Décision No. 4/1996
Le Conseil constitutionnel
Réuni en son siège le 7/8/1996, sous la présidence de son président Wajdi Mallat, son Vice-président Mohamed El- Majzoub, et la participation de ses membres, MM. Jawad Oussairan, Adib Allam, Kamel Raydan, Michel Turkye, Pierre Ghannage, Salim Azar, Antoine Khair, Khaled Kabbani.
Après examen du dossier des deux recours et le rapport du membre rapporteur, datant du 3/8/1996.
Considérant que Messieurs les députés mentionnés au premier recours, no 2/96, ont enregistré leur recours au greffe du Conseil le 25/7/1996, en vertu duquel ils ont requis l’annulation de l’article 2 nouveau de l’article premier, ainsi que l’article 30 nouveau de
l’article 3 de la loi no 530, publiés à l’article 29 du Journal officiel paru le 12/7/1996 vu leur violation des dispositions de la Constitution.
Considérant que Messieurs les députés mentionnés au deuxième recours no 3/96, ont enregistré leur recours au greffe du Conseil le 26/7/1996, où ils ont requis l’annulation de l'article 30 nouveau de la loi électorale modifiée, publiée à l’article 29 du Journal officiel paru le 12/7/1996.
Considérant que le premier recours vise à l’annulation de l'article 2 nouveau de la loi no 530/96 vu sa distinction entre les circonscriptions électorales, et ce en regroupant les cazas du Mont-Liban, de Beyrouth et de la Bekaa en une seule circonscription électorale, et les cazas du Liban-sud et Nabatieh en une seule circonscription électorale, et en transformant chacun des districts du Mont-Liban en une circonscription électorale indépendante, de même qu'il vise à l’annulation de l'article 30 nouveau de l’article 3 de la même loi vu que celle-ci prévoit que tous les fonctionnaires, sans exception, devront démissionner de leur fonction afin que leur candidature aux élections parlementaires soit acceptée, érigeant l’exception en règle, et l’impossibilité de réintégrer les fonctionnaires démissionnaires dans leur fonctions.
Considérant que le deuxième recours vise uniquement à l’annulation de l’article 30 nouveau de l’article 3 de la loi no 530/96, pour avoir corrélé le droit à se présenter comme candidat aux élections à des conditions supplémentaires, érigeant ainsi le droit de se porter candidat aux élections en une exception, et l’interdiction en règle, contrevenant par conséquent aux deux articles 7 et 12 de la Constitution.
Considérant que le Conseil a décidé, le 3/8/1996, de joindre le deuxième recours no 3/96, au premier recours no 2/96, et de les examiner ensemble.
Sur la base de ce qui précède
Premièrement – En la forme :
Les deux recours ayant été présentés dans le délai et réunissant les conditions légales, ceux-ci sont recevables en la forme.
Deuxièmement – Dans le fond :
a. Concernant la violation de l'article 2 (nouveau) de l’article premier de la loi no 530/96, des dispositions de la Constitution.
Considérant que la loi no 530/96 du 11/7/1996, publiée au numéro 29 du Journal officiel paru le 12/7/1996, a porté sur l’amendement de certaines dispositions de la loi relative à l’élection des membres de la Chambre des députés du 26/4/1960 et ses amendements, dont le nouvel article deux contesté prévoit ce qui suit :
« Les circonscriptions électorales sont établies comme suit :
- Circonscription du Caza de la ville de Beyrouth,
- Circonscription du Caza de la Bekaa.
- Circonscription des Cazas du Liban-sud et de Nabatieh.
- Circonscription du Caza du Liban-nord.
- Une seule circonscription électorale formée de chacun des cazas du district du Mont-Liban. »
Considérant que la Constitution libanaise dispose dans son article 24 que la Chambre des députés est formée de membres élus tout en laissant à la Chambre des députés le soin de déterminer le nombre des députés et la modalité des élections, le législateur demeure néanmoins, celle-ci s’est suffi d'établir les principes sur la base desquels les sièges parlementaires seront repartis.
Considérant que la Constitution prévoit la formation de la Chambre des députés sur la base des élections, et que -même si celle-ci a confié au législateur le soin de fixer le nombre des députés et les modalités de leur élection, la Chambre reste néanmoins contrainte lors de l'élaboration de cette loi de se conformer aux dispositions de la Constitution et aux principes constitutionnels généraux à ce sujet.
