnalité de la loi n'est pas un recours à caractère personnel, mais relève de l'ordre public constitutionnel attaché à toute loi adoptée et promulguée, il revient donc de la compétence du Conseil constitutionnel, afin de préserver l'ordre public susvisé, de mettre la main d’office sur toute violation des dispositions de la Constitution qui aurait entaché la loi qui fait l'objet du recours, sans se limiter  aux demandes des requérants ni à la lettre de leurs allégations[5].

Considérant qu’il convient, conformément à la jurisprudence de ce Conseil, d'examiner successivement la constitutionnalité de l'article 67, du dernier alinéa de l'article 80 et de l'article 84 de la loi n° 144/2019.

a-      Concernant la constitutionnalité de l'article 67 de la loi n° 144/2019.

Considérant que l'article 67 de la loi n° 144/2019 stipule ce qui suit :

« Article 7 : Exonération des condamnés du paiement des amendes fiscales.

Exceptionnellement et pour une seule fois, tous les condamnés qui ont purgé leur peine et qui sont encore incarcérés pour ne pas avoir payé les amendes fiscales auxquelles ils ont été condamnés sont exemptés de toute amende de quelque nature qu'elles soient afin de pouvoir être libérés de prison, et les prisonniers non-libanais seront remis à la Sûreté générale libanaise pour être expulsés selon les règles. Les personnes reconnues coupables de facilitation de stupéfiants sont exclues de cette procédure. »

Considérant que l'article 67 précité exonère tous les condamnés, à l'exception de ceux reconnus coupables de facilitation de trafic de stupéfiants, des « amendes fiscales auxquelles ils ont été condamnés ».

Considérant qu’il convient d’opérer une distinction entre l'amende judiciaire infligée par les tribunaux, qu'il s'agisse d'une peine contraventionnelle de droit commun (art. 39-3 peines) ou d'une peine politique (art. 40-3 peines) ou d'une amende vexatoire (art. 41-2 peines ) ou un remplacement de l'emprisonnement si le tribunal a jugé des circonstances atténuantes au profit d'une personne condamnée pour un délit (art. 254 peines) et autres cas, et entre une amende administrative ou pécuniaire de nature administrative,

Considérant que l'exonération du paiement des sanctions pénales prévues à l'article 67 avec la peine de l'amende pécuniaire prononcée, prévue dans la loi sur le Budget public, viole de manière flagrante le principe de séparation, d'équilibre et de coopération des pouvoirs constitués, car elle constitue une ingérence dans le travail du pouvoir judiciaire en termes de suppression des décisions rendues,

Considérant que l'article 67 constitue également l'un des cavaliers budgétaires en raison du rattachement de l’amnistie générale au budget de l'Etat,

Par conséquent, il convient de déclarer inconstitutionnel l'article 67 de la loi n° 144 du 31/7/2019 et de l'annuler.

 

b-       Sur la constitutionnalité du dernier alinéa de l'article 80 de la loi n° 144/2019.

Considérant que l'article 80, dans ses trois premiers paragraphes, obligeait le gouvernement à mener une enquête approfondie sur les travailleurs du secteur public et à mettre fin à tous les cas d'emploi et de nouveaux contrats dans le secteur susmentionné, à l'exception des juges, des professeurs de l'Université libanaise, des fonctionnaires de la première catégorie, les pres et membres des Conseils d'administration des organismes et établissements publics, et le recrutement des volontaires de la défense civile,

Ensuite, l’article susmentionné précise dans son dernier paragraphe ce qui suit :

« Est préservé le droit des candidats admis aux concours et examens organisés par le Conseil de la fonction publique sur décision du Conseil des ministres et dont les résultats sont dûment proclamés par leur nomination dans les administrations publiques ».

Considérant qu'au paragraphe (C) de son Préambule, la Constitution prévoit l'égalité en droits et devoirs de tous les citoyens sans distinction ni préférence, et à l'article 7 que les Libanais sont égaux devant la loi et assument les charges et devoirs publics sans aucune différence entre eux, et à l'article 12 que tout Libanais a le droit d'exercer des fonctions publiques et que nul n'a d'avantage sur un autre qu'en termes de mérite et de compétence, selon les conditions prévues par la loi.

Considérant que, en premier lieu, la préservation du droit de ceux qui ont réussi aux concours et examens organisés par le Conseil de la fonction publique sur décision du Conseil des ministres et dont les résultats ont été régulièrement proclamés, en les nommant dans les services compétents , sans déterminer une période ou un délai pour la préservation de leur droit, viole le principe de l'égalité des Libanais dans l'exercice des fonctions publiques prévu à l'article 12 de la Constitution en bloquant la voie pour les autres Libanais de postuler aux fonctions réservées aux  personnes ayant réussi le concours pour une durée indéterminée.

