Décision No. 1/2000
Le Conseil constitutionnel
Réuni en son siège le 1/2/2000, en présence du Président Amine Nassar et de son Vice-président Mustafa El-Auji, et des membres MM. Kamel Raydan, Michel Turkiyeh, Antoine Khair, Khaled Kabbani, Hussein Hamdane, Fawzi Abou Mrad, Salim Jreissati.
Et après examen du dossier du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur, du 26/1/2000.
Considérant que les députéssusnommés ont soumis au Conseil constitutionnel un recours inscrit au greffe du Conseil constitutionnel le 19/1/2000, requérant l’annulation de la loi no 163 du 28/12/1999, publiée au Journal official no 1 du 6/1/2000, et relative à la mutation des attachés de l'ex-ministère des Emigrés au ministère des Affaires étrangères.
Considérant que les requérants fondent leur requête d'annulation de la loi mentionnée sur les motifs suivants :
1. La violation du principe de partage équitable des charges et la méconnaissance du principe d’égalité prévu au paragraphe C du Préambule de la Constitution et du principe d'égalité dans la fonction publique prévu à l'article 12 de la Constitution.
Les Requérantsallèguent, sur la base de cet argument, que les conditions d’accès au corps diplomatique du ministère des Affaires étrangères constituent une charge plus lourde que les conditions d’accès des attachés à l’émigration au ministère des Emigrés. Les conditions d’accès aux Affaires étrangères prévues à l'article 12 du décret no 1306 du 6/18/1971 exigent que les fonctionnaires soient choisis parmi les diplômés du département de l'Administration générale du niveau supérieur de l'Institut National d'Administration et de Développement (INAD), que l'âge du candidat ne dépasse pas les trente-cinq ans, et que ce dernier réussisse au concours spécial organisé par le Conseil de la Fonction publique en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et des Emigrés, dont les conditions requièrent une connaissance minimaledu Droit international public et d’une langue étrangère au moins; et au cas où le nombre des candidats retenus à l’issue de cet examen est insuffisant pour combler les postes vacants au sein du cadre du ministère, un concours spécial sera organisé pour combler ces postes conformément au système établi par le Conseil de la fonction publique, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et des émigrés, à condition que le candidat soit titulaire d'un diplôme de Droit au moins ou d’un diplômeuniversitaire équivalent. Bien que les conditions d’accès des attachés à l’émigration au cadre du ministère des Emigrés aient été limitées à un entretien organisé par le ministère des Emigrés, lesquelles donnent l'avantage et la préférence aux employés du corps diplomatique ayant précédemment accédé au ministère des Affaires étrangères. En outre, leur accès au cadre du corps diplomatique en vertu de la loi contestée constitue une violation des droits acquis des fonctionnaires dudit corps dont la promotion et le classement seront retardés en raison de l’avancement des attachés à l’émigration dans la hiérarchie fonctionnelle après avoir calculé leurs services précédents au ministère des Emigrés, ce qui conduirait à une violation du principe de l'égalité et constitue donc une violation des dispositions de la Constitution.
2. La violation du principe de la séparation des pouvoirs prévue au paragraphe E du Préambule de la Constitution, qui prévoit que «le régime est basé sur le principe de la séparation des pouvoirs, leur équilibre et leur coopération», vu que le troisième alinéa de l'article 65 de la Constitution confère au Conseil des ministres le droit de nomination des fonctionnaires de l'Etat, leur licenciement et l’acception de leur démission conformément à la loi ; il en résulte que la mutation des fonctionnaires d'un ministère à un autre relève de la compétence du pouvoir exécutif uniquement, et en conférant ce pouvoir au pouvoir législatif en vertu de la loi no 163/99, la loi viole le principe de séparation des pouvoirs consacré dans la Constitution.
Sur la base de ce qui précède
Premièrement, en la forme :
Le recours est recevable en la forme vu qu’il est présenté dans le délai et qu’il réunit toutes les conditions légales.
Deuxièmement, dans le fond :
Considérant que la loi contestée no 163 du 28/12/1999 est constituée d’un seul article, qui dispose ce qui suit :
“Les attachés à l’émigration sont mutés du ministère des Emigrés au cadre du ministère des Affaires étrangèressans modification du grade et du salaire, en préservant leur droit d'ancienneté qui les rend éligibles pourla promotion.
Ces attachés doiventsuivre une session de formation d’une durée de six mois organisée à cette fin par le Conseil de la fonction publique"
Considérant que les Requérants demandent l’annulation de ladite loi pour être contraire aux dispositions de la Constitution, quant à la violation du principe d’égalité devant la loi et la violation du principe de la séparation des pouvoirs.
