Décision No. 5/2000



 Décision No. 5/2002

Date: 04/11/2000

 

Recours No. : 4/2002

La Requérante: Mirna Murr, candidate battue au siège grec orthodoxe de la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn – au cours des élections législatives partielles organisées en date du 02/06/2002.

Le Défendeur : Gabriel Murr, candidat proclamé élu pour le siège grec orthodoxe de la deuxième circonscription du Mont-Liban – Caza du Metn – au cours des élections législatives partielles organisées en date du 02/06/2002.

Objet : Recours en invalidation de la députation du Défendeur.

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège le 4 novembre 2002, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,

Considérant que la Requérante, Mme Mirna Murr, candidate battue au siège grec orthodoxe de la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn – au cours des élections législatives partielles organisées en date du 02/06/2002, a présenté à la présidence du Conseil Constitutionnel et par le biais de son mandataire, un recours daté du 08/07/2002 et enregistré auprès du greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 4/2002, visant à contester la validité de la députation de M. Gabriel Murr, candidat proclamé élu pour le siège susnommé au cours des élections organisées dans la circonscription susmentionnée et demandant de recevoir son recours en la forme et au fond, de rendre une décision déclarant l’invalidité de la députation de M. Gabriel Murr et par la suite, d’annuler sa députation ainsi que les élections partielles organisées dans la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn – pour le siège grec orthodoxe. Considérant que la Requérante a allégué ce qui suit :

La Requérante a présenté sa candidature aux élections partielles organisées en date du 02/06/2002 pour le siège grec orthodoxe vacant dans la deuxième circonscription du Mont-Liban – Caza du Metn – à l’instar de MM. Gabriel Murr et Ghassan Mokhaiber. A l’issue du scrutin, la Requérante a obtenu un total de 34 760 voix contre 34 745 voix pour le Défendeur, Gabriel Murr, conformément au nombre total de voix calculé par les commissions de décompte des voix. Il appert également du procès-verbal soumis au ministère de l’Intérieur par la commission supérieure de décompte des voix le lendemain matin, soit le lundi 03/06/2002, que la Requérante avait remporté les élections avec une différence de 15 voix et que par conséquent, le ministère susnommé aurait dû la proclamer élue pour le siège vacant. Cependant, en raison des pressions politiques, médiatiques, confessionnelles et religieuses exercées par la MTV, chaîne télévisée appartenant au Défendeur, M. Gabriel Murr, ainsi que par ses alliés, la proclamation des résultats du scrutin communiqués par la commission supérieure de décompte des voix a été retardée de plus d’une semaine et les menaces médiatiques ont pris de l’ampleur, phénomène qui s’est par ailleurs accompagné d’émeutes confessionnelles, de la démission des députés maronites et de manifestations populaires, ce qui a poussé la Requérante à trouver une échappatoire politique en vue d’éviter la crise qui menacerait la stabilité du pays, d’autant plus que la révolte s’est étendue à tous les services de l’Etat, a mis en doute l’indépendance de la justice et a pris pour cible le courant chrétien modéré représenté par la Requérante et que le Défendeur et ses partisans ont lancé plusieurs accusations à l’encontre d’un pays frère qui a préservé l’entente nationale, ce qui a poussé la Requérante à adresser, en premier lieu, une lettre au ministère de l’Intérieur en date du 10/06/2002 en vue de calmer la situation et à présenter, en second lieu le présent recours au Conseil Constitutionnel qui remettra les choses dans l’ordre, en sa qualité d’autorité compétente pour régler le litige qui lui est soumis. La Requérante a également ajouté que les sept motifs du recours sont les suivants :

1- Le Défendeur ainsi que la chaîne télévisée lui appartenant, la MTV, ont porté préjudice aux dispositions de l’article 68 de la loi électorale.

2- L’article 42 de la loi électorale n’a pas été respecté étant donné que le nombre de représentants du Défendeur a été augmenté à travers la présentation de la candidature fictive de M. Samir Choueiry.

3- Les différentes infractions commises à savoir, la distribution de tracts, les menaces proférées à l’égard de certains chefs de municipalités, les manifestations organisées devant les bureaux de vote, l’agression des électeurs et la diffusion d’images confessionnelles provocantes.

4- Les pressions politiques et médiatiques et l’encerclement du sérail de Jdeidé par les manifestants pour faire pression sur les commissions de décompte des voix, la falsification des documents du bureau de vote de Hemlaya, la manipulation des procès-verbaux et la proclamation de faux résultats en vue d’induire l’opinion publique en erreur.

5- Les erreurs commises dans les procès-verbaux des élections, dans les chiffres inscrits dans les listes ainsi que dans certaines listes électorales qui ont été adoptées de manière contraire à la loi.

6- La bataille médiatique, les menaces, la provocation et l’appel au soulèvement et à la révolte en vue d’exercer des pressions politiques sur le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la bataille de « proclamation des résultats des élections ».

7- L’échappatoire politique pour éviter la crise ainsi que la lettre adressée en date du 10/06/2002 par le député Michel Murr au ministère de l’Intérieur et des Municipalités déclarant le retrait de la Requérante de la bataille de « proclamation des résultats », en vue

de calmer la situation et de réduire les tensions politiques accablant le pays ainsi que les institutions judiciaires et administratives.

Par ailleurs, la Requérante a détaillé l’impact que les sept motifs du recours susmentionnés ont eu sur le processus électoral :

A- Concernant la violation des dispositions de l’article 68 de la loi électorale :

L’article 68 de la loi électorale prévoit ce qui suit :

« Les stations de radiodiffusion et de télévision ainsi que la presse non politiques ne peuvent faire de propagande électorale politique durant la campagne électorale qui débute dès la convocation du corps électoral et prend fin le jour du scrutin et lors de la proclamation des résultats définitifs, sous peine d’annulation ou de clôture totale en vertu d’une décision rendue par le tribunal des imprimés dans la chambre de délibération ».

Le Défendeur a clairement porté préjudice aux dispositions de l’article 68 de la loi électorale durant et tout au long de la campagne électorale. En effet, la chaîne télévisée lui appartenant, la MTV, s’est engagée dans une campagne électorale dès que l’organisation d’élections partielles dans le Caza du Metn a été annoncée, soit depuis le 02/05/2002. Cette campagne s’est poursuivie pendant 35 jours d’affilée au cours desquels tous les moyens de propagande électorale ont été utilisés : journaux télévisés ainsi que rencontres et interviews avec des figures politiques alliées au candidat propriétaire de la chaîne MTV. La Requérante a dû ainsi subir toutes sortes d’insultes, de diffamations et de calomnies qui ont également visé le courant chrétien modéré et tous ses représentants dont notamment les membres de la famille de la Requérante et dont l’objectif était de monter les chrétiens contre eux et par conséquent contre la Requérante, en attisant les tensions religieuses et confessionnelles. Or, ces actes constituent également une violation de la loi sur l’audiovisuel, notamment des dispositions de son article 7, alinéa 2, qui impose aux médias le respect de l’être humain, de la liberté et des droits d’autrui, du caractère multiconfessionnel du Liban ainsi que la préservation de l’ordre public et une violation de l’article 317 du Code Pénal qui interdit tout acte, texte ou discours pouvant ou ayant pour objectif d’attiser les tensions confessionnelles ou racistes ou d’encourager le conflit entre les différentes confessions. Or, cette campagne médiatique provocatrice a leurré une partie des libanais (les chrétiens), démontrant ainsi que la chaîne télévisée MTV ne remplit plus les conditions d’objectivité, de modération et d’honnêteté et qu’elle ne s’est pas conformée à l’obligation de diffusion des différentes opinions et idées, ce qui a créé un climat d’hystérie que le pays n’avait jamais connu dans le cadre d’élections législatives et ce, outre les pressions et menaces exercées par le Défendeur et ses alliés contre l’Etat et la justice dans un but d’empêcher toute poursuite judiciaire, conformément aux dispositions de l’article 68 de la loi électorale, d’autant plus qu’ils ont accusé la justice libanaise d’être politisée. La chaîne télévisée MTV a poursuivi sa campagne électorale en faveur de son candidat jusqu’aux derniers jours précédant le scrutin, elle a également eu recours à la provocation confessionnelle et raciste au détriment de la Requérante qui n’a répondu à ces propos calomnieux que dans les limites autorisées par la loi et ce, en distribuant des tracts et en circulant parmi les électeurs, ce qui n’égale aucunement l’impact de l’écran télévisé qui pénètre dans chaque maison et dans chaque esprit. Par ailleurs, la Requérante a également produit un grand nombre de vidéocassettes appuyant ses allégations.

B- Concernant la violation des dispositions de l’article 42 de la loi électorale :

Le Défendeur a présenté la candidature fictive de l’un de ses employés, M. Samir Choueiry, en vue d’obtenir un plus grand nombre de représentants et d’assistants, portant le nombre de ses représentants et assistants de chefs de bureaux de votes à 2 400 personnes au lieu de 1 200. Cette fraude, cette manipulation et ce subterfuge qui ont permis au député dont la députation est contestée de verser secrètement des pots-de-vin à tous ces représentants en leur payant un salaire quotidien de 300 USD. Ainsi et en effectuant un simple calcul, il appert que la somme totale payée en tant que salaires qui ne représentent en fait que des pots-de-vin visant à acheter voix et consciences est de l’ordre de 720 000 USD.

C- Concernant les différentes violations commises le jour du scrutin et pendant les quelques jours le précédant :

Certains partisans et alliés du Défendeur ont commis les violations suivantes :

a- La distribution de tracts au cours des trois premiers jours précédant les élections, la veille du scrutin et le jour du scrutin, soit le dimanche, aux portes des églises. Lesdits tracts représentent une incitation directe et une invitation expresse au vote en faveur de ceux qui luttent contre l’occupation syrienne et les agents syriens et à la libération du Liban de l’hégémonie syrienne.

b- Les menaces de mort proférées à l’encontre de certains chefs de municipalités dans le cas où ces derniers persévéreraient dans leur soutien de la candidate requérante, sachant que les forces de sécurité avaient été notifiées de ce fait et avaient mené les enquêtes nécessaires ce qui leur a permis d’établir l’identité de la personne à l’origine de ces menaces. Il s’agissait en effet d’un des partisans du député dont la députation est contestée. La Requérante a par ailleurs nommé certains chefs de municipalités qui ont fait l’objet de menaces et a demandé d’entendre leur déposition.

c- Les manifestations organisées devant les bureaux de vote le jour des élections, les slogans et les menaces visant à empêcher les partisans de la Requérante de voter, l’encouragement des électeurs à voter en faveur du Défendeur, la provocation des forces de sécurité pour que celles-ci se voient dans l’obligation de recourir aux mesures de répression et le filmage de ces scènes pour montrer qu’il y a répression des libertés et des citoyens.

d- La diffusion de scènes truquées sur les écrans de télévision dans lesquelles certains électeurs musulmans naturalisés habillés en arabes sont appelés à déclarer oralement leur soutien à la Requérante et ce, en vue de monter les chrétiens contre elle. Ces scènes et déclarations étaient diffusées chaque quart d’heure pour attiser les tensions confessionnelles et pousser les chrétiens à voter massivement contre la candidate requérante. Pour appuyer ses

allégations, la Requérante a soumis des vidéocassettes et des tracts avec son recours.

D- Concernant les pressions politiques et médiatiques exercées dans la rue :

Le Défendeur et ses alliés ne se sont pas contentés de commettre les infractions susmentionnées ; ils ont même tenté, sous la bannière de l’opposition et de la démocratie, de falsifier les résultats des élections et sont ouvertement intervenus auprès d’une figure politique influente, sachant que cette dernière opération a été diffusée sur la chaîne télévisée LBC.

