Décision No. 1/2016
Le Conseil constitutionnel, réuni en son siège le 7/1/2016 sous la présidence de son président Issam Sleiman, et la participation du vice-président Tarek Ziadé et des membres MM. Ahmad Takieddine, Antoine Messarra, Antoine Khair, Zaghloul Attié, Toufic Soubra, Souheil Abd el-Samad, Salah Moukhaiber et Mohammad Bassam Mortada,
En conformité avec l’article 19 de la Constitution.
Et après examen du dossier de saisine, des documents joints, du Procès-verbal de l’Assemblée nationale sur la loi no 41 du 24/11/2015 relative à la détermination des conditions de recouvrement de la nationalité libanaise et les motifs soulevés par les requérants et du rapport du rapporteur,
Considérant que les députés susmentionnés ont présenté un recours inscrit au greffe du Conseil le 11/12/2015 visant à la suspension de la mise en application de la loi relative aux conditions de recouvrement de la nationalité libanaise et l’annulation de la condition qui a privé toute personne ayant choisi explicitement ou implicitement la nationalité d’un autre Etat détaché de l’Empire ottoman de recouvrer la nationalité libanaise.
Considérant que les députés requérants soulèvent les motifs suivants :
Considérant que la loi contestée établit une exception injustifiée à la règle de répartition géographique et de discrimination raciale voire confessionnelle, ce qui constitue une violation de la Constitution qui garantit à tous les citoyens l’égalité entre eux et rejette toute discrimination fondée sur le sexe, la race, la religion ou l’appartenance. Ceci a incité la Chambre des députés à l'occasion de la discussion de ladite loi à la séance du 13/11/2015 à adopter une recommandation pour l'explication de l’alinéa relatif aux ressortissants des Etats détachés de l’Empire ottoman en vue d’éviter toute discrimination entre les Libanais d’origine et les droits de ces derniers. Ce qui signifie que la Chambre des députés a considéré que la loi promulguée comprend une discrimination entre des Libanais et viole leurs droits garantis par la Constitution.
Considérant que les requérants ont allégué des motifs suivants :
1er motif : Violation de la loi contestée du Paragraphe B du Préambule de la Constitution qui dispose : « Le Liban est engagé par les Pactes de l’Organisation des Nations Unies et par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. L’Etat concrétise ces principes dans tous les champs et domaines sans exception. » Ainsi, l’exception est fondée sur le racisme et contrevient par conséquent aux articles 7 et 15 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et les principes de la Charte des Nations Unies qui disposent : « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination ». Quant à l’article 15 de cette même déclaration, il dispose : « Tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changement de nationalité. » Ce qui nécessite l’annulation des dispositions de la loi qui portent atteinte à l’unité des Libanais et à leur Pacte national.
2ème motif : Violation de la loi des alinéas C, I et J du Préambule de la Constitution. L’alinéa C reconnaît l’égalité des droits et obligations entre les citoyens sans distinction ni préférence. L’alinéa I dispose : « Il n’est point de discrimination entre la population fondée sur une quelconque allégeance, ni de division, ou de partition ou d’implantation », et l’alinéa J précise que « aucune légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredit le Pacte de vie commune ». Or l’alinéa susmentionné de la loi contestée constitue une violation dudit Préambule.
3ème motif : Violation de la loi des articles 6 et 7 de la Constitution. L’article 6 dispose que « la nationalité libanaise, la manière dont elle s’acquiert, se conserve et se perd, sera déterminée par la loi. » L’article 7, précise : « Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune. » Or la privation d’une partie ou catégorie de Libanais d’un de leurs droits civils et politiques constitue une violation desdits droits et est considérée une discrimination fondée sur la race, la religion et l’appartenance, d’où l’annulation de ladite loi ou du moins de la condition prohibitive précitée.
Sur la base de ce qui précède :
Premièrement : dans la forme :
Considérant que la saisine présentée par onze députés dans le délai fixé par le dernier alinéa de l’article 19 de la loi no 250/1993 et réunit toutes les conditions de forme, et est donc recevable en la forme.
Deuxièmement : concernant la suspension de la mise en application de la loi :
Le Conseil constitutionnel a examiné la requête visant à la suspension de la mise en application de la loi contestée lors de sa séance du 14/12/2015, et après délibération, a décidé à l'unanimité qu'il n'y avait pas lieu de suspendre l'application de ladite loi.
Troisièmement : dans le fond :
Considérant que l’égalité entre les citoyens est un principe constitutionnel prévu par la Constitution et par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, et par lequel le Liban est engagé dans le Préambule de la Constitution.
Considérant que la doctrine et la jurisprudence constitutionnelles considèrent que l’égalité entre les citoyens implique une égalité entre des individus se trouvant dans les situations juridiques similaires et non entre des individus et catégories se trouvant dans des situations juridiques distinctes.
Considérant que ceux qui n’ont pas choisi la nationalité d’un Etat détaché de l’Empire ottoman d’une part, et ceux qui ont choisi la nationalité d’un Etat détaché de l’Empire d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation juridique similaire, mais dans deux situations juridiques distinctes.
Considérant que le principe d’égalité prévu dans la Constitution et dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ne s’applique pas à ceux dont les situations juridiques sont différentes.
Considérant que ceux qui détenaient la nationalité ottomane avaient le droit d’acquérir la nationalité d’un des Etats détachés de l’Empire ottoman.
Considérant que tout individu qui a choisi la nationalité de l'un des Etats détachés de l’Empire ottoman a joui du droit à la nationalité qui consacre son appartenance juridique et politique à cet Etat, et par conséquent n'a plus le droit d'acquérir la nationalité d’un autre Etat détaché de l’Empire ottoman.
Considérant que tout individu qui n’a pas choisi la nationalité de l’un des Etats détachés de l’empire ottoman, et fut ressortissant de cet empire, n’a pas joui de son droit naturel d’acquérir la nationalité de l’un des Etats détachés dudit Empire.
Considérant que le principe d’égalité ne peut s’appliquer à celui qui a bénéficié du droit de nationalité de l’un des Etats de l’Empire ottoman et celui qui n’en a pas jouit.
Considérant que la loi contestée n’a pas distingué entre les personnes se trouvant dans des situations juridiques similaires, mais entre des personnes se trouvant dans deux situations distinctes.
Considérant que le principal objectif de la loi contestée, est d’accorder à tous les Libanais qui n’ont pas choisi précédemment la nationalité libanaise un nouveau délai afin d’acquérir ladite nationalité conformément aux lois en vigueur.
Considérant que la loi contestée n’a aucunement distingué entre les individus sur la base de la race, la religion et l’appartenance, mais a consacré une règle générale et globale dont bénéficient les Libanais.
Par conséquent, la loi contestée n’a pas méconnu le principe d’égalité prévu dans la Constitution.
Pour ces motifs
Et après délibération,
Le Conseil constitutionnel décide à la majorité.
1. Dans la forme : La recevabilité du recours présenté dans le délai légal et remplissant toutes les conditions formelles.
2. Dans le fond : Le rejet du recours en annulation de la loi no 41 relative à la détermination des conditions de recouvrement de la nationalité, publiée au Journal officiel no 48 du 26/11/2015.
3. La notification de la décision aux autorités officielles compétentes et sa publication au Journal officiel.