Décision No. 3/2000



Le Conseil constitutionnel

 Réuni en son siège en date du 15/6/2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres : Adib Allam, Michel Turkieh, Kamel Ridan, Antoine Khair, Khaled Kabbani, Hussein Hamdane, Fawzi Abou Mrad et Salim Jreissati.

Après examen du dossier du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur.

Considérant que les députés susnommés ont présenté un recours enregistré au greffe du Conseil constitutionnel sous le numéro 3/2000 en date du 10/6/2000 visant à annuler la loi no 217 du 29/5/2000 relative à l'annulation de l'alinéa 7 de l'article 1 de la loi no 641 du 2/6/1997 qui modifie l'article 51 du décret-loi no 102 du 16/9/1983 relatif à la défense nationale  pour être contraire à la Constitution et notamment au principe d'égalité devant la loi.

Considérant que les Requérants allèguent qu'en vertu de la loi no 641 du 2/6/1997, l'article 51 du décret-loi no 102 du 16/9/1983 a été modifié (la loi sur la défense nationale) et les alinéas 6 et 7 ont été ajoutés audit article 51. L'article 7 prévoit que "le général de brigade peut démissionner de l'armée. Dans le cas où sa démission est acceptée, il est mis à la retraite et reçoit la totalité de ses droits en tant que major général ayant servi jusqu'à l'âge de 59 ans, à l'exception du poste pour lequel il perçoit une rémunération uniquement ; cependant, il perd ce droit dans le cas où il ne l'exerce pas durant les deux années précédant l'âge légalement prévu pour la promotion d'un général de brigade." Un grand nombre de généraux de brigade ont bénéficié de ce texte après que leur démission eut dûment été acceptée. Le 1/6/2000, la loi no 217 contestée fut promulguée. Son article unique prévoit ce qui suit :

"L'alinéa 7 de l'article 1 de la loi no 641 du 2/6/1997 est abrogé, toutefois, les généraux de brigade en service de manière effective à la date de promulgation de ladite loi ainsi que ceux dont les noms figurent sur les listes de promotion pour l'an 2000 continuent de bénéficier de ses dispositions", ce qui signifie que les effets de l'article 7 seront suspendus en vertu du nouveau texte le 31/12/2000, à minuit. En d'autres termes, les officiers qui seront promus au grade de général de brigade le 1/1/2001 à 00:00 heures ou le 31/12/2000 à minuit ne bénéficieront pas des dispositions de l'article susmentionné qui ne restent applicables qu'aux généraux de brigade avant cette date et cette heure. L'adoption d'un tel texte par le législateur est contraire aux dispositions de la Constitution, notamment à l'alinéa C du Préambule et à l'article 12 de la Constitution et, par conséquent, ceci est également contraire au principe d'égalité. Il convient donc de l'annuler pour les motifs suivants :

1. Les dispositions de la loi susmentionnée portent atteinte au principe d'égalité entre les officiers qui se sont enrôlés dans l'armée ou dans les forces de sécurité à la même date, à savoir, en 1969 et 1970 et qui n'ont pas été promus au grade de général de brigade jusqu'en 2000 et ceux qui ont été sélectionnés pour être promus, étant donné que le retard dans la promotion des premiers n'était pas dû à leur incompétence ou manque de mérite, mais plutôt au fait qu'ils n'ont pas été sélectionnés par l'autorité chargée de leur promotion, surtout que, au cours de certaines promotions précédentes, ladite autorité a modifié les usages adoptés pour la promotion des officiers, tels que prévus par la loi.

2. La modification de l'usage adopté pour la promotion des officiers lorsqu'ils ont atteint un niveau minimum d'ancienneté les habilitant à être promus à un grade plus élevé au cours des promotions des années 1991 et 1996 a retardé d'un an la promotion des officiers de 1969 et 1970, ce qui les a empêchés de bénéficier du texte ancien et a lésé une partie des officiers appartenant à la même promotion.