En fait, après la clôture des urnes et leur remise aux quatre commissions de décompte des voix, l’urne No. 303 Hemlaya ne comprenait pas le procès-verbal d’élection des votants, ce qui a poussé la présidente de la commission, le juge Jeannette Hanna, à annuler le résultat dudit bureau de vote, d’autant plus qu’il y avait un écart de deux voix entre le nombre de votants et le nombre total de voix obtenues par chacun des candidats. Cependant, suite à l’intervention du Défendeur demandant à la présidente de la commission de revenir sur sa décision et de compter le bureau de vote susmentionné, demande que cette dernière a refusée après qu’il lui eut soumis un procès-verbal falsifié comprenant les résultats des bureaux de votes No. 303 et 304 Hemlaya sur un même procès-verbal, le Défendeur est intervenu auprès d’une figure politique influente pour que cette dernière pousse le président de la commission supérieure de décompte des voix à trouver une solution en sa faveur, c'est-à-dire, de prendre en compte le résultat de l’urne No. 303 Hemlaya ce qui donnerait par conséquent au Défendeur une avance de trois voix sur la Requérante, alors que le résultat définitif communiqué par les commissions locales de décompte des voix prouve que la Requérante est celle qui a remporté les élections avec une différence de 15 voix ; en effet elle a obtenu un nombre total de 34 760 voix contre 34 745 voix pour le Défendeur. C’est alors que le président de la commission supérieure de décompte des voix a introduit des décisions supplémentaires au procès-verbal de la quatrième commission, a modifié les chiffres y figurant en dépit des contestations des deux autres membres de la commission supérieure qui ont refusé d’ajouter toute décision à celle prise par la quatrième commission de décompte des voix, étant donné que cet acte est contraire aux dispositions de l’article 60 de la loi électorale qui limite les prérogatives accordées à la commission supérieure à l’addition des résultats des votes communiqués par les commissions de décompte des voix et par la suite, à leur envoi au Mohafez, après l’élaboration d’un procès-verbal final à cet égard. Se voyant dans l’impossibilité de trouver la solution appropriée, le président de la commission supérieure de décompte des voix a proposé de renvoyer l’affaire devant le ministère de l’Intérieur et a alors adressé, après la réunion de la commission supérieure, une lettre audit ministère le notifiant de sa décision en ce qui concerne les résultats des élections qui montrent que Mirna Murr avait obtenu 34 760 voix contre 34 745 voix pour Gabriel Murr et 1 772 voix pour Ghassan Mokhaiber, déclarant qu’il était possible de prendre en compte les résultats de l’urne No. 303 Hemlaya que la quatrième commission de décompte des voix avait annulée et demandant au ministère de l’Intérieur de prendre la décision appropriée. Cependant, ledit ministère a renvoyé le dossier à la commission supérieure de décompte des voix pour que cette dernière prenne la décision finale et détermine les résultats définitifs. C’est alors que la commission a confirmé sa décision finale en déterminant les résultats tels que ci-dessus, soit 34 760 voix en faveur de la Requérante et 34 745 voix en faveur du Défendeur, ce qui implique que la Requérante est celle qui a remporté les élections avec 15 voix de plus. Dès que le ministère de l’Intérieur a été notifié de ces résultats, les interventions, les pressions et les manifestations près du sérail de Jdeidet el Metn ont commencé et un grand nombre des partisans du député défendeur ont tenté d’influencer le président de la commission supérieure de décompte des voix qui n’avait jamais annoncé le résultat des élections, contrairement aux affirmations contenues dans le procès-verbal de la commission. En fait, le député Nassib Lahoud qui était sorti du sérail, a déclaré que M. Gabriel Murr avait remporté les élections avec un écart de trois voix, alléguant que ce résultat avait été confirmé par le président de la commission supérieure, alors que ceci n’avait jamais eu lieu. Or, cette fausse déclaration a secoué le pays sur les plans politiques et confessionnels et a soulevé de nombreux doutes quant à la validité des résultats, ce qui a poussé la Requérante à recourir à l’autorité judiciaire compétente pour proclamer le résultat exact, conformément à la décision de la commission supérieure de décompte des voix et ce, bien que son recours soit limité à la déclaration d’invalidation de la députation du Défendeur et qu’elle ne demande pas de la proclamer élue.

E- Concernant les erreurs commises dans les procès-verbaux et dans les chiffres ainsi que les autres erreurs :

Les infractions qui ont accompagné le processus électoral, qui ont fait l’objet de contestations de la part des représentants de la Requérante et qui ont été soulevées devant les commissions de décompte des voix sont les suivantes :

a- Certaines enveloppes envoyées aux commissions de décompte des voix par les chefs des bureaux de vote ne comprenaient pas les procès-verbaux électoraux qui précisent le nombre de votants ainsi que le nombre de voix obtenues par chaque candidat. Par ailleurs, certains documents n’étaient pas signés par les chefs des bureaux de vote ou par la commission.

b- L’existence de certaines divergences entre le nombre de votants et le nombre total des voix obtenues par les candidats (y compris les bulletins nuls) dans plus de 35 bureaux de vote, dont le bureau de vote No. 371 Kaakour qui présente un écart de 4 voix et le bureau de vote No. 303 Hemlaya qui présente un écart de 2 voix, etc… soit un écart total de plus de 40 voix.

c- Le fait que trois listes électorales dans trois bureaux de vote n’aient pas été signées par le chef du bureau de vote ou le membre chargé de s’assurer de la validité des élections, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 51 de la loi électorale. Il s’agit là des bureaux de vote No. 285 Al Mrouj, 310 Chweya et 322 Kennebet Salima, ces derniers ont été pris en considération dans le calcul en dépit du fait qu’ils soient contraires à la loi et malgré les objections exprimées par les représentants de la Requérante.

d- Les élections se sont accompagnées de 977 bulletins nuls qui sont détaillés dans les procès-verbaux. Quelques bulletins ont été considérés nuls par certains chefs de bureaux de vote en raison de l’existence de deux bulletins comprenant le nom du même candidat, alors que d’autres chefs les avaient considérés valides et les avaient calculés, sachant que ces bulletins auraient dû être acceptés étant donné qu’ils ne sont pas considérés nuls au sens de l’article 56 de la loi électorale, ce qui a fait perdre à la Requérante plus de 90 voix. La Requérante ne demande pas de procéder à nouveau au calcul des voix et de la proclamer élue mais d’annuler les élections, sachant que le résultat obtenu et annoncé par l’une des chaînes télévisées prouve qu’elle avait remporté les élections avec plus de 400 voix. La Requérante a par ailleurs produit plusieurs vidéocassettes ainsi que des documents appuyant ses allégations.

F- Concernant la bataille de « proclamation des résultats des élections », les menaces et la provocation :

Alors que le ministère de l’Intérieur se préparait, le lundi 03/06/2002, à proclamer les résultats définitifs communiqués par la commission supérieure de décompte des voix selon lesquels la Requérante avait remporté les élections, la bataille de « proclamation des résultats des élections » a commencé sous l’initiative du Défendeur et de ses partisans, politiciens et hommes de religion et s’est manifestée à travers les médias et par la révolte de toutes les factions et forces politiques le soutenant, faisant ainsi pression sur le ministère de l’Intérieur qui a décidé qu’il valait mieux remettre la proclamation des résultats pour éviter toute émeute. Dans une tentative de trouver une solution à la crise et bien que ceci ne s’inscrive pas dans le cadre de ses compétences, le ministère de l’Intérieur a réexaminé les procès-verbaux et les listes électorales et a découvert qu’un bureau de vote de la localité de Kaakour a été inscrit à deux reprises dans la liste des résultats de l’une des commissions de décompte des voix et que, en remédiant à cette erreur, le Défendeur aurait 17 voix supplémentaires en sa faveur. Lorsque la Requérante a appris que ledit ministère avait adopté cette solution contraire à la loi, elle a soulevé l’existence de nombreuses erreurs similaires dans certains bureaux de vote et a affirmé qu’il incombait par conséquent, au ministère de l’Intérieur, de rectifier toutes ces erreurs matérielles, même si cette mesure ne s’inscrit pas dans le cadre de ses compétences et qu’il ne devrait pas se suffire de rectifier l’erreur commise dans un seul bureau de vote, à savoir celui de Kaakour. C’est alors que le ministère susmentionné a adressé une lettre au ministère de la Justice, le sommant de demander aux commissions de décompte des voix et par la suite à la commission supérieure, de réexaminer toutes les erreurs, cependant, deux membres de la commission supérieure de décompte des voix se sont opposés à ce fait étant donné que la mission de ladite commission avait pris fin et que les prérogatives de régler tout litige appartiennent au Conseil Constitutionnel, l’organe judiciaire compétent pour examiner l’affaire. Par conséquent, la commission ne s’est pas réunie et la crise a conservé son statut quo et dans tous les cas, toutes les mesures ayant accompagné cette phase des élections sont contraires à la loi et ont donné naissance à une crise politique et judiciaire. Est-il donc possible de ne pas considérer nul le scrutin et par conséquent, de ne pas annuler la députation du Défendeur, à la lumière de toutes ces infractions qui ont donné naissance à une crise qui a rendu le gouvernement incapable de proclamer les résultats définitifs et exacts des élections ?

G- Concernant l’échappatoire politique et le retrait de la Requérante de la bataille de proclamation des résultats :

Les pressions et les interventions des politiciens et des autorités soutenant le Défendeur ainsi que les campagnes médiatiques sur la MTV qui ont provoqué les foules et ont fait appel aux grèves, aux manifestations, à la révolte contre l’état et à la rébellion civile ont retardé la proclamation des résultats communiqués au ministère de l’Intérieur le lundi 03/06/2002 au matin et selon lesquels les voix obtenues par chacun des candidats étaient comme suit :

Mirna Murr 34 760 voix

Gabriel Murr 34 745 voix

Ghassan Mokhaiber 1 773 voix

Ce retard qui a duré pendant une semaine a poussé le député Michel Murr à trouver une solution politique au problème que posait la proclamation des résultats, il a alors adressé une lettre au ministère de l’Intérieur en date du 10/06/2002 visant à éviter toute tension politique ainsi que toute révolte, toute manifestation et tout accrochage avec les forces de sécurité intérieure et qui par conséquent, a pour objectif de trouver un moyen permettant d’arracher le dossier des élections du Caza du Metn à la rue et de le renvoyer au Conseil Constitutionnel. La lettre susmentionnée énumère les motifs de la crise ainsi que les infractions à la loi qui ont accompagné la bataille de proclamation des résultats et insiste sur la nécessité de proclamer le nombre exact de voix obtenues par chaque candidat, sur base du procès-verbal de la commission supérieure de décompte des voix daté du 03/06/2002. La lettre annonce également le retrait de la Requérante de la bataille de proclamation des résultats des élections et demande de proclamer élu le candidat ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur. Le ministère de l’Intérieur a alors notifié la Chambre des Députés qu’il était désormais possible de considérer le candidat défendeur député du Metn, sans pour autant mentionner le nombre de voix qu’il a obtenues, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 60 de la loi électorale.

La Requérante a également ajouté que sa lettre de retrait ne devrait pas être considérée comme un retrait de candidature ou une démission, que dans tous les cas, l’auteur de la lettre ne détient pas un pouvoir spécial lui permettant de céder tout droit et qu’il appartient désormais au Conseil Constitutionnel d’étudier cette affaire et par conséquent d’examiner tous les faits et d’établir leur légalité. La Requérante a affirmé qu’il convenait, dans tous les cas, de déclarer l’invalidité de la députation du défendeur étant donné qu’il n’a pas obtenu la majorité des voix des votants.

La Requérante a donné une idée de l’impact de ces sept infractions sur le résultat des élections ainsi que sur le nombre de voix obtenues par chaque candidat :

a- En ce qui concerne la première infraction relative à la violation de l’article 68 de la loi électorale, la Requérante a affirmé que la campagne électorale qui a duré pendant plus de trente jours sans arrêt a largement influencé les votants chrétiens, soit 10% des électeurs qui représentent 72 000 voix, soit un équivalent de 7 000 voix. Il convient ainsi de soustraire du nombre total de voix obtenues par le défendeur les 7 000 voix susmentionnées, ce qui permettrait à la Requérante d’être élue avec un écart de 7 000 voix dans le cas où l’objet de la requête était de la proclamer élue ce qui n’est pas le cas ; en effet, la Requérante demande uniquement de déclarer l’invalidation de la députation du Défendeur et de considérer son élection nulle et non avenue.

b- En ce qui concerne la dérogation à la loi à travers la candidature fictive de M. Samir Choueiry, la multiplication du nombre des représentants chargés de gérer et de contrôler le processus électoral a abouti à l’augmentation du nombre de représentants en faveur du candidat fictif à 1 200 voix. Par ailleurs les pots-de-vin versés à 2 400 représentants imposent la déduction de ce chiffre des voix obtenues par le Défendeur, ce qui porte le nombre total de voix obtenues par le Défendeur contrairement à la loi à 3 600 voix qu’il convient de déduire des voix qu’il a obtenues.

c- En ce qui concerne l’impact du troisième motif relatif aux infractions sécuritaires sur le résultat des élections et notamment en ce qui concerne les tracts distribués aux portes des églises ainsi que la diffusion des images des électeurs et électrices musulmans, pas moins de mille votants ont été influencés par ces mesures. Il convient par conséquent de déduire ce nombre des voix obtenues par le candidat défendeur.

d- En ce concerne l’impact des quatrième et cinquième motifs du recours relatifs aux pressions médiatiques et politiques ainsi que les erreurs contenues dans les chiffres de certains bureaux de vote et par conséquent dans les résultats et le retard qui s’en est ensuivi dans la proclamation des résultats des élections par le ministère de l’Intérieur en raison de la grande crise politique qui a secoué le pays, outre la violation des lois et le recours aux échappatoires politiques. Il convient par conséquent de déclarer invalide la députation du Défendeur.

e- En ce qui concerne l’impact du cinquième motif relatif aux erreurs commises dans les procès-verbaux et les listes électorales, l’adoption de solutions contraires à la loi aboutit à la nécessité de compter un minimum de 400 voix en faveur de la Requérante. Cependant, ceci ne fait pas l’objet d’une requête de la part de la Requérante qui demande de déclarer l’invalidité de la députation du Défendeur et de considérer son élection nulle et non avenue.

f- En ce qui concerne l’impact du septième motif relatif à l’échappatoire politique, à savoir le retrait de la Requérante de la bataille de proclamation des résultats, ce retrait est lié à des conditions qui ne peuvent être prises indépendamment l’une de l’autre. Quoi qu’il en soit, le désistement présenté par son représentant, le député Michel Murr suppose un pouvoir spécial de la part de la Requérante lui conférant le droit de se désister, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire, ce qui montre que cette échappatoire politique illégale avait pour seul objectif d’éviter la révolte. La Requérante demande par conséquent au Conseil Constitutionnel de prendre en considération la décision et non l’échappatoire politique, de déclarer l’invalidité de la députation du Défendeur et de considérer son élection nulle et non avenue.

