Décision No. 1/2001



Le Conseil constitutionnel

 Réuni en son siège en date du 10/5/2001, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreissati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après examen du dossier du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur,

Considérant qu’il appert que les Requérants ont présenté, en date du 12 avril 2001, un recours enregistré au greffe du Conseil constitutionnel sous le no 1/2001 et visant à suspendre puis à annuler l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi no 295 datée du 3/4/2001 et publiée au Journal officiel no 15 du 5/4/2001.

Considérant que selon les motifs invoqués, l’alinéa 3 objet du recours autorise le gouvernement, en vertu de décrets pris en Conseil des ministres, à réviser les décrets réglementaires ainsi que les textes de mise en application relatifs au Conseil de Développement et de Reconstruction et ce, conformément à l’article 14 du décret-loi no 5 daté du 31/1/1977, alors que de telles prérogatives sont contraires à l’alinéa E du préambule de l’Accord de l’Entente nationale ainsi qu’à l’alinéa E du Préambule de la Constitution, qui disposent que le régime est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs. Partant, elles sont également contraires à l’article 16 de la Constitution qui considère que la Chambre des députés a des pleins pouvoirs en matière législative (en ce qui concerne le domaine de compétence) ainsi qu’à l’article 88 de la Constitution (en ce qui concerne l’utilisation des fonds du Trésor), sachant que la loi constitutionnelle no 18 datée du 21/9/1990 a, en modifiant l’article 58 de la Constitution, remédié à la situation irrégulière qui prévalait avant ledit amendement et a prévu l’annulation de toutes les dispositions législatives contraires. Par conséquent, les Requérants demandent de suspendre les effets de l’alinéa 3 susmentionné et, par la suite, de l’annuler eu regard son inconstitutionnalité.

 

 

Sur la base de ce qui précède

 

En la forme :

 

Considérant que la loi no 1 objet du recours, fut promulguée en date du 3/4/2001 et publiée au Journal officiel no 15 du 5/4/2001,

Considérant que l’assignation du recours est soumise le 12/4/2001 et est signée par dix députés,

Considérant que le recours est soumis dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme conformément à l’article 19 de la Constitution, à l’article 19 de la loi no 250/1993 modifiée en vertu de la loi no 150/99 ainsi qu’à l’article 31 de la loi no 243/2000.

Il est, par conséquent, recevable en la forme.

 

Dans le fond :

 

Considérant que selon les motifs du recours, l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi no 295/2001 ainsi que l’article 14 du décret-loi no 5 du 31/1/1977 relatif à la création du Conseil de Développement et de Reconstruction ont conféré au pouvoir exécutif, à savoir au gouvernement, le droit de légiférer sur un sujet qui s’inscrit dans le cadre de la compétence du pouvoir législatif, soit la Chambre des députés.

Considérant qu’il est nécessaire à cet égard d’examiner les deux points suivants :

a. La Constitution libanaise, à la lumière des modifications qui y ont été introduites et notamment en vertu de la dernière loi constitutionnelle no 18 du 21/9/1990, énumère-t-elle ou définit-elle les sujets s’inscrivant dans le cadre de la compétence du pouvoir législatif et ceux qui sont du ressort du pouvoir exécutif ? Quelle serait la solution dans le cas où la loi passerait sous silence les deux points susmentionnés?

b. Est-il vrai, à la lumière de ce qui précède, que les prérogatives prévues à l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi no 295/2001 sont des prérogatives législatives exclusivement réservées au pouvoir législatif et que l’alinéa 3 est nul et non avenu étant donné qu’il confère – selon les allégations des Requérants – au gouvernement le droit de légiférer sur un sujet qui ressort exclusivement de la compétence de la Chambre des députés ?

 

Considérant qu’il convient d’examiner les deux points susmentionnés.

a- Considérant qu’il ressort de l’examen des dispositions de la Constitution, à la lumière de tous ses amendements et notamment en vertu de la loi constitutionnelle no 18 du 21/9/1990, que certains articles font référence à différentes matières qui sont considérées comme étant réservées à la loi sans pour autant qu’un texte spécial n’énumère les établissements publics, que ce soit dans la phase de leur création ou dans la phase suivant leur création, à savoir lorsqu’il est nécessaire d’en organiser l’administration ou d'en faciliter les activités.