Considérant que, en second lieu, le dernier alinéa de l'article 80 est imprécis et ambigu, entraînant une confusion et la possibilité d'une application arbitraire de ses dispositions parce qu'il ne comporte pas de précisions ni même des éléments de détermination des concours et examens organisés par le Conseil de la fonction publique, et ne détermine pas la décision du Conseil des ministre en vertu de laquelle ces concours et examens ont eu lieu, nonobstant le fait  de ne pas indiquer si le délai de nomination après l'annonce des résultats est écoulé ou est toujours en cours.

Considérant que, en troisième lieu, si l’interruption des recrutements et des nouveaux contrats sous toutes leurs formes, est étroitement rattaché au budget public du fait où sa poursuite entraine une augmentation des dépenses publiques, toutefois, la disposition du dernier alinéa de l'article 80 constitue de manière évidente un cavalier budgétaire.

Considérant que la jurisprudence constitutionnelle, libanaise et française, est unanime pour dire que les textes législatifs qui manquent de clarté et de précision et qui permettent à l'administration d'appliquer arbitrairement ces textes sont inconstitutionnels, et il en est de même des cavaliers budgétaires qui n'ont absolument pas leur place, directement ou indirectement, dans le budget et dans son concept.

Toutefois,

Considérant que le dernier alinéa de l'article 80, malgré son incompatibilité avec la Constitution, pose une question épineuse liée, même indirectement, à l'interprétation de l'article 95 de la Constitution.

Considérant que le Président de la République a adressé au Parlement une question requérant l’interprétation de l'article 95 de la Constitution, et que la Chambre des députés est désormais maître de la question (et a déjà fixé la date de la séance d'interprétation de l'article 95 au 17 octobre 2019).

Par conséquent, le Conseil constitutionnel ne décide pas d’annuler le dernier alinéa de l'article 80.

 

c-      Sur la constitutionnalité de l'article 84 de la loi n° 144/2019.

Considérant que l'article 84 dispose ce qui suit :

« Article quatre-vingt-quatre : Le cumul de la pension de retraite et de toute somme mensuelle, quelle qu'en soit la dénomination, versée sur les deniers publics ne peut excéder vingt fois le salaire minimum. Contrairement à tout texte général ou spécial, et en cas d'affectation à des missions de consultation ou d'enseignement à l'Université Libanaise ou à des emplois techniques à la Direction Générale de l'Aviation Civile nécessitant des retraités expérimentés jusqu'à ce que des postes vacants soient pourvus, ou à des emplois dont le texte légal permet la nomination des retraités parmi ceux qui ont droit à une pension de retraite et à des attributions, le total des sommes perçues par mois ne peut excéder 20 fois le minimum ».

Considérant qu’il ressort de la lecture de l'article précité qu'il est entaché d'une part par la contradiction entre son titre et son contenu et d'autre part par le manque de clarté de sa formulation ou de son contenu, qui ouvre la voie à son application par les autorités administratives de manière arbitraire et discrétionnaire.

En outre,

Considérant que l'ambiguïté de l'article 84 peut conduire à son application à tous les titulaires des pouvoirs constitués, y compris le Conseil constitutionnel, dont les membres ou certains d'entre eux appartiennent à la catégorie des retraités qui perçoivent une pension, et qui seront donc soumis à la règle des vingt fois, tandis que ceux qui reçoivent une compensation de licenciement ne sont pas soumis à cette règle, ce qui viole le principe d'égalité à valeur constitutionnelle.

Considérant que les titulaires des pouvoirs  constitués, y compris les membres du Conseil constitutionnel, ne font pas partie des fonctionnaires que l’ambiguïté du texte expose à la possibilité d'être couverts par ses dispositions, en violation de la Constitution qui a élevé le Conseil constitutionnel au rang constitutionnel comme conséquence de sa création et de la détermination de ses compétences en vertu d'un texte constitutionnel, en l’occurrence l'article 19 de la Constitution, qui en fait un pouvoir constitué prévu par la Constitution dans son chapitre deux sous le titre « Les pouvoirs » et au chapitre premier de celle-ci sous le titre « Dispositions générales », parmi les pouvoirs constitués.

Considérant qu'un pouvoir constitué dont la compétence et l’indépendance sont réservées, et dont les décisions jouissent non seulement de l’autorité de la chose décidée, mais également d’une force obligatoire à l’égard de toutes les autorités publiques, judiciaires et administratives, dès lors il est impossible de porter atteinte à sa compétence et à son indépendance en rendant les attributions de ses membres symboliques, en leur appliquant les dispositions ambiguës de l'article 84.

Considérant qu’on ne peut y répondre que l'article 84 peut être interprété comme s'inscrivant dans le cadre d'une loi ordinaire et non constitutionnelle, ce qui serait conforme à l'article 19 de la Constitution qui réserve à la loi ordinaire la question de la détermination des règles d'organisation du Conseil constitutionnel, car la réduction ou la possibilité de réduction des attributions des membres du Conseil constitutionnel au point de rendre leur valeur symbolique pour ceux d’entre eux qui bénéficient d'une pension de retraite ou d'une indemnité de licenciement,  porterait atteinte à l'article 19 de la Constitution et à l'indépendance des membres du Conseil constitutionnel dans l'exercice de leurs fonctions.