En résumé, la Requérante rappelle ce qui suit :

1- L’existence de plusieurs facteurs et de plusieurs violations attestées par des témoins ainsi que l’écart minime existant entre le nombre de voix obtenues par chacun des candidats, comme il est le cas, devraient aboutir à l’annulation des élections.

2- Les prérogatives confiées à la commission supérieure de décompte des voix se limitent à la lecture du nombre total de voix obtenues par chacun des candidats et à l’addition des résultats communiqués par les commissions de décompte des voix, à l’inscription du résultat définitif sur les listes, à l’élaboration du procès-verbal de constat et à la signature de ce procès-verbal par tous les membres de la commission et ce, conformément aux dispositions de l’article 60 de la loi électorale, par conséquent, la commission supérieure de décompte des voix ne peut modifier les décisions des commissions locales de décompte des voix ou y rajouter quoi que ce soit et le pouvoir décisionnaire est uniquement conféré aux commissions de décompte des voix conformément aux dispositions des articles 16 et 59 de la loi électorale. Ainsi, toutes les mesures prises par la commission supérieure de décompte des voix après sa réception des procès-verbaux et des listes des résultats des commissions de décompte des voix sont contraires à la loi.

3- Il appert des jurisprudences des Conseils Constitutionnels libanais et français que dans le cas où les infractions commises sont nombreuses et extrêmement dangereuses, tel qu’il est le cas dans la présente affaire, le Conseil Constitutionnel n’hésite pas à déclarer l’annulation des élections, sans prendre en considération le nombre de voix qui pourraient avoir été influencées par lesdites infractions, sachant que l’annulation devient une certitude lorsque l’écart entre les voix est minime. La Requérante a produit une série de décisions jurisprudentielles libanaises et françaises appuyant ses allégations.

Pour ces motifs, la Requérante demande :

Premièrement : De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été présenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions légales.

Deuxièmement : De recevoir le recours au fond pour les motifs détaillés ci-dessus et de rendre une décision ordonnant de déclarer l’invalidité de la députation de M. Gabriel Murr et d’annuler son élection.

Troisièmement : D’annuler les élections de la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn pour le siège grec orthodoxe.

Considérant que le député élu Gabriel Murr a présenté par le biais de son représentant ses conclusions responsives en date du 23/07/2002 visant à répondre au recours en invalidation de sa députation intenté par Mme Mirna Murr, chef de la municipalité de Bteghrine et présidente de l’Union des municipalités du Metn. Le Défendeur a déclaré l’irrecevabilité du recours en la forme et a rejeté tous les motifs relatifs au fond en alléguant ce qui suit :

Il s’est porté candidat aux élections législatives partielles pour le siège grec orthodoxe du Caza du Metn en date du 02/06/2002 en sa qualité de représentant de l’opposition alors que la Requérante était la candidate choisie par les partisans du pouvoir représenté par le député Michel Murr, père de la Requérante, qui a ordonné à sa fille de présenter sa candidature fictive alors qu’il était lui-même le candidat réel auxdites élections. Le Défendeur a ajouté que suite au dépouillement des voix dans les bureaux de vote et à la communication des résultats dudit dépouillement par les commissions locales de décompte des voix à la commission supérieure de décompte des voix, il est apparu que la quatrième commission de décompte des voix avait pris une décision erronée et illégale en ce qui concerne l’annulation des résultats du bureau de vote No. 303 Hemlaya sous prétexte que le nombre de votants était supérieur au nombre de personnes ayant signé les listes électorales et ce, avec une différence d’une voix seulement, ce qui a porté la commission supérieure de décompte des voix à modifier le procès-verbal mentionné, à prendre en considération le résultat du bureau de vote susvisé et à élaborer un procès-verbal final comprenant le résultat définitif des élections qui attestent la victoire de Gabriel Murr avec une majorité de trois voix, résultat que ladite commission avait annoncé le lundi 03/06/2002 au matin dans le bureau du Qaem Makam du Metn, en la présence de ce dernier, des représentants du candidat, du député Michel Murr, représentant de la candidate Mirna Murr, des députés Nassib Lahoud et Pierre Gemayel. Ce fait a par ailleurs été corroboré par les deux déclarations faites par les ministres de la Justice et de l’Intérieur sur les chaînes télévisées ainsi que par la déclaration du ministre de l’Intérieur faite à travers les médias en date du 04/06/2002 annonçant officiellement la victoire du candidat Gabriel Murr dans les élections législatives partielles du Metn. Cependant, le député Michel Murr qui n’a pas accepté sa défaite, a tenté désespérément de modifier le résultat légitime des élections et s’est alors mis dans une position gênante dont il a voulu se sortir, c’est ainsi qu’il a annoncé, à travers les médias, le 09/10/2002 au soir, le retrait de sa mandante Mirna Murr sous prétexte de préserver la paix civile. Par la suite, il a adressé une lettre au ministre de l’Intérieur lui demandant de déclarer la victoire du candidat ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur, sachant que la Requérante avait approuvé cette mesure et qu’elle avait déclaré qu’elle n’intenterait pas de recours auprès du Conseil Constitutionnel. Or, malgré cette déclaration, la Requérante a bien intenté un recours qu’il convient de rejeter en la forme et au fond pour les motifs suivants:

Premièrement : En la forme :

Il convient de rejeter le recours en la forme pour les trois motifs suivants :

1- Etant donné qu’il est contraire aux dispositions de l’article 22 de la loi No. 665 datée du 29/12/1997 qui stipule qu’il est impossible d’être en même temps président et membre du Conseil Municipal d’une part et membre de la Chambre des députés d’autre part et que

le chef d’une municipalité ou son adjoint ne peuvent se porter candidats à des élections législatives que deux ans après leur démission ou la fin de leur mandat et étant donné que Mirna Murr est chef de la municipalité de Bteghrine et présidente de l’Union des Municipalités du Metn, sa candidature aux législatives est considérée nulle et non avenue. Par ailleurs, elle ne peut bénéficier des dispositions de l’article 31 de la loi No. 171 datée du 06/01/2000 qui prévoit la possibilité d’une vacance au sein de la Chambre des députés en raison d’un désistement ou d’un décès et la réduction du délai imposé pour l’organisation d’élections urgentes à deux semaines à compter de la date de promulgation du décret convoquant le corps électoral, étant donné que cet article a expressément exclu les chefs et membres des conseils municipaux ainsi que les Mukhtars qui restent sujets aux dispositions de leur propre loi No. 665 datée du 29/12/1997. Elle ne peut également pas bénéficier des dispositions de l’article 29 de la loi No. 171/2000 qui prévoit que le fonctionnaire qui est élu député est tenu de choisir entre la fonction et la députation au cours du mois suivant la déclaration de son élection sous peine de le considérer automatiquement démis de ses fonctions, étant donné que cet article est propre aux petits fonctionnaires qui ne sont pas tenus par la loi de présenter leur démission à l’avance. En somme et dans tous les cas, Mirna Murr n’a pas présenté sa démission de sa fonction en tant que chef de la municipalité de Bteghrine et aucun des documents de son dossier ne prouvent ce fait, d’autant plus qu’elle avait signé un permis de construire en date du 08/07/2002.

2- La nécessité d’intenter le recours dans un délai maximal de 30 jours à compter de la date de proclamation officielle des résultats des élections, alors que la commission supérieure de décompte des voix avait proclamé les résultats le lundi 03/06/2002 au matin, tel que déclaré par le ministre de l’Intérieur au début de la conférence de presse du 04/06/2002. Par conséquent, il convient également de rejeter le recours qui a été intenté le 08/07/2002 étant donné qu’il n’a pas été présenté dans le délai légal.

3- La cession, par Mirna Murr, de son droit d’intenter un recours quant aux résultats des élections et ce étant donné que lorsque son représentant et père, le député Michel Murr a annoncé son retrait et a demandé de déclarer la victoire du député ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur, il a également ajouté qu’elle n’intenterait pas de recours auprès du Conseil Constitutionnel, ce qui est considéré une cession de son droit de recours ultérieur contre la victoire dudit candidat. Il s’agit là d’une cession irrévocable, il convient par conséquent de rejeter ledit recours en la forme.

Par ailleurs, le député défendeur a présenté des documents ainsi que des vidéocassettes appuyant ses précédentes allégations.

Deuxièmement : Au fond

Considérant que le député défendeur a demandé de rejeter le recours au fond et a répondu aux sept motifs invoqués comme suit :

1- Les dispositions de l’article 68 de la loi No. 171/2000 n’ont pas été violées:

L’article susmentionné a interdit la publicité électorale et a permis la publicité politique, condition à laquelle la chaîne MTV s’est conformée dans toutes ses prises de position au cours de la campagne électorale. Elle a en effet reçu plusieurs politiciens tous courants confondus dans le cadre du programme « Sajjel Mawkaf » sans prendre parti avec aucun des candidats, sachant qu’elle a reçu tous les candidats pour le Caza du Metn, de Ghassan Mokhaiber à Jibran Tuéni et qu’elle a même fait appel à la candidate Mirna Murr qui a refusé l’invitation. Le Défendeur a ajouté que la chaîne télévisée MTV est détenue en majorité par une société par actions libanaise et dans laquelle Gabriel Murr ne détient que 7% des parts. Ce dernier n’est pas non plus membre de son Conseil d’Administration et n’occupe pas le poste de Directeur Général. La chaîne a toujours accompagné toutes les campagnes électorales précédentes et a accueilli au cours des élections de 2000, dans le cadre du programme « Saadat Al Naeb » de nombreux candidats et plusieurs candidats passaient au cours d’une même journée. Par ailleurs, la MTV n’a jamais mené de campagne contre la Syrie et n’est aucunement concernée par les élections du Metn. Cette même chaîne n’a jamais attisé les tensions religieuses sachant que si ces accusations étaient fondées, le Parquet aurait réagi et l’aurait poursuivie. Quoi qu’il en soit, si ces allégations étaient prouvées, ceci aboutirait à l’imposition d’une sanction au contrevenant et n’aurait aucun impact sur le résultat des élections. Par ailleurs, la prise de position de certains hommes politiques aux côtés de Gabriel Murr ainsi que les sondages d’opinion visant à connaître les différentes orientations de l’opinion publique sont des procédures normales, acceptées et en vigueur dans toutes les campagnes électorales que ce soit au Liban ou en France. Il convient par conséquent de rejeter le présent recours pour manque de sérieux des motifs invoqués et étant donné qu’ils sont dénués de tout fondement.

2- Les dispositions de l’article 42 de la loi électorale n’ont pas été violées :

Le nombre des représentants du candidat Gabriel Murr ne dépasse pas les 518, qui est un nombre autorisé par la loi par rapport au nombre des bureaux de votes qui s’élève à 245 bureaux de vote dans la région du Metn, ce qui est conforme aux dispositions de l’article 42 de la loi électorale qui autorise tout candidat à avoir un représentant fixe dans chaque bureau de vote ainsi qu’un représentant mobile pour chaque deux bureaux de vote. Par ailleurs, tous les représentants du candidat Gabriel Murr avaient obtenu les papiers officiels requis à cet égard. Quoi qu’il en soit, le fait de violer les dispositions de l’article 42 de la loi électorale ne devrait pas aboutir à l’annulation des élections, bien au contraire et ce, étant donné que la loi a prévu leur existence afin qu’ils puissent contrôler la validité du processus électoral. De plus, l’allégation que le candidat Samir Choueiry est un employé chez le candidat Gabriel Murr et qu’il s’est porté candidat pour que le Défendeur obtienne un plus grand nombre de représentants est une allégation fausse, étant donné que le candidat susmentionné est un ingénieur électronique connu qui travaille à son compte. Quant aux allégations que les salaires payés aux représentants sont de simples des pots-de-vin, il s’agit là d’allégations absolument nulles, étant donné que le représentant qui consacre une journée entière aux élections est entièrement dans son droit de percevoir une certaine somme d’argent, sachant que la plupart des représentants du candidat Gabriel Murr figurent parmi les rangs de ses partisans. Par conséquent, alléguer qu’il a acheté les consciences des électeurs est erroné et sans fondement aucun et ne porte pas atteinte à la validité des élections ; il convient par conséquent de rejeter le deuxième motif invoqué par la Requérante.

3- La distribution de tracts, les menaces de mort proférées à l’égard des chefs des municipalités et la diffusion d’images truquées des votants musulmans :

a- Distribuer des communiqués et des tracts, organiser des événements et communiquer avec les votants sont des mesures purement politiques auxquels le candidat a droit de recours conformément aux dispositions de la loi. Il s’agit là d’un droit que tous les candidats ont exercé.

b- Les menaces invoquées par la Requérante lui sont imputables étant donné qu’elle a eu la possibilité de menacer et de soudoyer les votants en abusant du pouvoir dont elle jouit au sein du système. Le candidat Gabriel Murr n’a pas eu recours aux menaces, étant donné qu’il s’agit d’un procédé auquel il ne croit pas et qu’il ne peut exploiter. Il n’a fait que convaincre. Par conséquent, les allégations figurant dans le recours à cet égard sont erronées, calomnieuses et dénuées de tout fondement.

c- Le candidat Gabriel Murr n’a aucune tendance fanatique et croit en la laïcité de la politique à laquelle il fait appel dès que l’occasion se présente. La diffusion des images montrant les arabes et les naturalisés sur la chaîne de la MTV est tout à fait normale, est semblable à la diffusion de tout autre scène électorale et n’attise pas les tensions confessionnelles et religieuses, d’autant plus que le corps électoral est en majorité composé de chrétiens (95%) et que la bataille électorale se déroulait entre eux. Par conséquent toutes les allégations y relatives que la Requérante a mentionnées dans le recours sont erronées, dénuées de tout fondement et n’ont aucune incidence sur la validité du processus électoral.