Considérant qu’en ce qui concerne le pouvoir exécutif conféré, en vertu de l’article 65 de la Constitution, au Conseil des ministres, il appert que ledit article ne mentionne pas les établissements publics, mais prévoit les prérogatives du Conseil des ministres parmi lesquelles figurent le droit d’élaborer les projets de lois ainsi que les décrets réglementaires, ainsi que le droit de prendre les décisions nécessaires pour leur mise en application.

Considérant qu’en l’absence d’un texte constitutionnel qui désigne les choses en leur nom, il convient de revenir aux principes constitutionnels généraux afin de déterminer les prérogatives de chacun des pouvoirs législatif et exécutif dans le cadre de la création, et par la suite de la réglementation, des établissements publics.

Considérant que la Chambre des députés jouit de pleins pouvoirs en matière de législation, non seulement en ce qui concerne les points prévus à la Constitution et qui sont exclusivement du ressort de la Chambre des députés et réservés à sa seule compétence en tant que législateur, mais également en ce qui concerne tout sujet à l’égard duquel la Chambre des députés souhaiterait promulguer une loi. Les prérogatives de la Chambre des députés s’étendent également, entre autres, aux affaires de réglementation et de mise en application qui n’ont pas été confiées au pouvoir exécutif.

Considérant que tant que la Constitution ainsi que les principes à valeur constitutionnelle prévoient des normes essentielles relatives aux citoyens et aux affaires publiques, le sujet en question est également soumis aux dits principes et règles. En d’autres termes, tant que ledit sujet concerne les libertés individuelles ou que la création d’un service public aurait pour résultat de limiter lesdites libertés pour répondre aux besoins de la société ou que les moyens adoptés pour sa création relèvent du pouvoir public ou que sa création requiert l’utilisation des fonds du Trésor public, la Chambre des députés reste seule compétente en la matière.

Considérant que l’on ne peut répondre à ce qui précède en invoquant le fait que certains établissements publics eussent été créés dans le passé en vertu de décrets ou conformément à l’article 58 de la Constitution avant son amendement et ce, étant donné que dans le cas où ceci aurait effectivement eu lieu et que lesdits établissements soient éventuellement devenus intouchables concernant leur constitutionnalité, ceci n’est désormais plus possible après la promulgation de la loi constitutionnelle no 18 en date du 21/9/1990 dont les dispositions ne s’accordent pas ce qui avait eu lieu dans le passé, sachant que les législations constitutionnelles ont un effet immédiat et sont applicables dès leur promulgation.

Considérant que si la règle exige de réserver la compétence à la Chambre des députés lorsqu’il s’agit des normes essentielles relatives à la création des établissements publics, cette règle s’étend-elle aux prérogatives conférées au Conseil des ministres en vertu de l’alinéa 3 susmentionné ?

b. Considérant que conformément à l’article 65 de la Constitution, le pouvoir exécutif exerce, entre autres, les prérogatives suivantes : « il établit la politique générale de l’Etat dans tous les domaines, élabore les projets de lois et les décrets réglementaires, prend les décisions nécessaires pour leur mise en application, veille à l’exécution des lois et règlements et supervise les activités de tous les organismes de l’Etat sans exception : administrations et établissements civils, militaires et sécuritaires ».

Considérant qu’en vue de déterminer la nature des prérogatives prévues à l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi no 295/2001 et d’établir s’il s’agit de prérogatives législatives ou réglementaires, il convient de se référer à l’article 14 du décret-loi no 5/1977 relatif à la création du Conseil de Développement et de Reconstruction et de placer ledit article 14 dans le cadre des autres articles avec lesquels il figure, sachant que l’exécution de la loi no 247 du 7/8/2000 (Chapitre II : Les Conseils) dépendait de la désignation des organismes prévus à cette même loi dans un délai maximum de six mois, ce qui n’a pas eu lieu.