1. La violation du principe d'égalité devant la loi :
Considérant que le paragraphe C du Préambule de la Constitution prévoit ce qui suit :
« Le Liban est une République démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d'opinion et de conscience, sur la justice sociale et l'égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence».
Considérant que l’article sept de la Constitution prévoit l'égalité devant la loi de tous les Libanais sans aucune distinction tant au niveau de la jouissance des droits qu’au niveau des charges et obligations publiques,
Considérant que l’article 12 de la Constitution prévoit le principe de l’égalité dans la fonction publique entre tous les Libanais, comme suit :
« Tous les citoyens libanais sont également admissibles à tous les emplois publics sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence et suivant les conditions fixées par la loi. »
Considérant que le principe de l'égalité devant la loi est l’un des principes généraux à valeur constitutionnelle, impliquant que la loi traite tous les citoyens à égalité sans aucune distinction ou différence. Cependant, le législateur peut déroger à ce principe et distinguer entre les citoyens si ceux-ci se trouvent dans des situations juridiques différentes ou si l'intérêt général l'exige, pourvu que la différence de traitement ainsi caractérisée soit en rapport avec la finalité de la loi.
Considérant que dans le domaine de la fonction publique, le législateur n’est soumis à aucune obligation constitutionnelle d’adopter une règle générale ou une modalité unique pour la sélection de toutes les catégories de fonctionnaires, néanmoins le principe d’égalité d'accès à la fonction publique contraint le législateur à traiter les candidats postulant pour accéder à la fonction publique sans discrimination fondée sur le sexe, la race, la couleur ou le statut social, et, par conséquent, en considération de la compétence, des qualifications, et des qualités académiques et morales dans la sélection des fonctionnaires.
Considérant que le principe d’égalité d'accès à la fonction publique ne réside pas dans le degré de difficulté, entre un groupe et l’autre, de l’épreuve à laquelle sont soumis les candidats postulant pour accéder à la fonction publique qui remplissent les conditions de nomination. Toutefois, ce critère exige le respect du principe de l'aptitude, de la compétence et de la spécialisation, qui revêt à lui seul une valeur constitutionnelle, à l'exclusion des méthodes adoptées dans la sélection des fonctionnaires de la fonction publique, tels que le concours ou l’examen, ou la sélection sur la base des titres.
Considérant qu'il appartient au législateur d'imposer les conditions appropriées pour combler des postes dans les cadres des administrations publiques sur la base des qualifications requises pour l'exercice de la fonction, et il lui revient de modifier ces conditions, par ajout ou suppression, comme il lui revient aussi de supprimer ou de combiner des classes dans la fonction publique, ou même de fusionner des cadres selon les exigences de l'intérêt général et de la performance fonctionnelle.
Considérant que le fonctionnaire se trouve dans une situation légale et réglementaire, et cette situation demeure susceptible de modification ou de changement à tout moment, et il est ainsi soumis aux dispositions légales et réglementaires subséquentes, sans jouir d’un droit acquis le rendant éligible à bénéficier des dispositions antérieures, et que si l'État a le droit d'accroître les droits et avantages dont bénéficie le fonctionnaire, il lui appartient également d'accroître ses obligations et charges, sans que le fonctionnaire ne puisse revendiquer un droit acquis, tant que l'intérêt général et les besoins de la fonction l'exigent.
Considérant que le ministère des Emigrés a été créé en vertu de la loi no 213 du 2 avril 1993, après avoir fait partie du ministère des Affaires étrangères, et que l'article 6 de la présente loi prévoit la présence de deux attachés à l’émigration désignés par le ministère pour travailler au sein des missions diplomatiques dans les pays d'émigration, à condition d’être nommés conformément aux dispositions qui régissent les attachés techniques à l'étranger, prévues au régime du ministère des Affaires étrangères, le cadre du ministère ayant défini le nombre de fonctions des attachés à l’émigration en vertu du décret réglementaire no 4859 du 10/3/1994.
Considérant qu'il appert des exposés des motifs de la loi no 163/99 que les attachés à l’émigration n’ont pas été rattachés aux missions diplomatiques à l’étranger, que les crédits attribués à l’étranger à leurs salaires ont été annulés du projet du budget de l’exercice de 1999, et que le gouvernement a l’intention de supprimer le ministère des Emigrés et de le réintégrer dans le ministère des Affaires étrangères.
