Actualites < Retour

Séminaire organisé en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer: «Projet d’extension des attributions du Conseil constitutionnel :Rejoindre l’évolution mondiale et arabe de la justice constitutionnelle», Beyrouth, Liban

 A un moment de marasme presque général au Liban, le Conseil constitutionnel tente inlassablement de sauvegarder le patrimoine libanais de légalité et de constitutionnalisme. Il s’agit en effet d’assurer la consolidation à l’avenir de l’Etat de droit, en conformité d’ailleurs avec l’évolution mondiale du droit et l’extention des attributions de la justice constitutionnelle dans la plupart des Etats arabes d’aujourd’hui.

Le séminaire, organisé par le Conseil en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer autour du « Projet d’extension des attributions du Conseil constitutionnel », élaboré par le président du Conseil constitutionnel Issam Sleiman, a groupé, outre tous les membres du Conseil, des représentants de la Fondation Konrad Adenauer, d’anciens ministres, des députés, des représentants des plus hautes instances judiciaires et des universitaires.

 Les statuts du Conseil constitutionnel, « fruit d’un travail laborieux » (Ibrahim Najjar et Samir el-Jisr), sont objet du débat en vue d’une réforme à la lumière de l’expérience. Les projets de réforme « puisés de l’expérience sont justement ceux qui réussissent » (Fayiz Haj-Chahine). Le séminaire témoigne d’une « résistance culturelle symbolique » (Lara Karam Boustany), d’une « pensée à la hauteur de la culture des droits » (Antonio al-Hachem) et d’une « perspective doctrinale éclairée » (Khaled Kabbani).

Les allocutions d’ouverture soulignent l’exigence de réhabiliter et de consolider l’Etat de droit au Liban « qui devra rejaillir dans toute la région » ( Tarek Ziadé). Il s’agit aussi de développer l’édifice constitutionnel au Liban « à l’encontre de dérives et d’obstacles souvent dressés volontairement » (Peter Remmele), en partant certes de l’expérience du Conseil constitutionnel libanais lui-même durant vingt ans. Les attributions du Conseil sont circonscrites au minimum, non seulement par rapport à la justice constitutionnelle en général, mais même par rapport à des Etats africains et arabes (Issam Sleiman). Les travaux sont concentrés autour de quatre volets.

 

1. Le recours en interprétation de la Constitution : Les interventions et débats en vue de l’extension des attributions du Conseil constitutionnel au recours en interprétation de la Constitution, comme cela était prévu dans l’Accord d’entente nationale de Taëf, soulignent à la fois le besoin de ce recours à la lumière de l’expérience et la problématique de l’application effective de l’interprétation. Lors de l’amendement constitutionnel de 1990, le recours en interprétation n’a pas été retenu par le Parlement pour le motif qu’il s’agit d’une fonction normative qui relève du Parlement lui-même, « justification qu’il faudrait désormais nuancer » (Samir el-Jisr). Deux perspectives peuvent être dégagées :

 a. Le poids des faits : Les faits eux-mêmes prouvent le besoin du recours en interprétation, avant l’Accord de Taëf et après, ainsi que les crises liées à l’interprétation (Jean Fahd). En outre la spécificité de la Constitution libanaise (Pacte national, coexistence, parité, participation, discrimination positive…) implique des approches au-delà d’un rigorisme juridique conventionnel.

En pratique, les Libanais se trouvent souvent confrontés, non pas à des interprétations divergentes, « mais à deux Constitutions, celle nationale, et celle de fait et effectivement appliquée. C’est alors que le nombre, des experts constitutionnels au Liban dépasse celui des experts du code de la route ! » (Ghaleb Mahmasani), « provoquant un engorgement du trafic plus qu’ils ne le facilitent » (Fayiz Haj-Chahine). D’où le besoin d’un recours référentiel  « dans les cas certes où la disposition n’est pas suffisamment explicite et en vue d’extraire le sens profond » (Fayiz Haj-Chahine). Il n’y a pas là un empiètement sur les attributions du Parlement, du moment que le recours peut émaner du Parlement lui-même. Une telle interprétation est aussi plus proche de la réalité du texte fondamental que des commentaires émanant de considérations politiques conjoncturelles. Il en découle aussi à travers les recours en interprétation « un approfondissement de la culture constitutionnelle que le citoyen vit au quotidien » (Chebli Mallat).

 b. Institutionnaliser une ancienne pratique ? Que faire pour contrer les risques que l’interprétation constitutionnelle ne soit pas appliquée, qu’elle soit considérée comme une ingérence dans les rapports entre les pouvoirs, ou que le Conseil « s’ajoute aux nombreux experts du code de la route » ?
(Ghassan Moukheiber).