4- L’inexactitude des allégations figurant au recours et relatives aux irrégularités qui ont eu lieu lors du dépouillement devant les commissions de décompte des voix et devant la commission supérieure :

Lorsque les commissions locales de décompte des voix ont reçu et dépouillé de manière valide et légale les procès-verbaux de tous les bureaux de vote, il est apparu que les urnes des bureaux de vote de Majdel Tarchich et de Hemlaya ne contenaient pas toutes les informations requises. La présidente de la quatrième commission, le juge Jeannette Hanna a alors uniquement pris en compte le résultat du premier bureau qui était en faveur de la candidate Mirna Murr et a annulé le résultat du second qui était en faveur du candidat Gabriel Murr, bien que les irrégularités y contenues soient identiques. Il aurait fallu soit annuler les résultats des deux bureaux de vote soit les comptabiliser ensemble, cependant, la présidente de la commission a refusé d’opter pour cette solution malgré l’intervention du candidat Gabriel Murr et de ses représentants. Lorsqu’elle a reçu les dossiers, la commission supérieure a rectifié cette erreur et a décidé de comptabiliser les résultats du bureau de vote de Hemlaya. Ladite décision a été signée par tous les membres de la commission, à l’exception de l’inspecteur Mansour Daou. Par la suite, la commission supérieure de décompte des voix a pris une deuxième décision en vertu de laquelle elle a modifié le résultat final communiqué par la quatrième commission de décompte des voix. La commission supérieure a ensuite élaboré son procès-verbal final dans lequel elle a annoncé le résultat définitif des élections et proclamé la victoire de Gabriel Murr avec 34 894 voix contre 34 891 pour la candidate Mirna Murr, soit un écart de trois voix. Or, la commission supérieure n’avait pas relevé l’existence d’une autre erreur qui concernait le bureau de vote de Kaakour. En effet, ce dernier avait était comptabilisé en faveur de Mirna Murr, tel que démontré ultérieurement. Il convient de noter que la commission supérieure de décompte des voix avait pris cette dernière décision sans l’intervention du candidat Gabriel Murr ou de ses partisans et sans pression aucune, contrairement au représentant de la candidate Mirna Murr, son père le député Michel Murr, qui se trouvait sur place avec un grand nombre de ses partisans et qui est intervenu à plusieurs reprises auprès de la commission supérieure, tentant de lui donner une leçon d’interprétation de la loi et notamment des dispositions de l’article 60 de la loi No. 171/2000. A ce moment précis, le représentant de Gabriel Murr, le député Nassib Lahoud s’est levé, en la présence du député Pierre Gemayel, et a demandé au président de la commission supérieure s’il avait achevé sa mission et rendu sa décision. Le président a acquiescé et lui a communiqué le résultat définitif en la présence de toutes les personnes présentes et sur base du procès-verbal se trouvant sous ses yeux. Ce fait a été confirmé par les ministres de la Justice et de l’Intérieur. Les députés Nassib Lahoud et Pierre Gemayel ont ensuite quitté le siège de la Qaem Maqamiyat du Metn avec le candidat Gabriel Murr et ont annoncé la victoire de Gabriel Murr avec un écart de 3 voix à travers les médias. Cependant, le président de la commission supérieure de décompte des voix a par la suite renvoyé le procès-verbal de la commission au ministre de l’Intérieur en y ajoutant un autre résultat que celui figurant sur le procès-verbal signé par tous les membres de la commission supérieure. Le président de la commission avait noté ce qui suit : Nous vous communiquons les résultats ci-joints des élections, calculés conformément aux listes des commissions de décompte des voix comme suit :

Mirna Murr 34 760 voix

Gabriel Murr 34 745 voix

Ghassan Mokhaiber 1 773 voix

Le président de la commission de décompte des voix a également indiqué en bas de page qu’il était possible de comptabiliser les résultats du bureau de vote No. 303 Hemlaya que la quatrième commission de décompte des voix avait annulé, ce qui rendrait alors le nombre de voix obtenues par chaque candidat, conforme au procès-verbal et consacrerait la victoire de Gabriel Murr. Par conséquent, la remarque ajoutée par le président de la commission de décompte des voix est contraire à la loi et n’a aucune incidence sur le résultat final accompagné de la signature de tous les membres de la commission sur trois décisions dont deux inscrites sur le procès-verbal de la quatrième commission de décompte des voix et une finale, celle de la commission supérieure et inscrite sur son procès-verbal, tel qu’il appert de ce qui précède. Dans tous les cas, le Conseil Constitutionnel peut rectifier l’erreur commise par la quatrième commission locale de décompte des voix et que la commission supérieure avait corrigée et ce, étant donné que cette erreur matérielle est rectifiable. Il convient par conséquent d’affirmer la victoire du candidat Gabriel Murr sans tenir compte de la deuxième erreur matérielle qui concerne la double comptabilisation du bureau de vote de Kaakour dont la majorité des votes était en faveur de la Requérante étant donné que Gabriel Murr a remporté les élections dans tous les cas. Il convient par conséquent de négliger le quatrième motif du recours vu son manque de sérieux, son invalidité et son illégalité.

5- L’inexactitude des irrégularités mentionnées au recours et commises dans différents bureaux de vote :

La Requérante allègue que son représentant chargé de contrôler les travaux des commissions de décompte des voix a enregistré quelques remarques et irrégularités dans les procès-verbaux, les listes électorales, le décompte des bulletins nuls ainsi que dans d’autres documents électoraux. En fait, aucun des représentants de la Requérante n’avaient enregistré aucune irrégularité ou objection auprès des commissions de décompte des voix au cours du processus de dépouillement et la jurisprudence du Conseil Constitutionnel n’admet aucune réserve non prouvée ou aucune objection non inscrite. La triste réalité est que la Requérante et ses partisans tentent de monter des faits de toutes pièces pour justifier leur défaite. En ce qui concerne ses allégations affirmant l’existence d’écarts dans les voix du bureau de vote de Kaakour, il convient de déduire ce nombre de voix du nombre total de voix qu’elle a obtenues vu qu’elle a obtenu la majorité des voix dans ledit bureau de vote. De plus, en ce qui concerne ses allégations qu’elle n’accorde pas une grande importance à ces irrégularités étant donné qu’elle ne demande pas de proclamer sa victoire mais de déclarer l’annulation des élections, elle n’a par conséquent aucun intérêt personnel à contester les résultats des élections. Il convient ainsi de rejeter le cinquième motif du recours étant donné qu’il n’est pas justifié.

6- L’inexactitude des motifs invoqués quant aux menaces, provocations, manifestations et insurrections :

Aucune menace d’insurrection civile n’a eu lieu. La réalité est que certains citoyens ont spontanément exprimé leur peur d’une manipulation des résultats des élections et de leur volonté lorsqu’ils ont vu que le pouvoir retardait voire refusait de déclarer les résultats exacts communiqués par la commission supérieure de décompte des voix. Preuve en est la déclaration du ministre de l’Intérieur datée du 04/06/2002 qui a nié le fait que le résultat qu’il avait déclaré et qui proclamait la victoire de Gabriel Murr était le fruit de pressions ou d’un arrangement politique. En ce qui concerne le bureau de vote de Kaakour, il ne s’agissait pas d’une solution politique mais plutôt de la découverte d’une erreur matérielle faite par le ministère de l’Intérieur qui a remarqué que ledit bureau de vote a été comptabilisé à deux reprises. Par conséquent, Gabriel Murr aurait remporté les élections avec une majorité de 17 voix et non de trois voix et si l’on ajoutait également le résultat du bureau de vote de Hemlaya qui a été annulé, il aurait remporté les élections ave une majorité de 35 voix. Il convient par conséquent de rejeter tous les motifs invoqués dans la clause 6 du recours vu leur invalidité.

7- L’inexactitude des motifs invoqués quant à l’allégation que la lettre adressée par le représentant et père de la Requérante, Michel Murr, au ministère de l’Intérieur le 09/06/2002, demandant de déclarer vainqueur le candidat ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur à celui de la Requérante n’était qu’une échappatoire politique provisoire :

La Requérante avait déclaré, par le biais de son représentant, qu’elle demandait de déclarer vainqueur le candidat ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur à celui qu’elle avait obtenu et qu’elle ne souhaitait pas être proclamée élue. Sa résignation au résultat des élections est par conséquent définitive et irrévocable et le fait qu’elle ait limité sa demande à la déclaration d’annulation des élections devrait la priver de tout intérêt légitime de demander l’annulation des élections dans leur totalité. Il convient par conséquent de rejeter le recours intenté par la Requérante pour ce motif. Le Défendeur formule, sur base de tous les motifs invoqués et de tous les motifs constatés par le Conseil Constitutionnel, les requêtes suivantes :

Premièrement : En la forme, de rejeter le recours intenté par Mme Mirna Murr, chef de la municipalité de Bteghrine et présidente de l’Union des municipalités du Metn :

a- Etant donné que sa candidature est nulle à l’origine et que par conséquent, elle n’a ni qualité ni intérêt pour présenter le présent recours.

b- Etant donné que le recours a été intenté après le délai légal.

c- Etant donné que Mme Mirna Murr s’est expressément résignée aux résultats des élections, qu’elle a déclaré qu’elle n’intenterait pas de recours à cet égard auprès du Conseil Constitutionnel et qu’elle a demandé de proclamer vainqueur un autre candidat.

Deuxièmement : Et subsidiairement au fond, de rejeter ledit recours vu son manque de sérieux et vu l’invalidité et l’illégalité des sept motifs invoqués par la Requérante.

Considérant que le Conseil Constitutionnel a rendu, en date du 15/07/2002, la décision No. 4/2002 rejetant la demande de récusation présentée par M. Salim Jreyssati, membre du Conseil Constitutionnel et qu’il a considéré non entendus les motifs invoqués par le député dont la députation est contestée pour demander son renvoi dans le cas où ce dernier ne se récuserait pas,

Considérant que le ministère de l’Intérieur et des Municipalités avait exécuté le jugement avant dire droit rendu par les rapporteurs en date du 25/07/2002 et qu’il a présenté le dossier relatif aux élections partielles du Caza du Metn accompagné de ses annexes et de la lettre du ministre de l’Intérieur datée du 10/06/2002 adressée par ce dernier à la présidence du Conseil Parlementaire dans laquelle il a proclamé M. Gabriel Murr élu pour le siège parlementaire,

Sur base de ce qui précède,

Premièrement : En la forme :

Considérant que les points soulevés dans le libellé du présent recours et relatifs à la forme sont basés sur les trois motifs suivants :

- L’expiration du délai légal pour la présentation du recours

- L’absence de qualité et d’intérêt de la Requérante pour présenter le recours.

- La cession par la Requérante de son droit d’intenter le recours.