Considérant qu’une violation du principe d’égalité de traitement entre les fonctionnaires existe lorsque la loi établit une distinction non justifiée par une cause raisonnable, au regard de la situation réelle que le législateur traite, et par conséquent, la distinction de traitement se trouve justifiée lorsque la cause est raisonnable.
Considérant que la mutation des attachés à l’émigration du cadre du ministère des Emigrés dans le cadre des Affaires étrangères au sein du ministère des Affaires étrangères, le cadre le plus proche naturellement de ce dernier du point de vue juridique, surtout que ces attachés ont été désignés en principe pour être rattachés aux missions diplomatiques à l’étranger, et qu’ils devraient avoir suivi une session de formation à cette fin, leur mutation dans le cadre du corps diplomatique auprès du ministère des Affaires étrangères est donc fondée sur une cause raisonnable, ne portant pas par conséquent atteinte au principe d’égalité.
Considérant que la loi no 163/99 qui prévoit que la mutation desattachés à l’émigration a imposé que ladite mutation ait lieu sans aucune modification de leurs grades et salaires, et qu’ils sont soumis à cette fin à une session de formation d’une durée de six mois organisée par le Conseil de la fonction publique, ce qui dénie l'existence d'une violation du principe d’égalité devant les charges.
2. La violation du principe de la séparation des pouvoirs :
Considérant que le paragraphe E du Préambule de la Constitution dispose ce qui suit :
« Le régime est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, leur équilibre et leur coopération. »
Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs prévoit que chaque pouvoir exerce ses compétences dans le domaine défini par la Constitution de sorte qu’aucun pouvoir constitué n’outrepasse les compétences d’un autre, et que chaque pouvoir respecte les limites de sa compétence prévue par la Constitution.
Considérant que l’article 16 de la Constitution dispose ce qui suit :
« Le pouvoir législatif s'exerce par une seule Assemblée : la Chambre des députés. »
Considérant que la Constitution a restreint le pouvoir législatif à la Chambre des députés et lui a conféré des compétences exclusives au niveau de la législation, et que celle-ci n’a pas délimité ses compétences, ne les a restreintes à un domaine déterminé ou à un circuit fermé, et n’a pas établi des bornes entre le domaine de la loi et le domaine du règlement.
Considérant que la Constitution a confié le pouvoir exécutif au Conseil des ministres (articles 17 et 65) ainsi que le pouvoir réglementaire qui en découle et qui confère au Conseil des ministres la compétence de mettre en application les lois promulguées par le législateur et de les compléter, si nécessaire.
Considérant que l’article 65 de la Constitution a conféré au Conseil des ministres la compétence de « nommer les fonctionnaires de l’Etat », de les démettre de leurs fonctions et d’accepter leur démission conformément à la loi (alinéa 3), ce qui signifie que la compétence du pouvoir exécutif est lié par la loi, à savoir les règles de droit qui déterminent les conditions d’exercice de cette compétence ainsi que ses limites et modalités.
Considérant qu’il revient au législateur, en vertu de ses pouvoirs constitutionnels, d’annuler une loi en vigueur ou d’amender ses dispositions sans que cela ne constitue une violation des dispositions de la Constitution, ou qu’il soit sous le contrôle du Conseil constitutionnel, tant que cette annulation ou que cet amendement n’a pas méconnu une norme constitutionnelle fondamentale, ou l’un des droits constitutionnels ou principes à valeur constitutionnelle.
Considérant que la loi no 163/99 relative à l'aménagement des statuts des attachés à l’émigration du ministère des Emigrés, en déterminant les conditions de leur mutation dans le cadre du corps diplomatique auprès du ministère des Affaires étrangères s'inscrit dans les limites des compétences constitutionnelles du législateur, et ne s'étend pas aux mesures d'exécution de cette loi, telles les mesures organisationnelles et les décisions exécutives, et ce en application de cette loi, mesures qu'il revient au pouvoir exécutif de prendre, en tant que titulaire du pouvoir d'application des lois.
Considérant que l’allégation portant sur la violation du législateur du paragraphe E du Préambule de la Constitution ou l’article 65 (alinéa 3) de la Constitution, et donc au principe de la séparation des pouvoirs n’est pas appropriée.
Considérant que par conséquent, la loi no 163/99 contestée n’est pas contraire aux dispositions de la Constitution.
Par ces motifs
Le Conseil décide :
Premièrement :La recevabilité du recours en la forme.
Deuxièmement : L’irrecevabilité du recours dans le fond vu que la loi no 163/99 n'est pas contraire à la Constitution.
Troisièmement : La notification de la présente décision aux autorités compétentes et sa publication au Journal officiel.
Décision rendue le 1/2/2000.