Considérant que, sur base de ce qui précède, il convient d’annuler l'article 84 pour sa violation de la Constitution en raison de son ambiguïté[6].

Pour ces motifs,

Il est décidé à la majorité :

Premièrement : Dans la forme :

Déclarer les deux requêtes recevables car elles sont soumises dans le délai légal et qu'elles réunissent toutes les conditions de forme.

Deuxièmement :

Joindre les recours n° 4/2019 et n° 5/2019 et de les examiner ensemble.

Troisièmement, dans le fond :

1-      Déclarer inconstitutionnel et donc partiellement nul l'article 26 pour le motif que les juges ne sont pas mentionnés parmi les personnes exemptées du régime de suppression de l'exemption qu'il contient.

2-      Déclarer inconstitutionnel et donc partiellement nul l'article 94 en ce qu'il n'exclut pas personnellement les juges et la Caisse mutuelle des juges de ses dispositions, et d’annuler et supprimer les mots « progressif » et « progressivement ».

3-      Déclarer l'article 89 inconstitutionnel et l'annuler (partiellement) et maintenir le bénéfice des magistrats transférés et affectés de la magistrature judiciaire, administrative et financière aux cadres des administrations publiques ou des établissements publics, exclusivement des allocations de la Mutuelle des Magistrats.

4-      Déclarer l'article 27 partiellement inconstitutionnel et partiellement nul en ce qu'il n'attribue pas aux juges constitutionnels, judiciaires, administratifs et financiers, les juges charia et druzes et ecclésiastiques, l'une des lettres J ou R pour leurs plaques d'immatriculation, selon leur affiliation.

5-      Rejeter la demande d'annulation de la réduction de 10% de la contribution de l'État à la Caisse mutuelle des juges dans le budget 2019, car cette réduction ne contrevient pas aux dispositions de la Constitution.

6-      Rejeter la demande d'annulation de l'article 72 pour être conforme aux dispositions de la Constitution.

7-      Déclarer l'article 81 partiellement inconstitutionnel et donc l'annuler partiellement pour avoir inclus l’expression « Conseil constitutionnel, juges » et l'expression « Tribunaux charia et druzes » dans ses dispositions et de supprimer les deux expressions susmentionnées.

8-      Déclarer la constitutionnalité de l'article 83.

9-      Déclarer la constitutionnalité de l'article 90.

10-  Rejeter le recours visant à la nullité des articles 23, 47 et 48 sur la base des motifs contenus dans le corps de la décision.

11-  Déclarer la constitutionnalité de l'article 82.

12-  Déclarer inconstitutionnel et donc la nullité de l'article 67 en entier.

13-  S’abstenir d'examiner la constitutionnalité de l'article 80 sur la base des motifs susmentionnés.

14-  Déclarer inconstitutionnel et par conséquent la nullité de l'article 84 entier.

15-  Notifier cette décision aux instances officielles compétentes et la publier au Journal Officiel.

 

Décision rendue le 12/09/2019

Les membres :

Elias Mashreqani (avis dissident), Fawzat Farhat, Omar Hamza (avis dissident), Riyad Abou Ghaida, Abdallah Al-Chami, Antoine Bridy, Elias Bou Eid (avis dissident), Awni Ramadan 

Le Vice-président : Akram Baassiry

Le Président : Tannous Mechhleb

 

 



[1] Les Grandes Décisions du Conseil Constitutionnel, Dalloz, 19ème éd., 29 déc.1994, nº94-351 DC, 24, III, 7, p.360.

Voir également la décision du Conseil constitutionnel libanais n° 2/2018 du 14 mai 2018, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 2015-2019, V.III, n° 47, p.110, n° 8.oi

[2] V. Décision du Conseil constitutionnel n° 5/2017 du 22/09/2017, op.cit., n° 45, p. 75 et s.

[3]Olivier Fouquet, le Conseil constitutionnel et le principe d’égalité devant l’impôt.

      www.conseil-constitutionnel.fr

-Décision du Conseil constitutionnel nº2010-70-QPC du 26.11.2010

[4] Décision du Conseil constitutionnel libanais n° 5/2017 du 22/09/2017, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 2015-2019, V. III n° 45, p. 75 et s.

[5] Décision du Conseil constitutionnel n° 2/99 du 24 novembre 1999, Recueil de décisions du Conseil constitutionnel 1994-2014, V.I, Décisions sur la constitutionnalité des lois, p. 81 et s, n° 10,

- Décision n° 4/2001 du 29/09/2001, op.cit., n° 19, p.159 et s.

[6] Décision du Conseil constitutionnel n° 1/2005 du 6/8/2005, Recueil des décisions du Conseil constitutionnel 1994-2014, V.I, n° 25, p. 259 et s. Et Décision n° 5/2017 du 22/09/2017, op.cit., V.III, 2015-2019, n° 45, d.75 et ce qui suit.