Considérant qu’il convient d’étudier les motifs ci-dessus l’un après l’autre :

Premièrement : Le délai de présentation du recours :

Considérant que l’article 24 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel prévoit que le recours en invalidation de la députation d’un député élu doit être présenté à la présidence du Conseil Constitutionnel dans un délai maximal de 30 jours à compter de la date de proclamation officielle des résultats des élections,

Considérant que l’article 26 de cette même loi prévoit que la personne élue est considérée député et exerce tous les droits parlementaires dès la proclamation du résultat des élections,

Considérant que l’article 60, alinéa 2 de la loi No. 171 datée du 06/01/2000 visant à amender les dispositions de la loi sur l’élection des membres de la Chambre des députés prévoit ce qui suit :

« Le Mohafez renvoie immédiatement les résultats ainsi que le procès-verbal final et la liste générale jointe au ministère de l’Intérieur qui se charge de proclamer officiellement les résultats définitifs et d’annoncer le nom des candidats élus à travers les médias. Le ministre de l’Intérieur adresse alors immédiatement une lettre au président du Conseil Parlementaire, le notifiant du nom des candidats élus ainsi que des résultats des votes obtenus par chaque candidat. »

Considérant qu’il appert des textes susmentionnés, notamment de l’article 60, alinéa 2, que l’organe chargé de la proclamation officielle des résultats définitifs est le ministère de l’Intérieur et des Municipalités qui contrôle le service électoral. Ce dernier est tenu de proclamer lesdits résultats officiellement et d’envoyer immédiatement une lettre relative à ce sujet adressée par le ministre de l’Intérieur et des Municipalités au président de la Chambre des députés,

Considérant qu’il est établi que le ministère de l’Intérieur et des Municipalités a annoncé, en date du 10/06/2002, que le Défendeur avait remporté les élections et que le ministre de l’Intérieur et des Municipalités a adressé, à cette même date, soit le 10/06/2002, une lettre au président de la Chambre des députés le notifiant des résultats des élections, en application de l’article 60 alinéa 2 ci-dessus,

Considérant qu’il est impossible d’invoquer la décision No.10 rendue par ladite Chambre en date du 17/05/1997 qui prévoit ce qui suit : « Les résultats des élections sont proclamés conformément aux dispositions de l’article 58 de la loi électorale, par la commission supérieure de décompte des voix », étant donné que ladite décision a été rendue à la lumière des dispositions de la loi du 26/04/1960 qui prévoyait que la proclamation des résultats revenait à la commission de décompte des voix prévue à l’article 14 de cette même loi qui est considérée annulée en vertu de l’article 60, alinéa 2 de la loi No. 171 du 06/01/2000 qui vise à amender les dispositions de la loi sur l’élection des membres de la Chambre des députés,

Considérant qu’il appert de la nouvelle diffusée par l’Agence Nationale de l’Information concernant la conférence de presse du ministre de l’Intérieur et des municipalités en date du 04/06/2002, dont le texte est produit en annexe aux conclusions responsives du Défendeur datées du 23/07/2002 que le ministre de l’Intérieur et des Municipalités a détaillé, dans sa conférence de presse, le processus de dépouillement des votes effectué par les commissions locales de décompte des voix et la commission supérieure, a décrit les différents climats qui prévalaient et a mis en évidence les différentes irrégularités et contradictions, sans pour autant annoncer le résultat définitif des élections,

Considérant que la preuve que le ministre de l’Intérieur et des Municipalités n’a pas annoncé le résultat définitif des élections objet du recours est qu’il avait tenu les propos suivants au cours de ladite conférence de presse : « … pour ce motif, tel est le résultat que nous avons devant nous et qui impose sa révision par le ministère de la Justice ainsi que par les commissions de décompte des voix pour réformation, ce sera alors cette décision qui sera définitive et qui permettra de proclamer le résultat officiel dont nous aurions rectifié les erreurs ; nous notifierons la Chambre des députés ainsi que le Conseil Constitutionnel du résultat final »,

Dans tous les cas, considérant que la proclamation du résultat définitif des élections doit être complète, régulière, non ambiguë, claire et précise, de manière à éviter toute interprétation, sous peine de la considérer nulle et non avenue, conformément au principe adopté par la doctrine et la jurisprudence selon lequel :

« Seule la publicité régulièrement assurée fait courir le délai »

(G. Vedel et P. Delvolvé, Le système français de protection des administrés contre l’administration, p. 226 No. 537).

« La publication, la notification ou la signification ne font courir le délai de recours contentieux que si elles sont complètes et régulières »

(Odent, Contentieux Administratif, Cours de 1961-1962, p. 533).

Considérant qu’il appert de ce qui précède que les résultats des élections objet du recours ont été régulièrement publiés le 10/06/2002, date à laquelle la proclamation officielle des résultats par le ministère de l’Intérieur et des Municipalités à travers les médias s’est accompagnée par l’envoi d’une lettre relative à ce sujet par le ministre de l’Intérieur et des Municipalités au président de la Chambre des députés, conformément à l’article 60, alinéa 2 de la loi No. 171/2000, par conséquent, le recours présenté le 08/07/2002 a été intenté dans le délai légal et est donc recevable en la forme.

Deuxièmement : La qualité et l’intérêt :

Considérant que l’article 24 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel prévoit que le Conseil Constitutionnel est chargé de déterminer la validité de la députation d’un député élu et de régler tous litiges et contentieux découlant de l’élection des membres de la Chambre des députés et ce, en vertu d’une requête présentée par le candidat battu dans la même circonscription électorale à la présidence du Conseil Constitutionnel,

Considérant que l’article 46 du règlement intérieur du Conseil Constitutionnel prévoit, dans le même contexte, que le recours en invalidation de la députation d’un député élu peut être présenté par tout candidat concurrent battu dans sa circonscription électorale à la présidence du Conseil Constitutionnel,

Considérant que la qualité est le « pouvoir » permettant l’exercice d’une action en justice :

« Définition et rôle- La qualité est le pouvoir en vertu duquel une personne exerce l’action en justice »,

(Solus et Perrot, Droit Judiciaire Privé, T.1, p. 243 No. 262).

Considérant que la loi, en conférant à une personne en particulier le droit d’intenter une action en justice, lui confère le pouvoir, soit la qualité nécessaire pour le faire,

Considérant que l’article 24 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel ainsi que l’article 46 de son règlement intérieur ont conféré au candidat battu la qualité d’intenter le recours, la Requérante a par conséquent qualité pour le présenter,

Considérant qu’il est admis par la doctrine et la jurisprudence que l’intérêt est considéré existant en ce qui concerne toute personne à laquelle la loi a conféré le droit d’agir, conformément aux dispositions de l’article 9 du Code de Procédure Civile, Code qui peut être appliqué aux les procédures intentées auprès du Conseil Constitutionnel en cas de manque dans ses textes juridiques à cet égard (article 6 du Code de Procédure Civile),

Considérant que l’article 9 susmentionné prévoit ce qui suit :

« Le principe… est que le droit d’agir, droit de former la demande afin d’obtenir un jugement sur le fond de la prétention qui s’y exprime ou de défendre à la demande, appartient à celui qui trouve intérêt au succès ou au rejet de la prétention formulée...

Le principe ne souffrira exception que si la loi a fait attribution exclusive de ce droit à des personnes qualifiées, c'est-à-dire désignées par le législateur. L’existence du droit d’agir reposera alors non plus sur l’intérêt mais sur la qualité de demandeur : ou bien sa qualité légale lui permettra d’agir sans intérêt personnel, ou, à l’inverse, l’existence d’un intérêt personnel ne suffira pas à rendre sa demande recevable faute de qualité ».

(Droit et Pratique de la Procédure Civile, Dalloz Action 1999, sous la direction de Serge Guinchard, No. 11).

Considérant que la Requérante est la candidate battue, elle a donc qualité et intérêt personnel et direct qui concourent pour présenter le recours :

« L’idée est que la personne qui peut réclamer l’application du droit est celle que cette application intéresse personnellement ».

(Op. Cit. No. 40)

Considérant qu’il est impossible d’invoquer, en réponse à ce qui précède, le fait que la Requérante ne remplit pas toutes les conditions légales lui permettant d’occuper une fonction de député, ce qui la prive de son droit de candidature du fait qu’elle est chef de la municipalité de Bteghrine et présidente de l’Union des Municipalités du Metn Nord, étant donné que l’article 31 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel prévoit que le Conseil Constitutionnel examine la réunion des conditions légales de qualification à la députation en cas d’annulation du résultat en ce qui concerne le candidat élu dont la députation est contestée, l’annulation de sa députation et par conséquent, la modification dudit résultat et la déclaration de la victoire du candidat éligible ayant obtenu la majorité des votes, ce qui démontre de manière expresse que l’éligibilité du candidat n’est examinée que dans le cas où le Conseil déclare ledit candidat élu et en préparation à ladite déclaration,

Considérant que sur base de ce qui précède, il convient de rejeter le motif relatif à l’absence de qualité et d’intérêt de la Requérante.

Troisièmement : La cession attribuée à la Requérante de son droit de recours :

Considérant qu’il appert de la lettre adressée par le député Michel Murr au ministère de l’Intérieur en date du 10/06/2002 dont une copie est jointe en annexe au recours et aux conclusions responsives du député dont la députation est contestée qu’elle comprend ce qui suit :

« Je demande à votre honorable ministère d’exécuter les mesures complémentaires suivantes :

1- Indiquer le nombre de voix obtenues par chaque candidat conformément au procès-verbal final de la commission supérieure de décompte des voix que votre ministère a reçu le lundi 3 juin 2002 au matin.

2- Reprendre la lettre adressée par votre honorable ministère au ministère de la Justice pour examiner les erreurs commises dans certains bureaux de vote.

3- Considérer la présente lettre adressée par ma mandante comme une déclaration de retrait de la bataille de proclamation des résultats des élections et par conséquent, de déclarer vainqueur le candidat ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur à celui obtenu par ma mandante ».

Considérant que la cession du droit de recours doit être expresse et ne doit permettre aucune interprétation. La décision de cession ne peut être déduite ou estimée mais doit être prouvée de manière sûre et non ambiguë. Il faut également qu’elle découle d’un acte qui ne peut être interprété qu’en tant qu’intention de cession,

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime que la requête datée du 10/06/2002 ne fait mention d’aucune cession par la Requérante de son droit de recours au sens précisé dans le paragraphe ci-dessus,

Considérant que, à supposer subsidiairement que ladite requête représente une cession, elle comprend l’exécution de mesures « complémentaires » qui n’ont pas eu lieu, elle est par conséquent considérée comme étant restée sans effet et ne peut être invoquée en raison de la non réalisation de ses conditions,

Par ailleurs, considérant plus subsidiairement encore que toute cession doit émaner directement et expressément de la personne jouissant du droit cédé, ce qui n’a pas eu lieu, ou de son mandataire muni d’un pouvoir spécial lui permettant expressément de céder ledit droit, or ce pouvoir n’est pas prouvé dans le libellé du recours et ne peut par conséquent être invoqué,

Considérant qu’il n’est pas prouvé par ailleurs que la Requérante s’est résignée à la victoire du Défendeur, tel qu’il ressort des conclusions responsives de ce dernier, dans le cadre de la discussion de la demande de « retrait de la bataille de proclamation des résultats » et de ses requêtes relatives à la forme, mais au contraire, la Requérante a demandé dans cette requête de préciser le nombre de voix qu’elle a obtenues conformément au procès-verbal communiqué au ministère de l’Intérieur et des Municipalités le lundi 3 juin 2002 au matin et selon lesquels elle est la candidate qui a remporté les élections et s’est contentée de se « retirer de la bataille de proclamation des résultats ». Il est admis par la doctrine et la jurisprudence, notamment par la loi administrative libanaise, française et égyptienne et uniquement dans un souci de comparaison, que le fait de se résigner à l’action ou à l’acte, dans le cas où le contestataire peut le faire et de renoncer par conséquent à l’avance à intenter une action en justice à cet égard, doit au moins découler d’une expression expresse de la volonté de la personne concernée et même si certaines jurisprudences admettent la résignation implicite par principe, les actions ou les actes dont est déduite l’intention de résignation doivent être établis et ne doivent permettre aucune interprétation à l’exception de l’interprétation de résignation, ce qui n’est pas le cas dans le cadre du présent recours sur le plan du contenu de la requête susmentionnée adressée au ministère de l’Intérieur, surtout qu’elle a été conditionnée par ses circonstances et objectifs,

Considérant que le Conseil Constitutionnel n’estime pas que la Requérante s’est résignée ou a cédé à l’avance son droit de recours et considère par conséquent toute exception contraire irrecevable.

Par conséquent,

Le présent recours est recevable en la forme étant donné qu’il remplit toutes les conditions légales.

Deuxièmement : Au fond :

Considérant que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel estime que ses prérogatives en matière d’examen des litiges et des contentieux résultant des élections législatives se basent sur le contrôle de la validité et de la sincérité du scrutin et que chaque recours en invalidation de la députation d’un député élu a ses propres particularités et circonstances et que le Conseil peut, dans le cadre de l’exercice de son contrôle, annuler la députation objet du recours en invalidation s’il établit que les violations et irrégularités commises sont importantes et ont eu un impact déterminant sur le résultat de l’élection, que lesdites infractions soient contraires à la loi électorale ou non et que l’écart entre les voix obtenues par les candidats soit minime ou important,

Considérant que le Conseil Constitutionnel a déjà estimé que dans le cas où il établit, en exerçant les larges prérogatives dont il jouit en matière d’appréciation et sur base des preuves ou des commencements de preuve qui confèrent logique et sérieux aux motifs du recours ou à certains d’entre eux, l’existence d’importantes violations ou irrégularités du type susmentionné qui ont une incidence sur la volonté des électeurs et par conséquent sur le résultat des élections, il exercerait alors ses prérogatives prévues à l’article 31 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel qui lui réserve le choix absolu de déclarer la validité ou l’invalidité de la députation contestée. Dans ce dernier cas, le Conseil peut soit décider d’annuler le résultat obtenu par le candidat dont la députation est contestée, d’annuler ainsi sa députation et de modifier par conséquent le résultat et de proclamer élu le candidat éligible ayant obtenu la majorité des voix, soit d’annuler la députation du député dont la députation est contestée et d’imposer la réorganisation d’élections pour le siège devenu vacant en raison de ladite annulation,

Considérant que le Conseil Constitutionnel contrôle par conséquent la validité et la sincérité des élections par tous les moyens jugés adéquats à cet effet et en se basant sur les motifs du recours, sans que lesdits motifs ne le limitent dans les conclusions qu’il pourrait tirer dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de choix absolu qui lui est réservé par la loi, tel que mentionné ci-dessus,

Considérant que le Conseil Constitutionnel, à la lumière de ce qui précède, estime nécessaire de s’arrêter à deux motifs du recours uniquement et de négliger tous les autres motifs dont aucun résultat juridique ne pourrait être déduit étant donné qu’ils manquent de sérieux, qu’ils ne sont pas établis ou que les éléments pouvant permettre de les prouver sont inexistants. Les deux motifs retenus par le Conseil Constitutionnel ont soit été mentionnés indépendamment ou dans le cadre d’autres motifs ou sous d’autres titres dans le recours et le Conseil a décidé de les étudier comme suit vu leur caractère complémentaire et en vue de faciliter l’examen :

Le premier motif : Concernant la violation commise par la commission supérieure de décompte des voix des dispositions de l’article 60 de la loi électorale.

