Décision No. 5/2014



Le Conseil constitutionnel

 Réuni en son siège le 13/6/2014 sous la présidence de son Président M. Issam Sleiman et en présence de son Vice-président

M. Tarek Ziadeh et des membres, MM. Ahmed Takieddine,
Antoine Messarra, Antoine Khair, Zaghloul Attieh, Toufic Soubra, Souheil Abdel Samad, Salah Moukheiber, Mohamed Bassam Mourtada.

            Conformément à l’article 19 de la Constitution.

            Et après examen des deux dossiers du recours qui furent joints en vertu d’une décision du Conseil constitutionnel en raison de l'unicité de l'objet, visant à l’annulation des articles de la loi contestée, et après examen de tous les documents joints,

Et après examen du rapport du membre rapporteur du 30/5/2014.

Considérant que le Président de la République a soumis un recours enregistré au greffe du Conseil constitutionnel le 20/5/2014 en requérant l’annulation de la loi promulguée le 8/5/2014 et publiée à l’annexe du no 20 du Journal officiel paru le 8/5/2014 – relative aux loyers – concernant ses dispositions qui méconnaissent les textes et règles impératifs prévus par la Constitution libanaise et les conventions et traités internationaux auxquels le Liban a adhéré, et de façon subsidiaire, de requalifier ces dispositions et de les clarifier de façon à atteindre l'objectif escompté et à assurer son application sans entraves ou difficultés.

Considérant que Messieurs les députés dont les noms sont mentionnés dans la deuxième requête no 4/2014 ont enregistré leur recours au greffe du Conseil constitutionnel le 22/5/2014 en requérant la suspension de la mise en application et l’annulation de l’intégralité de la loi sur les loyers promulguée le 8/5/2014 et publiée à l’annexe du no 20 du Journal officiel paru le 8/5/2014 pour être contraire aux deux articles 56 et 57 de la Constitution libanaise, pour méconnaître le Pacte de vie commune et le droit au loyer et à la vie et pour méconnaître l’égalité devant la loi et la justice sociale conformément aux paragraphes B, C, I, et J du Préambule de la Constitution et son article 7, et deuxièmement l’annulation des chapitres I et II de la loi contestée, de l’article premier jusqu'à l’article 37, l’annulation de ladite loi pour être contraire à l’article 36 de la Constitution joint à l’article 75 du Règlement intérieur de la Chambre des députés et l’article 20 de la Constitution, l’annulation du chapitre III de la loi, de l’article 38 jusqu’à l’article 42, pour être contraires au principe de l’égalité devant la loi et la justice sociale ainsi que l’article 7 de la Constitution, et l’annulation du chapitre IV à compter de l’article 43 jusqu’à l’article 55, pour les mêmes motifs susmentionnés, et ensuite annuler le chapitre V pour être contraire au principe de l’égalité et à la justice sociale prévus par le Préambule de la Constitution et à son article 7. 

 

Sur la base de ce qui précède

 

            Considérant que le texte contesté constitue le texte publié au Journal officiel du 8/5/2014.

Considérant que ledit texte a été publié à une date où la loi promulguée par la Chambre des députés n’était pas en vigueur de plein droit en vertu du dernier alinéa de l’article 57 de la Constitution.

Considérant qu’il en découle que les éléments dudit article ne sont pas réunis, et par conséquent la loi n’est pas en vigueur.

Considérant que cette réalité empêche le contrôle de la constitutionnalité d’une loi dont les éléments de constitution étaient incomplets à la date de sa publication, la loi n’est pas donc exécutoire.

 

Sur ce

 

Le Conseil constitutionnel décide à la majorité,

            de l’impossibilité d’examiner les deux recours soumis vu que la loi contestée n’est pas exécutoire.

 

               Décision rendue le 13/6/2014.


Avis dissident du membre du Conseil constitutionnel
M. Antoine Messarra

 

 

La loi contestée est recevable en la forme et en ce qui concerne la date de promulgation et de publication.