 On rappelle qu’autrefois le Bureau du Parlement, ou son Président, sollicitait des consultations de grands constitutionnalistes et appliquait les résultats des consultations (Ghassan Moukheiber). La mise en garde à l’encontre des risques (Amine Saliba), afin de sauvegarder la crédibilité du Conseil constitutionnel lui-même, et aussi des risques qui découlent de compromissions interélites et de commentaires débridés (Mireille Najm Chukrallah) ne devrait pas déboucher sur le rejet absolu du recours en interprétation devant le Conseil constitutionnel. Il s’agit, soit d’institutionnaliser le recours consultatif auprès du Conseil constitutionnel, soit de reconnaître de façon absolue le recours en interprétation devant le Conseil, comme c’est le cas dans nombre de pays, dont la Jordanie, le Koweit, le Soudan…, évitant « les compromissions aux dépens de la Constitution, la paralysie des institutions et les débats extra-institutionnels et polémiques » (Issam Sleiman).

 

  2. L’autosaisine : L’absence d’autosaisine du Conseil à propos de certaines lois considérées fondamentales a fortement limité les attributions du Conseil (Antoine Khair).

 

a. Fruit d’une évolution : L’évolution juridique et constitutionnelle dans le monde tend à « la constitutionnalisation de l’ensemble du droit avec l’exigence que la règle morale et constitutionnelle irrigue tout le droit, notamment à travers des saisines dans l’intérêt de la Constitution, et pas seulement de la loi, surtout que le Préambule de la Constitution reflète l’identité nationale à sauvegarder dans l’intérêt du peuple et de la Patrie : Il n’y a pas là un contrôle du Parlement, mais de la constitutionnalité, sans rechercher qui vaincra, le vainqueur étant la Constitution » (Fayiz Haj-Chahine). Dans cette perspective, l’évolution du Droit dans la région tend à « rationaliser la pratique constitutionnelle à travers des contrôles préventifs » (Paul Morcos).

 b. Les lois organiques : La Constitution libanaise n’a pas opéré une distinction explicite entre les lois (Paul Morcos). Cependant l’article 65 de la Constitution, avec l’exigence de la majorité qualifiée en Conseil des ministres pour 14 questions (Antonio Abou Kasm), formule une distinction en rapport certes avec le Préambule de la Constitution. En outre, « nombre de lois fondamentales ne peuvent passer sans contrôle préventif » (Samir el-Jisr). Il faudrait cependant, sans reproduire servilement des pratiques dans d’autres pays, déterminer limitativement les lois objet d’autosaisine, « sans trop étendre aux textes relatifs aux libertés en général » (Ghassan Moukheiber).

 

3. Le recours par voie d’exception : Cette perspective, garantie dans la majorité des instances constitutionnelles, et même dans la plupart des Cours et Conseils constitutionnels arabes, est inexistante au Liban. Il en découle notamment que toute la législation libanaise antérieure aux amendements constitutionnels de 1990 est soustraite à tout contrôle de constitutionnalité. La Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), instituée en France depuis le 10 mars 2010, incite à une réflexion opérationnelle sur ses procédures et son effectivité. Deux perspectives se dégagent des interventions et débats.

  a. Question « prudente » de constitutionnalité : La contestation d’une loi pour inconstitutionnalité au cours d’un procès ouvre certes la voie à une « conception vivante du droit qui rejoint plusieurs Etats arabes : Le Conseil constitutionnel sera ainsi appelé à trancher des questions sensibles, notamment sur le statut personnel, le statut de la femme…, et donc de grands débats » (Lara Karam Boustany). Le juge constitutionnel libanais sera-t-il alors « introduit dans l’arène politique ? » (Chebli Mallat). Certes la Cour de Cassation est souvent intervenue et intervient dans la conciliation entre droits individuels et droits communautaires (Tarek Ziadé). Il faudra cependant éviter « la logique du contournement dans des questions sensibles, ce qui donnerait un couvert de légitimité » (Lara Karam Boustany).