Considérant que l’article 7 de la Constitution prévoit ce qui suit :
« Tous les Libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune. »
Considérant que le paragraphe C du Préambule de la Constitution prévoit à son tour que « Le Liban est une République démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence. »
Considérant que le paragraphe D du Préambule de la Constitution prévoit également que « Le peuple est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté qu’il exerce à travers les institutions constitutionnelles ».
Considérant que les élections constituent l’expression démocratique juste et saine de la souveraineté du peuple, et qu’ils n'en seront ainsi à défaut du respect des principes constitutionnels généraux régissant les élections, notamment le principe de l’égalité des citoyens devant la loi.
Considérant que le principe de l’égalité devant la loi est un principe prévu de façon claire et explicite dans la Constitution ainsi qu’à son Préambule qui en constitue une partie intégrante.
Considérant que la loi est l’expression de la volonté générale représentée par la Chambre des députés, et qu’elle n'en serait ainsi que si elle est conforme aux dispositions de la Constitution et aux principes généraux constitutionnels.
Considérant que la loi doit être unique pour tous les citoyens, en partant du principe d’octroyer à chaque vote la même valeur électorale dans les différentes circonscriptions électorales, et à travers l’égalité prévue dans le contenu de la loi électorale quant au découpage des circonscriptions.
Considérant que la sincérité du système de représentation ne porte pas seulement sur l’égalité du droit de vote, mais repose également sur le découpage des circonscriptions électorales qui garantit l’égalité dans la représentation politique.
Considérant que la jurisprudence constitutionnelle prévalant dans le contentieux électoral considère que le principe fondamental du découpage des circonscriptions électorales et la représentation politique doit, en principe, se baser sur une règle démographique pour réaliser une représentation juste des régions et des citoyens.
Considérant que la règle démographique dans le découpage des circonscriptions électorales n’est pas une règle absolue, vu qu’il revient au législateur de prendre en considération les nécessités de l’intérêt public qui conduisent à atténuer l’effet de cette règle de principe, de même qu'il a le droit, de façon restrictive, de déroger à l’application du principe de l’égalité, en considération des circonstances et situations spéciales et exceptionnelles.
Considérant que la loi électorale contestée a adopté des normes distinctes dans le découpage des circonscriptions électorales, en transformant le Gouvernorat (Mohafaza) en une circonscription électorale pour les Gouvernorats de Beyrouth, du Liban-nord et de la Bekaa, a fusionné le Gouvernorat de Nabatieh avec celui du Liban-Sud et les a considérés comme une seule circonscription électorale, et a transformé chacun des Cazas du Mont-Liban en une circonscription électorale.
Considérant que la présente loi a adopté dans son article 2 nouveau des critères distincts dans le découpage des circonscriptions électorales, et les a rendues inégales entre elles, et que celle-ci a distingué entre les citoyens quant à leurs droits et devoirs, électeurs soient-ils ou candidats, sans que cela ne soit à titre d'exception que nécessiteraient et justifieraient des circonstances urgentes et nécessaires, ce qui rend cette loi contraire au principe de l’égalité prévu à l’article 7 de la Constitution et confirmé dans son Préambule.
Considérant que l’article 24 de la Constitution a prévu, par ailleurs, la répartition des sièges parlementaires conformément à des règles qui réalisent un équilibre et une justice dans cette distribution entre les communautés et confessions, mais également et entre les régions, aux fins de garantir la bonne représentation politique et la préservation du Pacte de vie commune qui rassemble les Libanais.
Considérant que lesdites règles prévues à l’article 24 de la Constitution perdent leur sens et contenu réel, au cas où la loi électorale n’adopte pas dans le découpage des circonscriptions électorales une norme unique qui s’applique à toutes les autres régions libanaises à égalité, de sorte que le Gouvernorat (Mohafaza) soit la circonscription électorale dans toutes les régions, ou que le Caza soit la circonscription électorale dans tous les Gouvernorats (Mohafazat), ou d’adopter d’autres découpages, de toutes sortes, des circonscriptions électorales que le législateur estime respecter l’article 24 de la Constitution, à condition d’adopter une norme unique dans le découpage des circonscriptions électorales, et ce à égalité entre les électeurs dans l’exercice de leurs droits électoraux constitutionnels, et entre les candidats quant aux charges qui leur sont imposées en fixant un plafond pour les dépenses électorales.
Considérant que le législateur n’a pas le droit de transformer des circonstances provisoires exceptionnelles, n’ayant pas le caractère de la continuité, en une règle générale, ou de fonder sur celles-ci une règle fixe permanente qui contrevient de façon continue au principe d’égalité devant la loi.