 

Considérant que la compétence du Conseil constitutionnel porte sur le recours relatif à la constitutionalité des lois quant au contenu des lois et la qualité des requérants et, de façon subsidiaire, à la procédure exécutive au cas où elle aurait des conséquences sur ces contenus.

Considérant qu’il est nécessaire de distinguer dans la publication d’une loi entre son exécution et son contenu, et de distinguer également entre la promulgation et la publication,

Considérant que la publication constitue une formalité substantielle seulement concernant la mise en vigueur de la loi et sa publicité,

Considérant que la promulgation est liée à la volonté du titulaire du droit de promulguer, et que cette volonté est celle du Président de la République, soit le Requérant, volonté ferme, déclarée et concrétisée dans le recours soumis en Conseil constitutionnel.

Considérant que la promulgation d’une loi constitue au niveau constitutionnel : « la constatation par le chef de l’Etat de l’existence d’une loi promulguée par le Parlement dont il ordonne l’exécution, et par ce constat il renonce à son droit de demander au Parlement d'en délibérer de nouveau », alors que la publication est une : « mesure visant à informer le public de l'acte juridique pour le porter à sa connaissance et le soumettre à ses dispositions, comme la publication des lois et décrets au Journal officiel » :

 

Ibrahim Najjar, Ahmed Zaki Badaoui et Youssef Chellalah, Dictionnaire juridique français-arabe, Beyrouth, Librairie du Liban, éd. 1983, pp. 232, et nouvelle édition 2009, pp. 496 et 499.


Ou en d’autres termes :

La promulgation (droit constitutionnel) “est l’acte par lequel le Chef de l’Etat constate officiellement l’existence de la loi et la rend exécutoire »,

alors que la publication (droit administratif) « est un mode de publicité employé normalement en matière d’actes réglementaires, et consistant à diffuser la connaissance de l’acte en cause au moyen de modes de communication de masse, en particulier par l’insertion dans un recueil officiel de textes (pour l’Etat : le Journal officiel)” :

 

R. Guillien et J. Vincent (dir.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, éd. 1999, 562 p., pp. 422 et 426.

Denis Alland et Stephane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige /Lamy-PUF, éd. 2003, 1650 p., pp. 426-427.

 

Considérant que la promulgation des lois constitue l’une des fonctions du Président de la République et elle est corrélée aux relations liant les deux pouvoirs législatif et exécutif, par conséquent le Conseil constitutionnel ne contrôle pas la constitutionnalité de la promulgation ou de la publication, sauf dans le cas où le contenu de la loi présente une différence entre le texte promulgué par la Chambre des députés et le texte publié, ou au cas d’un dommage résultant de la publication de la loi contrairement à ce que la loi dispose sur les conditions et le délai de sa publication.

Considérant que le droit de promulguer les lois est l'une des prérogatives attribuées au Président de la République spécifiquement, et qu’il est le seul à détenir le droit de soumettre un recours en la forme auprès du Conseil constitutionnel au cas où ce droit lui est arraché avant qu’il n’ait expressément exprimé son approbation ou son refus.

Considérant que le Président de la République est le titulaire du droit absolu, principal et exclusif de promulguer les lois et de soumettre un recours auprès du Conseil constitutionnel, aucune violation de la publication et de la promulgation n’est prise en considération selon les règles de procédure et conformément aux articles 56 et 57 de la Constitution.

Considérant que le titulaire du droit absolu, principal et exclusif de promulguer les lois est le Président de la République, le principe de « l'expiration du délai » ne sera pas pris en considération (article 57 de la Constitution) en l’absence d’une preuve d'un quelconque dommage ou atteinte à un droit résultant de la publication avant l’expiration du délai.

Considérant que le fait de se prévaloir de la « non-expiration du délai » en vue de la publication, ne change pas la réalité de la publication, de l’entrée en vigueur de la loi et de l’obligation de sa publication (article 57).