Quelles sont les garanties de procédure dans le cas de recours par voie d’exception ? Il faudra éviter dans le filtrage par les tribunaux les « jugements constitutionnels négatifs » (Lara Karam Boustany), quand l’exception soulevée n’est pas transmise au Conseil constitutionnel. Il faudra aussi déterminer, comme c’est le cas en France, des délais fort limités (Salah Moukheiber), évitant un surplus d’engorgement de la magistrature avec des moyens procéduraux dilatoires (Tarek Ziadé). On cite le cas de la procédure de l’amparo, ou recours direct par les citoyens en Espagne, où sur 7.000 cas, 80 seulement ont été retenus (Chebli Mallat). Ainsi la Question prioritaire de constitutionnalité en France (QPC) exigera-t-elle au Liban des adaptations en vue d’une « Question prudente de constitutionnalité »
(Lara Karam Boustany).

b. Favoriser le citoyen démuni et marginalisé : Le problème du recours devant le Conseil constitutionnel par les ordres professionnels, les syndicats et les associations reconnues, avec éventuellement le soutien de quelques députés, est soulevé (Antonio al-Hachem). Le but : s’occuper du « citoyen démuni et marginalisé » (Chebli Mallat) « qui n’a pas d’autre rampart que la magistrature » (Khaled Kabbani), surtout dans la mondialisation d’aujourd’hui où les quatre pouvoirs du politique, du capital, de l’intelligentsia, et des médias se trouvent concentrés en un même bloc.

 

4. Nomination des membres, quorum et majorité : Des participants relèvent les avantages du système actuel du choix des dix membres du Conseil constitutionnel (Ahmad Takieddine), avec donc une diversité dans la composition, facteur de confiance.

Face à une certaine dramatisation de l’appartenance communautaire, on relève qu’en pratique cette appartenance, souvent amplifiée par des médias, est sans impact sur le comportement effectif dans les débats et l’élaboration des décisions. Deux perspectives se dégagent :

 a. Nomination par le Chef de l’Etat : Le nouvel article 49 de la Constitution fait assumer au Chef de l’Etat le rôle fort important de gardien et veilleur constitutionnel. On propose que tous les membres du Conseil soient nommés par le Chef de l’Etat (Khaled Kabbani). On propose aussi que la composition du Conseil ne soit pas limitée à des juristes (Antonio al-Hachem). On relève aussi que le principe de la séparation des pouvoirs implique aujourd’hui la recherche de nouvelles alternatives pour la garantie des droits et la participation citoyenne (Wassim Mansouri).

b. Eviter blocage et indécision : Le fond du problème réside dans l’indépendance du juge constitutionnel qui, en aucun cas, ne peut se désister ou bloquer (Khaled Kabbani) et qui, suivant la Charte déontologique du magistrat, doit avoir le courage dans les décisions (Tarek Ziadé). La majorité qualifiée dans une décision fournit un surplus de légitimité et de confiance (Antonio al-Hachem). On propose aussi, d’une part la désignation de suppléants en cas d’absence justifiée pour cause de force majeure, et la publication d’un procès-verbal intégral montrant la variété des positions en cas de partage des voix (Zaghloul Attié). Certes c’est le travail parlementaire régulier et l’extension des attributions du Conseil constitutionnel qui accroissent les charges du Conseil (Salah Moukheiber).

***

Un tableau comparatif des attributions de quinze Cours et Conseils constitutionnels dans le monde arabe (Mukles Hussein, doctorant irakien, USJ) montre que les attributions du Conseil constitutionnel libanais sont aujourd’hui circonscrites au minimum. Il y a donc une exigence fondamentale de renouveler le débat avec les révolutions arabes (Chebli Mallat), avec la mise en vigueur concrète du principe de suprématie de la Constitution (Issam Sleiman).

Que faire en conséquence ? Il faudra envisager un mécanisme de suivi (Ghassan Moukheiber), et des cadres civils et scientifiques de pression (Paul Morcos). Le projet du Conseil constitutionnel, élaboré par le président du Conseil, et les actes du séminaire qui paraîtront vers fin 2016, fournissent un matériel incontournable de travail.