Considérant qu’il ressort de la lecture de l’article 14 du décret-loi no 5/1977 dans le cadre du contexte dans lequel il figure – en ce sens qu’il est nécessaire d’expliquer ses différents articles les uns à la lumière des autres en vue d'en assurer la concordance – que les articles 15 et 16 du décret-loi no 5 étaient expressément reliés à l’article 14 de cette même loi. Lesdits articles prévoient ce qui suit :

 

Article 14 : (après l’annulation du décret-loi no 16 du 25/3/1983 en vertu du décret-loi no 13 du 23/3/1985) :

Sont déterminés en vertu de décrets pris en Conseil des ministres :

1. Les règlements du Conseil de Développement et de Reconstruction (le règlement intérieur, le règlement financier et tous autres règlements), les missions et prérogatives du conseil d’administration et du Bureau du Conseil ainsi que les rémunérations des membres à temps plein et à temps partiel.

2. Les règlements, les cadres, l’échelle des salaires, les salaires et les indemnités des employés et de tous les salariés et personnes travaillant pour le compte du Conseil de Développement et de Reconstruction ainsi que les conditions de leur emploi.

3. La normalisation de la situation fonctionnelle de tous les fonctionnaires du ministère du plan public annulé après approbation du Conseil de la Fonction Publique.

 

Article 15 :

Sous réserve des dispositions de l’article 14 ci-dessus, les règles de facilitation des activités du Conseil de Développement et de Reconstruction sont déterminées en vertu de décisions rendues par le Conseil d’administration dudit Conseil.

 

Article 16 :

Les activités du Conseil de Développement et de Reconstruction sont soumises aux dispositions du présent décret-loi ainsi qu’aux règlements prévus aux articles 14 et 15 susmentionnés uniquement.

 

Considérant que l’article 16 a expressément repris et conservé les dispositions du décret-loi no 5/1977, en ce sens qu’il n’a pas modifié les normes essentielles qui régissent la création du Conseil de Développement et de Reconstruction. Il appert également que les articles 14 et 15 concernent la facilitation des activités dudit Conseil et à ses règlements administratifs tels que les règlements intérieur et financier, les missions du Conseil d’administration, le règlement des employés, les conditions de leur emploi et la normalisation de leur situation. Il s’agit là de sujets réglementaires et de mise en application de la loi relative à la création du Conseil de Développement et de Reconstruction qui est soumis, dans tous les cas et conformément à cette même loi, à la tutelle du Conseil des ministres, ce qui signifie que les dispositions des articles 14, 15 et 16 portent sur des sujets réglementaires et de mise en application que la Chambre des députés avait le droit de confier au Conseil des Ministres auquel il appartient, en vertu de l’article 65 de la Constitution, de prendre les décrets réglementaires et de mise en application ainsi que les décisions nécessaires pour leur mise en application.

Considérant que l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi no 295/2001 dont le champ d’exécution est prévu aux articles 14, 15 et 16 du décret-loi no 5/1977 s’inscrit dans le cadre des prérogatives réglementaires du Conseil des ministres prévues à l’article 65 de la Constitution. Il n’est par conséquent pas contraire aux articles 16 et 88 de la Constitution ni aux règles ayant valeur constitutionnelle.

Considérant que la délégation faite au Conseil des ministres pour émettre des décrets réglementaires et de mise en application de certaines lois élaborées par la Chambre des députés est admissible dans le cadre de la législation en vue d’éviter d’encombrer le travail du pouvoir législatif avec des détails non conformes aux procédures régissant son fonctionnement, ce qui correspond à l'adage selon lequel la loi perd en qualité lorsqu'elle se perd dans les détails.

 

Par ces motifs

 

Et après délibération,

Le Conseil constitutionnel décide :

 

Premièrement : En la forme

De recevoir le recours en la forme.

 

Deuxièmement : Dans le Fond

De rejeter le recours étant donné que l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi
no 295 datée du 3/4/2001 n’est pas contraire à la Constitution ou à une règle ayant valeur constitutionnelle.

 

Troisièmement :

De notifier les autorités compétentes de la présente décision et de la publier au Journal officiel.

 

Décision rendue le 10/5/2001