Le deuxième motif : Concernant la violation des dispositions des articles 66 et 68 de la loi électorale ainsi que les autres infractions médiatiques qui ont eu une influence négative sur la volonté des électeurs et par conséquent sur la validité et la sincérité des élections.

Le premier motif :

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime nécessaire, dans un souci de remettre les choses à leur place juridique, d’étudier ce motif sachant que, en principe, le Conseil Constitutionnel peut décider de rectifier les erreurs commises par les commissions de décompte des voix ou la commission supérieure de décompte des voix, sans qu’il ne soit tenu de les considérer comme imposant l’annulation,

Considérant que l’article 16, alinéa b de la loi No. 171/2000 précise les missions dont sont chargées les commissions de décompte des voix, à savoir, l’examen des demandes de modification des listes électorales, la prise des décisions les concernant, « la communication des résultats des élections après la clôture des bureaux de vote, l’examen des procès-verbaux et des documents, la prise des décisions appropriées les concernant, le calcul des voix, l’élaboration de la liste générale des résultats de chaque candidat et son renvoi aux présidents des commissions supérieures de décompte des voix conformément aux dispositions des articles 58 et 59 de la présente loi »,

Considérant que l’article 59 de cette même loi prévoit, à son premier alinéa, ce qui suit :

« Les commissions de décompte des voix étudient les procès-verbaux et les documents, prennent les décisions adéquates à leur égard, annoncent les chiffres figurant dans chaque procès-verbal à haute voix devant les personnes présentes (les candidats ou leurs représentants), procèdent au dépouillement des voix obtenues par chaque candidat, les additionnent et soumettent le résultat du calcul des voix aux commissions supérieures de décompte des voix dans les circonscriptions électorales en leur communiquant un procès-verbal et une liste des résultats produite en annexe, tous deux signés par tous les membres de la commission »,

Considérant que l’article 60 de cette même loi prévoit, à ses alinéas 1 et 2, ce qui suit :

« Dès sa réception de chaque procès-verbal et de la liste des résultats produite en annexe adressés par les commissions de décompte des voix, la commission supérieure de décompte des voix procède à la lecture du total des voix obtenues par chaque candidat et au calcul des résultats communiqués par les commissions de décompte des voix, inscrit le résultat définitif dans la circonscription électorale sur la liste finale en chiffres et en lettres suivi de la mention « seulement », élabore le procès-verbal de constat et la totalité de ses membres signent ledit procès-verbal ainsi que la liste générale des résultats jointe en annexe. Par la suite, la commission supérieure de décompte des voix annonce les résultats définitifs obtenus par chaque candidat devant les candidats ou leurs représentants. La commission supérieure de décompte des voix remet au Mohafez le procès-verbal final ainsi que la liste générale de résultats et élabore le document de passation de pouvoirs signé par le Mohafez ou par la personne désignée à cet effet par ce dernier ou par le membre de la commission supérieure de décompte des voix désigné par le président de ladite commission.

Le Mohafez renvoie immédiatement le procès-verbal final ainsi que la liste générale ci-jointe au ministère de l’Intérieur qui se charge d’annoncer officiellement les résultats définitifs ainsi que les noms des candidats élus à travers les medias. Le ministre de l’Intérieur et des Municipalités adresse immédiatement une lettre au président du conseil parlementaire le notifiant du nom des candidats élus et du nombre de voix obtenues par chaque candidat ».

Considérant que l’application de ces textes clôture le scrutin par la proclamation officielle des résultats définitifs, dans le cas où l’une de ses phases serait entachée d’un vice ou d’une mauvaise application ou d’une infraction, il appartient au Conseil Constitutionnel de rectifier cette erreur, à l’exception des cas où elle porterait atteinte à la validité et sincérité des élections.

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime qu’il appert des textes ci-dessus que :

- Les commissions locales de décompte de voix prévues à l’article 15 de la loi électorale et dont les missions dans le cadre des élections législatives sont énumérées aux articles 16, alinéa b et 59 de cette même loi, reçoivent les résultats des élections après la clôture des bureaux de vote, examinent les procès-verbaux et les documents, prennent les décisions adéquates à leur égard, dépouillent et calculent le nombre de voix obtenues par chaque candidat et soumettent le résultat du calcul des voix aux commissions supérieures de décompte des voix dans les circonscriptions électorales en leur communiquant un procès-verbal et une liste des résultats produite en annexe, tous deux signés par tous les membres de la commission.

- La commission supérieure de décompte des voix ne représente pas une instance d’appel pour les commissions locales de décompte des voix étant donné qu’il ne lui appartient pas de réviser les décisions desdites commissions mais que sa mission, définie à l’article 60 de la loi électorale se limite à contrôler le calcul des résultats communiqués par les commissions locales, à inscrire le résultat définitif dans la circonscription électorale sur les listes finales, à élaborer et signer un procès-verbal de constat, à signer les listes générales des résultats produites en annexe audit procès-verbal, à déclarer le résultat définitif obtenu par chaque candidat devant les candidats ou leurs représentants et à remettre au Mohafez le procès-verbal final ainsi que la liste générale des résultats pour que ce dernier puisse les soumettre immédiatement au ministère de l’Intérieur et des Municipalités.

Il est impossible de répondre à ce qui précède que l’article 24 alinéa b de la loi No. 171/2000 confère à la commission supérieure de décompte des voix les prérogatives de recevoir et d’examiner les procès-verbaux des résultats établis par les commissions de décompte des voix ainsi que les listes produites en annexe et qu’il ressort de cette dernière expression que la commission supérieure de décompte des voix est également tenue d’étudier les résultats et par conséquent de les modifier suite à cette étude, étant donné qu’accorder un sens plus large à cette expression porterait atteinte à la distribution des compétences entre les commissions locales de décompte des voix et la commission supérieure et donnerait lieu à une nouvelle compétence non prévue à l’origine, sachant que la compétence n’est pas le fruit de déductions et que l’article 60 de la loi électorale définit de manière expresse, qui ne permet aucune interprétation, les compétences de la commission supérieure qui n’englobent pas la prise de décision en ce qui concerne les procès-verbaux électoraux, les résultats des bureaux de vote et les documents communiqués par lesdits bureaux. Preuve en est l’alinéa b de l’article 24 de la loi électorale susmentionnée qui se réfère à la fin de manière expresse à l’article 60 de cette même loi, ce qui confère au verbe « étudier » un seul sens, celui de contrôler la validité du calcul des résultats communiqués par les commissions locales à la commission supérieure de décompte des voix.

Par ailleurs et en vue d’expliquer l’intention du législateur, le Conseil Constitutionnel estime que l’article 24, alinéa a, a expressément conféré aux commissions supérieures de décompte des voix la prérogative d’examiner les demandes d’appel contre les décisions des commissions de décompte des voix visant à modifier les listes électorales et n’a pas prévu cette compétence en ce qui concerne les résultats des élections législatives.

La jurisprudence française admet la compétence de la commission supérieure de décompte des voix en matière de résultats des élections tel que mentionné ci-dessus :

« Il n’appartient pas au bureau centralisateur de la commune de modifier les résultats constatés par l’un des bureaux ».

Ph. Dufresnoy, Guide du contentieux électoral, p. 294, No. 1032.

- La commission supérieure de décompte des voix se dessaisit automatiquement et épuise sa compétence prévue à l’article 60 de la loi No. 171/2000 dès qu’elle proclame les résultats tel que décrit dans l’article mentionné et qu’elle remet le procès-verbal final et la liste générale des résultats au Mohafez qui est le lien avec le ministère de l’Intérieur et des Municipalités qui veille sur le service électoral.

- Il appartient au ministère de l’Intérieur et des Municipalités qui jouit d’une compétence restreinte dans ce cadre, de déclarer officiellement les résultats à travers les médias, sachant que le ministre devrait immédiatement envoyer une lettre au président de la Chambre des députés, le notifiant des noms des candidats élus et des résultats des votes obtenus par chaque candidat. Il ne revient pas au ministère de l’Intérieur et des Municipalités d’exercer sa jurisprudence ou de préférer ou de choisir entre différentes possibilités mais uniquement de déclarer le résultat tel que communiqué par la commission supérieure de décompte des voix. C’est pour cette raison que le procès-verbal de la commission supérieure doit être précis et non susceptible d’interprétation, sous réserve des compétences du Conseil Constitutionnel en matière d’examen, conformément aux textes juridiques qui régissent son fonctionnement, de tout problème relatif aux résultats des élections.

Considérant qu’il a été prouvé au Conseil Constitutionnel que la commission supérieure de décompte des voix n’a pas appliqué l’article 60 de la loi No. 171/2000 conformément à son contenu défini ci-dessus mais a dépassé ses compétences et a violé ledit article que ce soit lorsqu’elle ne s’est pas conformée à la décision prise par la quatrième commission de décompte des voix en ce qui concerne l’annulation du résultat du bureau de vote No. 303 Hemlaya vu que le président de la commission supérieure a introduit un amendement écrit, sous le titre « décision » au même procès-verbal élaboré par la commission susmentionnée soit en acceptant de joindre des documents aux dossiers de dépouillement après leur ouverture et l’examen de leur contenu dans les commissions locales de décompte des voix, comme il a été le cas pour le procès-verbal des élections du bureau de vote No. 303 Hemlaya susmentionné que la quatrième commission de décompte des voix n’a pas trouvé dans l’enveloppe dudit bureau lors de son dépouillement, sachant que le document qui a été produit en remplacement de ce procès-verbal concerne le bureau de vote No. 304 Hemlaya sur lequel ont été rajoutés des résultats soit disant représentant ceux du bureau de vote No. 303 Hemlaya. La commission supérieure de décompte des voix a également dépassé ses compétences lorsque son président a adressé un procès-verbal au ministre de l’Intérieur et des Municipalités le notifiant des résultats des élections calculés conformément aux listes communiquées par les commissions locales de décompte des voix et lui laissant la possibilité de choisir entre le comptage ou le non comptage des résultats du bureau de vote No. 303 Hemlaya que la quatrième commission avait annulé et par conséquent, d’annoncer le résultat qui lui semble adéquat. La commission supérieure a par la suite fait suivre ledit procès-verbal d’une une autre décision sur base de la lettre du ministre de l’Intérieur et des Municipalités dans laquelle il a demandé à la commission supérieure de décompte des voix de préciser le résultat définitif qu’il convient d’adopter conformément aux dispositions de l’article 60 de la loi électorale afin qu’il puisse dûment la publier. Le président de la commission supérieure a également continué à convoquer les membres de la commission à se réunir après que leur mission a pris fin et même s’ils s’en étaient acquittés de manière non conforme à la loi, tel que démontré ci-dessus,

Considérant que le Conseil Constitutionnel étant conscient du fait que ces infractions soient à la charnière de la proclamation des résultats du scrutin, ne peut s’y baser pour annuler la députation du député dont la députation est contestée étant donner qu’elles ne portent pas directement atteinte à la validité et à la sincérité des élections. Il convient par conséquent de rejeter le premier motif au fond.