Considérant que la loi électorale no 530/96 dans son deuxième article nouveau de son article premier, en adoptant des normes distinctes dans le découpage des circonscriptions électorales sans stipuler que ceci constitue une exception aux règles générales, pour des raisons circonstancielles que le législateur estime se rapportant à l’intérêt public supérieur, même sans justification, aura contrevenu au principe d’égalité devant la loi, ce qui requiert l’annulation de
l’article 2 nouveau susmentionné.
b. Concernant la violation de l'article 30 (nouveau) de l’article 3 de la loi no 530/96 aux dispositions de la Constitution :
Considérant que le nouvel article 30 de la loi électorale contestée prévoit ce qui suit :
« Les personnes mentionnées ci-dessous ne peuvent être candidates, dans aucune circonscription électorale, pendant l’exercice de leurs fonctions et la période de six mois suivant leur démission et l’interruption effective de leurs fonctions ; la démission sera considérée recevable d’office à compter de la date de sa soumission, et celles-ci ne peuvent réintégrer leurs fonctions :
1. Les magistrats de toutes catégories et grades.
2. Les fonctionnaires de toutes catégories.
3. Les présidents des municipalités désignés et les présidents des comités municipaux désignés dans toutes les régions libanaises.
4. Les présidents et membres des conseils de l’administration publique et des services indépendants ainsi que leurs directeurs, fonctionnaires et employés. »
Considérant que l’article 7 de la Constitution et le paragraphe C de son Préambule ont prévu l’égalité des droits et devoirs entre tous les Libanais sans distinction quelconque.
Considérant que l’article 12 de la Constitution dispose ce qui suit :
« Tous les citoyens libanais sont également admissibles à tous les emplois publics sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence et suivant les conditions fixées par la loi. »
Considérant que le droit de se présenter comme candidat aux élections est par conséquent un droit civil et constitutionnel, et que toute limitation de la part du législateur de l’exercice de ce droit ne peut être interprétée que d’une façon restrictive.
Considérant que si le législateur est habilité à établir des contraintes et empêchements sur l’exercice du droit de candidature aux élections et de préciser leurs nature et degré concernant ceux qui occupent certaines fonctions publiques, pour en prévenir l’exploitation à des fins électorales, et pour établir l’égalité des chances entre les candidats, l’empêchement ne peut être absolu et général, mais il doit déterminer les catégories des fonctionnaires concernés par l’empêchement, et que l’empêchement soit compatible avec l’objectif visé par le législateur.
Considérant que le texte du nouvel article 20 de ladite loi est considéré contraire aux articles 7 et 12 de la Constitution vu qu’il prive le fonctionnaire démissionnaire de réintégrer sa fonction, même s’il répond aux conditions requises pour la fonction publique, et bien que ce retour ne soit pas tacite et non impératif au pouvoir exécutif, il demeure néanmoins soumis à son pouvoir discrétionnaire absolu.
Considérant que l’article 30 nouveau de l’article 3 de la loi no530/96 devrait être annulée vu qu’elle contrevient aux dispositions de la Constitution en application des dispositions des articles 50 et 51 de la loi portant sur l'organisation judiciaire du 19/9/1983.
c. Concernant les effets de l’annulation de l’article 2 )nouveau( et de l’article 30 )nouveau( sur certains autres articles de la loi no 530/96
Considérant que l’annulation de l'article 2 nouveau et de l'article 30 nouveau, contestés, entraînent l’annulation des articles 1, 3, 4 et 5 de la loi no 530/96 vu la corrélation entre ces articles, de même que le texte de l’article 5 de ladite loi porte sur une prorogation supplémentaire du mandat de la future Chambre des députés et qu’il viole la règle générale et la coutume parlementaire, et n’est pas justifié par l’exception qui y est contenue.
Pour ces motifs
Après délibération,
Le Conseil constitutionnel décide à l’unanimité :
Premièrement : La recevabilité des deux recours en la forme.
Deuxièmement : L'annulation des deux nouveaux articles, 2 et 30, prévus par la loi no 530 du 11/7/1996 publiée au numéro 29 du Journal officiel paru le 12/7/1996.
Troisièmement : L'annulation les articles 1, 3, 4 et 5 de la loi no 530 susmentionnée.
Quatrièmement : La notification des autorités officielles compétentes de la présente décision et sa publication au Journal officiel.
Décision rendue le 7/8/1996.