Considérant que l’expression « dans un mois » figurant aux articles 56 et 57 de la Constitution signifie une durée imprécise qui pourrait être plus longue ou plus courte selon la volonté du titulaire du droit exclusif et son avis quant à la promulgation et la publication.

Considérant que l’expression « dans » prévue à l’article 56 de la Constitution signifie littéralement :

 

« Durant, pendant, au cours de, dans le courant de, en l’espace de, dans un délai de, dans l’intervalle, pendant ce temps là… 

« during, while, within, through, between… »:

Dr. Rohi Baalbaki, Al-Mawrid Al-Thulathi (Dictionnaire juridique trilingue – arabe-français-anglais), Beyrouth, Dar El-Ilm Lilmalayin, Deuxième édition, 2004, p.277.

 

L’expression « fi khilal » fut traduite à la version française de la Constitution par l’expression :

 

« Dans le mois qui suit la transmission », et le mot « dans » ici est la traduction exacte de l’expression « fi khilal », qui signifie :

« Pendant, avant la fin de… » :

Le Robert, Dictionnaire de la langue française, éd. 2005, 10 vol., vol. 3,
p. 149.

 

Dans la langue française par exemple, une distinction entre d’ici un mois qui est différente de « d’ici à un mois », qui signifie un délai maximal obligatoire :

 

Maurice Grevisse, Le bon usage, Paris, Duculot, éd. 1969, 1228 p., p. 908
(no 916/4).

 

Considérant que la loi no 646 du 2/6/1997 « relative aux délais de la publication des lois, décrets et décisions au Journal officiel », en application des articles 51, 56 et 57 de la Constitution, distingue entre la publication et la promulgation.

Considérant que l'alinéa suivant de l’article 57 de la Constitution fut ajouté en vertu des amendements du 21/9/1990 et constitue l’un des plus importants amendements :

 

« Au cas où le délai est expiré (« dans un mois ») sans que la loi ne soit promulguée ou renvoyée, elle est considérée exécutoire de plein droit et doit être publiée. »

 

Et ce aux fins de combler le vide dans le texte précédant et en tant qu’obligation imposée sur le Président de la République :

 

Se référer à la décision no 259 du 24/12/1987 du Bureau de la Chambre des députés, les journaux du 23/1/1988, et la réunion de la Chambre des députés du 18/1/1988, et la consultation de Georges Vedel du 8/12/1979 :

Béchara Menassa, Dictionnaire de la Constitution libanaise, Beyrouth, Dar an-Nahar, 2010, 500 p., pp. 254-261.

 

Considérant que dans le cas présent précisément, la publication eut lieu quelques jours avant la fin du mandat du Président de la République qui est le titulaire du droit principal, absolu et exclusif au recours.

Considérant que la possibilité du transfert de la présente compétence à la Chambre des députés en cas de vacance de la Présidence de la République porte atteinte à ce droit issu d’une conviction personnelle du Président de la République sur la constitutionnalité ou l’inconstitutionnalité de la loi, lequel pourrait dévier de sa finalité au cas où son exercice est transféré à un autre pouvoir exécutif collectif.

Considérant que le droit de soumettre un recours relatif à une loi, s’il est restreint de manière constitutionnelle à la personne du Président de la République, la personne du Président de la Chambre des députés ou la personne du Premier ministre (sans mentionner les autres cas), et non pas à un nombre de députés ou à un pouvoir collectif quel qu'il soit, n’est pas transféré à un autre Président de la République sur le même objet sans conviction personnelle de la nécessité du recours, ni au Conseil des ministre réuni, et ce sous la condition de l’approbation de plus d’un ministre. Par conséquent, l’éventualité du recours relatif à





la loi contestée conduit pratiquement à un empêchement d'exercer ce droit ultérieurement, ou à un changement dans son autorité constitutionnelle.

Considérant que le Conseil constitutionnel est compétent pour examiner les recours relatifs aux lois et non pas leur publication qui est une mesure administrative.

Pour tous ces motifs, le recours est recevable en la forme.

 

Avis dissident

Antoine Messarra