Le deuxième motif :

Considérant que l’article 66 de la loi No. 171 du 06/01/2000 qui vise à amender les dispositions de la loi sur l’élection des membres de la Chambre des députés prévoit ce qui suit : « Il est interdit de distribuer tout tract ou document manuscrit au profit ou au détriment d’un ou de plusieurs candidat le jour du scrutin. En cas d’une telle infraction, les papiers, tracts et documents manuscrits seront confisqués et le contrevenant sera condamné au paiement de l’amende maximale prévue à l’article 69 de cette même loi »,

Considérant que l’article 68 de la loi No. 171/2000 susmentionnée prévoit ce qui suit : « Il est interdit à toutes les stations de radiodiffusion et de télévision ainsi qu’à la presse non politiques de faire de la propagande politique au cours de la campagne électorale qui débute dès la convocation du corps électoral et prend fin le jour du scrutin et lors de la proclamation des résultats définitifs, sous peine de suspension et de clôture complète en vertu d’un jugement rendu par le tribunal des imprimés dans la chambre de délibération »,

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime qu’il ressort des deux textes susmentionnés que les médias ont une influence considérable sur l’électeur vu leur abus de position dominante, influence qui ne peut rester dans les limites du normal ou du légal que si tous les candidats peuvent, sans distinction aucune, exprimer librement leurs différentes opinions objectives,

Considérant qu’il est impossible de répondre à ce qui précède en invoquant l’inexistence d’une législation spéciale régissant les médias ou la publicité électorale, manque que le Conseil Constitutionnel déplore, étant donné que trancher sur le principe transcende le texte et requiert de s’assurer de l’influence de la publicité sur la volonté de l’électeur et sur la sincérité et la validité du scrutin, d’autant plus que les articles 66 et 68 susmentionnés interdisent de manière expresse la distribution de tracts et de documents manuscrits au profit ou au détriment d’un candidat le jour du scrutin et que les stations de radiodiffusion et de télévision ont exercé la publicité électorale politique au cours de la campagne électorale qui débute lors de la convocation du corps électoral jusqu’au jour du scrutin et lors de la proclamation des résultats définitifs, ce qui expose le contrevenant à des sanctions précisées dans chacun de ces articles,

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime, dans un souci d’interpréter et de définir le cadre des articles 66 et 68 susmentionnés que le vice, comme l’entend le législateur, ne réside pas dans la simple émission et distribution de bulletins ou de documents manuscrits avant le jour du scrutin ou dans la fourniture d’un espace visuel dans lequel le candidat rencontre l’électeur de sa circonscription pour le convaincre de voter en sa faveur, surtout si l’art de convaincre utilise des procédés objectifs et neutres dans la proposition de programmes électoraux ou d’aspirations ou d’orientations ou d’opinions politiques légitimes, c'est-à-dire autorisés par la loi, mais sûrement dans l’émission et la diffusion, par le candidat, de bulletins ou de documents manuscrits le jour du scrutin, notamment dans le cas où lesdits bulletins et documents représentent une attaque personnelle ou politique, attise les tensions et le sentiment d’intolérance des électeurs ou créent des climats favorisant ces tendances sans que la personne visée ne puisse répliquer et se défendre ou lorsque le candidat accapare l’espace visuel au cours de la campagne électorale et qu’une campagne électorale intensive manquant d'objectivité et portant atteinte à la liberté d’expression de l’autre est organisée, ce qui ôte à la communication sa fonction initiale et essentielle qui est la sensibilisation politique et la publicité objective et qui se transforme en une publicité ou une propagande politique portant atteinte au principe d’égalité et ayant un impact négatif sur la volonté des électeurs et la sincérité et la validité du scrutin,

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime que le principe d’égalité implique automatiquement le maintien d’un degré minimum d’égalité des chances entre tous les candidats et ne prive aucun candidat de son droit de réponse à un tract l’attaquant distribué le jour du scrutin ni de son droit d’utiliser l’espace visuel pour exposer son point de vue différent et participer à un débat contradictoire et objectif vu l’impact des tracts et des médias audiovisuels sur l’opinion publique et sur les électeurs. Pour ces motifs, le Conseil Constitutionnel a invoqué les articles 66 et 68 de la loi électorale en vigueur, dans l’attente d’une législation plus globale et ce, en vue d’assurer un degré minimum d’égalité des chances entre les candidats,

Considérant que le Conseil Constitutionnel estime par conséquent que l’égalité et l’équilibre des chances entre les candidats à tous les niveaux, notamment au niveau de la propagande et de la publicité électorales prévues aux articles 66 et 68 de la loi No. 171/2000 tel que démontré ci-dessus, constituent ensemble vu leur complémentarité une condition essentielle de la démocratie des élections ainsi que de leur sincérité et de leur validité. La vérification de la réunion de ces conditions appartient au Conseil Constitutionnel en sa qualité de juge de l’élection,

Considérant que le Conseil Constitutionnel français a, dans des circonstances similaires régies par des textes positifs, adopté cette tendance de considérer l’objet de la législation, à savoir d’étudier l’importance de l’impact des médias sur l’égalité et l’équilibre entre les candidats :

« En la matière, la démarche du Conseil Constitutionnel est caractérisée par une logique finaliste et s’appuie sur une appréciation réaliste des faits, ce qui le conduit toujours à un examen des circonstances d’ensemble dans lesquelles s’est déroulée la campagne électorale. Ce réalisme du juge de l’élection se vérifie plus particulièrement en ce qui concerne les irrégularités de propagande lesquelles sont très souvent évoquées, par les demandeurs comme par les défendeurs, devant le Conseil Constitutionnel. Il importe alors pour ce dernier, non de constater telle ou telle méconnaissance d’une interdiction, mais au-delà de ce constat, de mesurer l’impact qu’un abus de propagande, la diffusion d’une information erronée ou encore le non-respect d’une prohibition ont pu avoir sur l’équilibre entre les campagnes menées par les candidats, le comportement des électeurs et donc sur les résultats de l’élection… Le critère essentiel étant d’apprécier le fait que la victime d’un tract ait pu disposer du temps utile pour répondre ou non… « Le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui même un objectif de valeur constitutionnel. Le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie » a affirmé le Conseil Constitutionnel à plusieurs reprises. Le Conseil a alors jugé que s’il appartient aux stations de radiodiffusion et de télévision d’informer leurs auditeurs sur le déroulement d’une campagne électorale, elles ne sauraient diffuser, surtout le dernier jour de celle-ci, des éléments de polémique au profit ou au détriment d’un candidat… Le Conseil s’attache également au caractère flagrant du déséquilibre et notamment en l’absence de possibilité de réponse de la part du candidat lésé ».

Le Conseil Constitutionnel, juge électoral, Jean-Pierre Camby, thèmes et commentaires, Dalloz, 2001, No. 101, 105, 109, 121, 122 et 126.

Les infractions et irrégularités entraînant l’annulation de la députation sont extrêmement variées et peuvent être résumées comme suit :

« La richesse des irrégularités de propagande est insoupçonnable ! … (Elles) peuvent aussi porter sur les tracts et être constituées par leur contenu injurieux ou relatant des accusations d’ordre personnel, par leur non-signature, ou par leur mode de diffusion massif, la veille ou le matin même du scrutin.

….

Des reportages télévisés partisans ou polémiques, des propos tenus lors d’une émission de variétés en particulier la veille du scrutin, peuvent aussi être considérés par le Conseil comme des irrégularités.

Droit du Conseil Constitutionnel- Dominique Rousseau-Montchrestien- 4ème édition- p.307 et 308 (avec les références des décisions).

Considérant qu’il appert de la requête, des documents et des vidéocassettes joints que le Défendeur n’a pas contestés que la chaîne télévisée MTV, dans laquelle ce dernier reconnaît détenir des actions et qui est dans tous les cas un moyen qu’il a utilisé en sa faveur et dont il a bénéficié exclusivement, avait organisé et diffusé, au cours de la campagne électorale, le jour du scrutin et après la proclamation officielle des résultats définitifs et même avant, des interviews avec plusieurs politiciens dont la majorité appartenait au même courant politique que le Défendeur, M. Gabriel Murr et qui ont tous attaqué le courant politique attribué à la Requérante et ce, en faveur du Défendeur et du courant politique auquel il appartient. Il appert également que la MTV avait exclusivement diffusé de manière récurrente et intensive au cours de la campagne électorale des clips de propagande de la campagne du Défendeur,

Considérant qu’il est impossible de répondre à ce qui précède que la Requérante aurait pu faire une apparition sur les écrans de la MTV sur invitation du Défendeur pour participer à un débat contradictoire ou dans un programme où elle serait la seule invitée, conformément aux allégations du Défendeur, étant donné que cette proposition n’a pas été prouvée par le Défendeur, d’autant plus que cette chaîne télévisée avait créé un environnement médiatique hostile à la Requérante et par conséquent un environnement qui ne jouit pas du degré requis d’objectivité et de neutralité,

Considérant qu’il appert des vidéocassettes No. 8 et 9 produites en annexe à la requête que la MTV avait diffusé, dans l’après-midi du jour du scrutin, des images en direct montrant des électeurs habillés en arabes scandant des slogans favorables à la Requérante et à son courant politique. Ces images, qui ont été rediffusées ultérieurement, étaient commentées par deux présentateurs qui ont tenu les propos suivants :

« Les électeurs originaires du Metn sont en train de voter en faveur de Mme Mirna Murr (la Requérante) et croient en son courant politique, ces images sont adressées à tout le Liban et notamment à tous les gens du Metn, sans commentaires, je vous laisse le soin, chers téléspectateurs, de faire les commentaires adéquats ».

« Face au vote intensif des bédouins naturalisés de la Békaa que l’on a transportés pour venir voter en faveur de la candidate Mirna Murr et pour éviter de fausser la volonté des fils du Metn, il est capital de se rendre massivement aux bureaux de vote parce que le vote falsifié dans les bureaux de vote aboutit à une fausse représentation dans la Chambre des députés. Par ailleurs, la MTV a reçu des milliers d’appels de désapprobation en provenance du Liban et de l’étranger qui demandaient de remédier immédiatement à la situation étant donné que les fils du Metn, le coeur du Liban, doivent décider du sort de leur région. Nous faisons appel encore une fois aux jeunes libres de se rendre aux bureaux de vote pour que le résultat des élections réalise, pour une fois, vos aspirations. La décision vous revient. »

« Les libanais à l’étranger et notamment en Suède ne cessent de nous appeler pour condamner l’existence de cette foule de naturalisés et refusent qu’ils représentent les fils du Metn. »

Considérant que le Défendeur n’a pas contesté la véracité des images ni le contenu des commentaires susmentionnés,

Considérant par ailleurs que la campagne électorale du Défendeur s’est transformée en mobilisation populaire qui s’est manifestée par des slogans, des accusations et des qualificatifs proférés à l’égard de la Requérante, à ses proches et à ses partisans et qui a pris une envergure sans précédent et a atteint les pays étrangers, ce qui est susceptible de provoquer les électeurs et d’attiser les tensions, sachant que la nature électorale de la région ainsi que sa structure sociale et confessionnelle sont bien connues et qu’il s’agit là d’une des particularités du présent recours. D’autant plus que la Requérante n’a pas eu la possibilité de répondre en direct ou en différé à travers la même station télévisée qui est devenue la chaîne par excellence qui accompagne la campagne électorale du Défendeur. La Requérante n’a pas non plus eu la possibilité d’utiliser une autre station de radiodiffusion et/ou de télévision lui permettant le réaliser l’égalité des chances entre elle et le Défendeur ou même entre ce dernier et les autres candidats, tel qu’allégué par la Requérante, qui s’est contentée d’annoncer son programme électoral et de rendre les visites traditionnelles, chose que le Défendeur n’a pas niée, se contentant du fait que sa chaîne télévisée a reçu une seule fois un autre candidat dans le cadre d’un programme politique,

Considérant que le Défendeur ne conteste également pas les allégations de la Requérante quant à la distribution de tracts aux portes des églises au cours des jours précédant le scrutin ainsi que la veille et le jour du scrutin ; il s’agit là de faits établis et prouvés par les images diffusées par la MTV et par d’autres stations de télévision. Le Défendeur s’est contenté d’affirmer que ladite distribution a eu lieu conformément aux lois en vigueur et que les autres candidats y ont eu également recours, exerçant ainsi leur droit naturel. Cependant, le Conseil Constitutionnel a pris connaissance d’un spécimen de ces tracts dont la copie d’un d’entre eux, produite en annexe à la requête, attaquait le courant politique de la Requérante, le critiquait d’une manière véhémente et appelait au vote en faveur du Défendeur étant donné qu’il était « le candidat de la liberté, de la souveraineté et de l’indépendance ». Il était impossible, au moment même ou dans tous les cas, de répondre à ce type de tracts par des propos similaires, sachant que le tract allait au-delà de la simple publicité électorale légitime et a eu un impact considérable sur les électeurs en général et une influence directe sur la sincérité des élections en particulier et ce, au détriment de la Requérante et en faveur du Défendeur, vu la nature politique et la structure sociale et confessionnelle de la région, tel que mentionné précédemment,

Considérant que le Conseil Constitutionnel considère, dans ce cas, de retenir ce motif relatif aux importantes infractions et irrégularités médiatiques et de déclarer l’invalidation de la députation du Défendeur, M. Gabriel Murr, seul et unique bénéficiaire desdites infractions et irrégularités.

Considérant que, en vue de connaître toute conséquence éventuelle pouvant découler de la déclaration de l’invalidité de la députation du Défendeur, le Conseil Constitutionnel déduit ce qui suit :

Considérant qu’il appert du recours que la Requérante demande, au fond et dans le paragraphe consacré aux requêtes (alinéa 2), qu’une décision déclarant l’invalidité de la députation de M. Gabriel Murr soit rendue et que sa députation soit annulée et qu’il appert également qu’elle demande à l’alinéa 3 d’annuler les élections dans la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn – pour le siège grec orthodoxe, ajoutant et déclarant dans le cadre de ladite requête qu’elle ne demande pas qu’elle soit proclamée élue,

Considérant que cette distinction dans les requêtes de la Requérante signifie qu’elle ne demande pas uniquement d’annuler la députation de M. Gabriel Murr mais qu’elle requiert également d’annuler les élections dans la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn –,

Considérant qu’il convient d’étudier ces deux demandes, à savoir l’annulation des élections dans leur totalité dans la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn – étant donné qu’il s’agit là de la demande la plus globale et l’annulation de la députation du député dont la députation est contestée, étant donné que cette demande a exclusivement trait à ladite députation,

Considérant que, en ce qui concerne la demande d’annulation des élections qui ont eu lieu avec deux autres candidats en lice mis à part la Requérante et le Défendeur, il est admis par la loi et la jurisprudence qu’un recours ne peut porter sur l’ensemble du scrutin mais peut uniquement avoir pour objet l’annulation du résultat en ce qui concerne le candidat dont la députation est contestée et par conséquent, la réformation de ce résultat et la proclamation de la victoire du candidat ayant obtenu la majorité ou l’annulation de la députation du candidat dont la députation est contestée et l’imposition de nouvelles élections pour le siège devenu vacant en raison de ladite annulation et ce, conformément à l’article 31 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel et à sa jurisprudence à cet égard :

« Cette disposition implique tout d’abord qu’il y ait un recours et que celui-ci soit expressément dirigé contre une élection précise et non pas contre l’ensemble du scrutin ».