3. L'injustice qui a frappé les officiers des promotions de 1969-1972 et 1970-1973 qui ne bénéficieront pas, contrairement au reste des officiers, du texte de ladite loi est le résultat de la distinction opérée par le pouvoir discrétionnaire qui décide des promotions. Ladite loi est par conséquent contraire au principe d’égalité au sein de la même catégorie, ce qui porte atteinte à la hiérarchie militaire, surtout qu’une partie des officiers de la promotion de 1970 bénéficiera des dispositions de cette loi alors qu’une partie des officiers de la promotion de 1969 en sera privée.

4. Tout fonctionnaire, même si son statut est légal et réglementaire, ne peut invoquer un droit acquis lui permettant de bénéficier de dispositions précédentes. Or, la justice exige que ce principe admis par la jurisprudence administrative et constitutionnelle et qui ne peut être sujet à aucune contestation, soit négligé lorsqu’il porte atteinte au principe d’égalité au sein d’une même catégorie.

5. Si l’intention du législateur est de mettre un terme aux effets de ce texte, il peut le faire à l’avenir, vu le pouvoir discrétionnaire dont il jouit dans le cadre de la législation, tant que cette mesure ne porte pas atteinte à une règle constitutionnelle impérative, telle que le principe d’égalité.

 

Sur la base de ce qui précède

 

Premièrement : En la forme

Considérant que le présent recours est soumis dans le délai légal et remplit toutes les conditions de forme, il est donc recevable en la forme.

 

Deuxièmement : Dans le fond

Considérant que les Requérants requièrent l’annulation de la loi no 217 du 29/5/2000 qui vise à annuler l’alinéa 7 de l’article 1 de la loi no 641 du 2/6/1997 vu son inconstitutionnalité et vu qu’il est contraire au principe d’égalité entre les officiers de l’armée qui se sont enrôlés avant 1971.

Considérant que le principe d’égalité devant la loi est un principe constitutionnel général prévu au Préambule ainsi qu’à l’article 7 de la Constitution et consacré par la doctrine et la jurisprudence constitutionnelles qui lui reconnaissent une valeur constitutionnelle, indépendamment de tout texte exprès figurant à la Constitution.

Considérant que le principe d’égalité devant la loi n’est pas un principe absolu, qu’il est applicable aux personnes ayant le même statut juridique et qu’il autorise le législateur à traiter les personnes n’ayant pas le même statut juridique de manière différente, ainsi qu’à enfreindre le principe d’égalité pour des motifs relevant de l’intérêt général.

Considérant que la loi contestée no 217 comprend un article unique qui prévoit ce qui suit :

 

"L'alinéa 7 de l'article 1 de la loi no 641 du 2/6/1997 est annulé, à condition toutefois que les généraux de brigade en service de manière effective à la date de promulgation de ladite loi ainsi que ceux dont les noms figurent sur les listes de promotion pour l'an 2000 continuent à bénéficier de ses dispositions."

 

Considérant que l’alinéa 7 de la loi no 641 du 2/6/1997 relative à l’amendement de l’article 51 du décret-loi no 102 du 16/9/1983 (la loi sur la défense nationale) a autorisé le général de brigade à démissionner de l'armée. Dans le cas où sa démission est acceptée, il est mis à la retraite et reçoit la totalité de ses droits en tant que major général ayant servi jusqu'à l'âge de 59 ans, à l'exception du poste pour lequel il perçoit une rémunération uniquement ; cependant, il perd ce droit dans le cas où il ne l'exerce pas durant les deux années précédant l'âge légalement prévu pour la promotion d'un général de brigade.

Considérant que la loi contestée no 217 met un terme au bénéfice des officiers de l’armée des dispositions de l’alinéa 7 de la loi no 641 et réserve le droit d’en bénéficier à une catégorie d’officiers ayant accédé au grade de général de brigade et à ceux dont les noms figurent sur la liste de promotion au grade de général de brigade pour l’an 2000.

Considérant que la loi a distingué entre les officiers occupant le grade de brigadier général et entre les candidats à ce poste et entre les autres catégories d’officiers ayant des statuts juridiques différents à la date de promulgation de ladite loi, ce qui ne porte pas atteinte au principe d’égalité, étant donné la différence des statuts juridiques des parties bénéficiant des dispositions de ladite loi et des autres catégories d’officiers prétendument victimes de l’inégalité.