(Droit Constitutionnel, ouvrage collectif par Louis Favoreu et autres, No.414, al.2, p.314).

Considérant qu’il convient par conséquent de rejeter la demande d’annulation des élections dans la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn – pour le siège grec orthodoxe étant donné qu’elle a trait à deux autres candidats dans la même circonscription électorale.

Considérant que, en ce qui concerne la demande d’annulation de la députation de M. Gabriel Murr, il convient de l’étudier ainsi que ses conséquences à la lumière de la compétence du Conseil Constitutionnel en matière de contentieux électoral, tel que prévu à l’article 31 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel qui stipule que ce dernier a le choix soit d’annuler le résultat obtenu par le candidat dont la députation est contestée et de modifier par conséquent ledit résultat et de proclamer élu le candidat éligible ayant obtenu la majorité des voix, soit d’annuler la députation du député dont la députation est contestée et d’imposer la réorganisation de nouvelles élections pour le siège devenu vacant en raison de ladite annulation,

Considérant que le droit susmentionné de choisir est expressément laissé à la seule discrétion du Conseil Constitutionnel, nul candidat ne peut par conséquent s’y opposer :

« Celui-ci (le Conseil Constitutionnel) apprécie souverainement s’il convient de sanctionner par l’annulation ou la réformation des résultats les irrégularités commises ».

(L. Favoreu et L. Philip- Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel- 10ème édition- 1999- 16-24 janvier 1968, No. 10, p. 224).

Considérant que le Conseil Constitutionnel, dans le cadre de son exercice dudit choix qui lui est accordé par la loi, se base dans ce cas, sur une jurisprudence qu’il a adoptée depuis sa création et selon laquelle, dans la justice électorale elle-même et dans le cadre de son contrôle du processus électorale, il – le Conseil Constitutionnel – jouit du large pouvoir d’appréciation des faits et des irrégularités qu’il réussit à établir et il lui appartient de prendre les décisions adéquates à leur sujet, que lesdites irrégularités portent atteinte à la loi électorale ou non (décision No. 12, datée du 17/05/1997). Par ailleurs et toujours en matière de contentieux électoral, le Conseil Constitutionnel a toujours estimé que chaque recours a sa particularité et ses propres circonstances qui diffèrent des autres par leurs faits, lieu et impact. Le Conseil Constitutionnel a le droit d’apprécier et de déterminer les résultats relatifs à chaque particularité, à ses fait et circonstances (décision No. 17 datée du 17/05/1997 et décision No. 10 datée du 08/12/2000),

Considérant qu’il appert des conclusions responsives échangées entre les deux parties et des vidéocassettes produites en annexe au recours ainsi que des actes, slogans, menaces et révoltes violentes et sectaires susceptibles d’ébranler la sécurité civile voire la cohésion du pays qui ont accompagné les élections dans la deuxième circonscription électorale du Mont-Liban – Caza du Metn et qu’il appert clairement également que le climat qui a accompagné lesdites élections est resté le même et que rien n’empêche que cette ambiance se maintienne voire s’aggrave dans le cas d’organisation de nouvelles élections partielles dans la même circonscription électorale et pour le même siège, en raison de l’existence d’une tension politique apparente, d’un antagonisme prononcé qui menace la sécurité du pays et d’une division qui favorise les émeutes, notamment à la lumière de la situation actuelle dans la région et de ses répercussions locales, qui devraient, vu l’échéance proche, paralyser l’organisation d’élections démocratiques, valides et sincères et par conséquent, empêcher une bonne représentation du peuple dans le cas où le Conseil Constitutionnel déciderait d’imposer l’organisation de nouvelles élections,

Considérant que le Conseil Constitutionnel, tient autant à la bonne représentation du peuple en sa qualité de juge électoral qu’au respect du principe constitutionnel expressément mentionné à l’alinéa J du préambule de la Constitution qui stipule qu’ « Aucune légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredise le pacte de vie commune ». Ainsi, la représentation populaire, toute représentation, ne peut être valide dans une situation qui menace cette vie commune voulue par le peuple libanais souverain, source de tous pouvoirs et consacrée à la Constitution, le texte ultime, pour que ce principe dépasse tout autre considération,

Considérant que conformément à l’alinéa 2 de l’article 141 du Code de Procédure Civile, ne sont pas considérées informations personnelles et ne pouvant constituer la base de toute décision du juge, les informations « puisées de l’expérience du juge en matière d’affaires publiques dont la connaissance est imposée à tout le monde sans exception aucune ». Ainsi et en premier lieu, il n’est pas logique que les considérations susmentionnées ne suscitent pas l’intérêt du Conseil Constitutionnel, en sa qualité d’organe constitutionnel supérieur et indépendant auquel est confié le contrôle de la constitutionnalité des lois ainsi que le contrôle de la validité, sincérité et démocratie des élections,

Considérant que le Conseil Constitutionnel décide, à la lumière des considérations ci-dessus de rejeter l’option « d’imposer » la réorganisation de nouvelles élections pour le siège devenu vacant en raison de l’annulation de la députation du candidat dont la députation est contestée étant donné qu’il peut, dans le cadre de l’exercice de son choix – et comme admis par la loi et la jurisprudence – de proclamer élu un autre candidat que celui dont la députation est contestée,

Considérant qu’il est admis par la doctrine constitutionnelle que le Conseil Constitutionnel peut proclamer élu un autre candidat que celui dont la députation est contestée en cas d’importantes irrégularités qui ont profité au candidat dont la députation est contestée :

« Lorsqu’il constate l’existence d’irrégularités particulièrement graves et dont il a établi avec certitude qu’elles ont profité au seul candidat élu, ou en cas d’erreur de comptage des voix par la commission de recensement, rien n’interdit au Conseil Constitutionnel de proclamer élu un autre candidat, ce qui rend inutile une élection partielle… ».

(Droit Constitutionnel, ouvrage collectif par Louis Favoreu et autres, Edition 2000, No. 415, p. 314).

Considérant que, bien que cette éventualité soit rare, elle existe dans le présent recours et constitue l’un des éléments de sa particularité, il est établi que les irrégularités qui ont eu lieu et qui ont abouti à l’annulation sont celles qui ont profité au candidat dont la députation est contestée et qui ont eu un impact considérable sur les votes obtenus par les autres candidats,

Considérant que cette compétence reconnue par la doctrine et la jurisprudence du Conseil Constitutionnel est renforcée et corroborée par le fait que le contentieux électoral n’est pas un contentieux de simple annulation mais un contentieux de pleine juridiction et que le Conseil peut ainsi rejeter le recours, annuler les résultats proclamés ou les modifier :

« Le Conseil tranche souverainement (annulation, réformation des résultats, rejet du recours) ».

(O. Duhamel et Y. Meny, Dictionnaire Constitutionnel, voir « élections législatives », p. 381).

« Le contentieux électoral s’analyse comme un contentieux de pleine juridiction et non comme un contentieux de simple annulation ».

(Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Zuccarelli/Faggianelli, 24 janvier 1968).

« Les pouvoirs conférés au Conseil Constitutionnel sont certainement caractéristiques d’un contentieux de pleine juridiction ».

(Bernard Maligner, contentieux des élections parlementaires, jurisclasseur administratif, fascicule 1470, p. 26).

Considérant par ailleurs que l’une des particularités du présent recours est que la Requérante demande expressément de ne pas la proclamer élue, requête qui ne lie pas le Conseil Constitutionnel, le Conseil peut alors proclamer élu M. Ghassan Mokhaiber, le candidat ayant obtenu le nombre de voix directement inférieur à celui obtenu par la Requérante, notamment après qu’il ait constaté l’existence de nombreuses irrégularités qui ont profité au seul candidat dont la députation est contestée et qui ont eu un impact certain sur la distribution des votes, sachant que cet impact s’est étendu au nombre de voix obtenues par la Requérante et notamment à celles obtenues par Ghassan Mokhaiber,

Considérant que dans le cas où le Conseil Constitutionnel ne peut proclamer élue Mme Mirna Murr vu qu’elle suit directement le Défendeur dans le nombre de voix obtenues conformément à l’article 31 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel étant donné que ceci se heurte à des irrégularités qui ont accompagné sa campagne électorale que le Défendeur a omis de mentionner dans sa défense – bien qu’il ait le droit de les invoquer en tant que moyen de défense – et qui auraient pu avoir un impact sur la distribution des voix, à savoir notamment les erreurs figurant dans les procès-verbaux conformément aux allégations de la Requérante figurant au recours et que le Défendeur n’a pas contestées ainsi que les irrégularités, les explications inscrites par le président de la commission et les interprétations contradictoires faites par la Requérante et le Défendeur qui ont accompagné les procès-verbaux de comptage des voix émis par la commission supérieure de décompte des voix, les irrégularités constatées par le ministre de l’Intérieur dans sa conférence de presse du 04/06/2002 qui ont entaché le processus de dépouillement des votes, la méthode de comptage adoptée par les commissions de décompte des voix et la commission supérieure, le climat qui prévalait au cours de cette opération et les différentes erreurs commises ainsi que leur caractère contradictoire qui remettent en cause la distribution des voix et leur détermination de manière précise et notamment en ce qui concerne la Requérante elle-même,

Considérant qu’il est impossible d’invoquer, en réponse à ce qui précède, que le candidat Ghassan Mokhaiber a obtenu un nombre de voix largement inférieur étant donné que le législateur n’a pas prévu de limite de majorité et étant donné qu’il est admis par la jurisprudence qu’un tel écart n’est pas significatif lorsque les irrégularités sont graves et importantes (décision No. 12 datée du 17/05/1997) comme il est le cas dans la présente affaire, d’autant plus que lesdites irrégularités ont profité au Défendeur et que leur impact s’est étendu à la distribution des voix entre les candidats, tel que mentionné précédemment,

Considérant qu’il est également impossible de répondre que M. Ghassan Mokhaiber n’est pas partie au présent recours étant donné en premier lieu que l’annulation vise précisément la députation de M. Gabriel Murr et non le processus électoral dans son intégralité et en second lieu, étant donné que la compétence du Conseil Constitutionnel en matière de réformation des résultats des élections a été absolue et souveraine, non limitée par l’article 31 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel. C’est ainsi que le Conseil Constitutionnel s'écarte, dans sa compétence des principes reconnus par le Code de Procédure Civile et qui seraient susceptibles de limiter sa souveraineté en matière d’ordre public ou de hauts intérêts, d’où l’affirmation que la création du Conseil Constitutionnel a vu et a donné lieu à l’émergence de « nouveaux » juges jouissant de « nouvelles » compétences :

« … et que, même lorsqu’il ne peut statuer que sur saisine, son examen peut et doit déborder les limites de la contestation, comme on le verra plus loin. Mais est-il nécessaire à la fonction juridictionnelle que son exercice ne puisse s’opérer que pour trancher un litige et qu’est-ce qu’un litige ?

D’autre part, la pratique toute prétorienne du Conseil Constitutionnel a, en marge des textes, satisfait à nombre des exigences négligées par ceux-ci. Enfin en certains domaines, les insuffisances des textes ont, par un effet « bienveillant » ou « vertueux » permis la mise en place de procédures plus souples et plus efficaces que celles auxquelles une application simpliste et mécanique de principes trop généraux aurait conduit ».

(G. Vedel, Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs, in Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, p. 542 et 545).

(Voir aussi L. Favoreu et L. Philip, les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, 11ème édition, p. 53).

C’est ce même ouvrage qui a traité du droit du Conseil Constitutionnel de rendre une décision ultra petita.

Considérant que le Conseil Constitutionnel n’est pas lié par la demande de la Requérante de ne pas la proclamer élue étant donné que nulle partie au recours ne peut limiter la compétence du Conseil Constitutionnel ou le lier dans l’exercice de son choix ou de contraindre ce choix à l’avance ou de l’orienter dans une seule direction, étant donné que ceci porte atteinte au droit du Conseil Constitutionnel prévu dans un texte express,

Par ces motifs,

Et après délibération,

Le Conseil Constitutionnel décide :

Premièrement : En la forme :

De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme et de rejeter l’exception relative à l’absence de qualité et d’intérêt pour céder à l’avance son droit de présenter le présent recours.

Deuxièmement : Au fond :

1) De rejeter la demande d’annulation des élections partielles pour le siège grec orthodoxe dans la deuxième circonscription du Mont-Liban – Caza du Metn – organisées en date du 02/06/2002.

2) De déclarer l’invalidité de la députation du député élu, M. Gabriel Murr et d’annuler sa députation.

3) De proclamer élu le candidat Ghassan Mokhaiber pour le siège grec orthodoxe dans la deuxième circonscription du Mont-Liban – Caza du Metn.

Troisièmement : De notifier le président de la Chambre des députés, le ministère de l’Intérieur et les personnes concernées de la présente décision.

Quatrièmement : De publier la présente décision au Journal Officiel.

 

Décision rendue le 4 novembre 2002.