Considérant qu’il ne suffit pas que les officiers appartiennent au même corps militaire pour bénéficier des mêmes avantages prévus à la loi relative aux membres de ce corps, mais qu’il est nécessaire, en vue d’appliquer le principe d’égalité dans le traitement des différents officiers, que ces derniers aient des statuts juridiques similaires, faute de quoi ils peuvent être traités de manière différente.

Considérant que les Requérants attribuent cette différence dans les statuts juridiques des officiers qui se sont enrôlés dans l’armée et dans les forces de sécurité à la même date, à savoir en 1969 et 1970, à une erreur de la part du pouvoir dans l’application de la loi de laquelle résulte la promotion de certains et le retard dans la promotion d’autres, ce qui lèse cette dernière catégorie et qui est contraire au principe d’égalité entre ces derniers et les autres officiers.

Considérant que le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la légalité des décrets relatifs à la promotion ou des décisions d’enregistrement sur les listes de promotion, les résultats ou dommages qui en découlent ou encore la violation du principe d’égalité entre les officiers, étant donné que ceci relève de la compétence des autorités judiciaires prévues par la loi et qu’il est possible de présenter un recours contre lesdits décrets auprès de ces dernières.

Considérant que, d’une part, la loi objet du recours ne porte pas sur la régularisation ou la rectification des statuts des officiers pour que le principe d’égalité soit invoqué à son égard, mais qu’elle vise plutôt à suspendre les effets d’une loi qui porte atteinte à l’intérêt public et que, d’autre part, elle n’est pas contraire à la règle de la hiérarchie militaire, étant donné qu’elle profite exclusivement aux officiers indépendants qui ont accédé à un grade bien défini et n’impose aucune mesure de manière obligatoire mais se contente d’émettre une proposition, dont l’adoption ou le rejet dépendent de la volonté discrétionnaire de l’autorité administrative.

Considérant que, à supposer que la loi contestée opère une distinction dans la manière de traiter les officiers militaires ayant le même statut juridique, le législateur peut toujours enfreindre le principe d’égalité pour des motifs relevant de l’intérêt général.

Considérant qu’il appert de l’exposé des motifs, que la loi annulée est dépourvue de toute finalité et que persévérer dans son application prive les institutions militaires d’officiers compétents et épuise les ressources financières de l’Etat.

Considérant que la loi contestée vise ainsi à conserver les officiers compétents et à mettre un terme à une loi qui épuise les ressources du Trésor ; elle est par conséquent relative à l’intérêt national et financier.

Considérant que la loi contestée, à supposer qu’elle soit contraire au principe d’égalité, cette violation est justifiée étant donné qu’elle préserve l’intérêt général.

Considérant qu’il convient de rejeter l’allégation des Requérants que si l’intention du législateur était de mettre un terme aux effets de ce texte, il pourrait le faire à l’avenir, vu le pouvoir discrétionnaire dont il jouit dans le domaine législatif, tant que ceci ne porte pas atteinte à une règle constitutionnelle impérative telle que le principe d’égalité, vu que, d’une part, il revient au législateur d’évaluer le moment adéquat pour mettre un terme à des lois en vigueur, en vertu du pouvoir discrétionnaire dont il jouit dans le cadre de son appréciation de l’intérêt général et que, d’autre part, ceci entrainera la création de statuts juridiques similaires à ceux dont se plaignent les Requérants dans leur recours, ce qui aura pour effet d’enfermer le législateur dans un cercle vicieux.

Considérant que la loi contestée n’est, par conséquent, pas contraire aux dispositions de la Constitution.

 

 

Par ces motifs

 

Le Conseil constitutionnel décide :

 

Premièrement : De recevoir le recours en la forme.

 

Deuxièmement : De considérer la loi contestée non contraire aux dispositions de la Constitution ou aux principes généraux ayant valeur constitutionnelle.

 

Troisièmement : De notifier les autorités officielles compétentes de la présente décision et de la publier au Journal officiel.

 

Décision rendue le 15/6/2000