Décision No.19/2000
Décision No. 19/2000
Date: 08/12/2000
Recours No. : 19 et 20/2000
Les Requérants : Ingénieur Chawki Tannous Fakhry et M. Samir Amin Chamoun, candidats battus au siège maronite de Baalbek Hermel, première circonscription électorale de la Békaa, au cours des élections législatives de l’année 2000.
Le Défendeur : Nader Nagib Succar, député élu pour le siège maronite dans la circonscription susmentionnée.
Objet : Recours en invalidation de la députation du Défendeur.
Le Conseil Constitutionnel,
Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.
Vu l’article 19 de la Constitution,
Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,
Il appert que le Requérant, l’ingénieur Chawki Tannous Fakhry, a présenté en date du 04/10/2000, par le biais de son mandataire, un recours enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 19/2000 et visant à contester la validité de l’élection du Défendeur. Le Requérant a demandé de recevoir le recours en la forme et au fond, d’annuler la députation du défendeur, de rectifier le résultat en le proclamant (le Requérant) élu pour le siège mentionné et subsidiairement, d’ordonner la réorganisation d’élections pour le siège qui sera vacant en raison de l’annulation. Le Requérant a allégué ce qui suit :
Les interventions qui ont eu lieu au cours de la constitution des listes électorales et qui ont imposé au Défendeur d’adhérer à la liste de coalition de Baalbek Hermel en tant que seul candidat maronite dans ladite liste ainsi que les forces soutenant sa candidature qui ont convoqué les mukhtars des villages ainsi que les chefs des municipalités, des familles et des tribus les menaçant des conséquences éventuelles dans le cas où ils n’émettent pas leurs suffrages en faveur du Défendeur ; ce qui a entraîné l’écart considérable entre les voix obtenues par les différents candidats ; ces faits sont prouvés par l’appel du Conseil des patriarches, par divers communiqués de presse, notamment ceux émis par les partisans de Toufayli et par l’Association Libanaise pour la Démocratie des Elections, par l’interrogatoire des autorités religieuses et laïques de la première circonscription électorale de la Békaa, de certains chefs des municipalités, mukhtars, notables et chefs de familles. Le Requérant se réserve le droit de ne pas nommer les témoins en vue de préserver la sécurité de l’enquête.
Il appert que le Défendeur, M. Nader Succar, a présenté en date du 17/10/2000, par le biais de son mandataire, un mémoire responsif visant à nier les allégations du Requérant relatives aux pratiques, pressions et abus de pouvoir et à affirmer que la volonté des électeurs s’est exprimée librement et que lesdites allégations sont restées dénuées de toute preuve ; ce qui entraîne l’impossibilité de les invoquer. Subsidiairement, il est admis par la jurisprudence qu’il ne suffit pas de prouver l’existence des irrégularités alléguées qui ont vicié le processus électoral à travers les pressions morales et matérielles qui ont été exercées sur la volonté des électeurs pour entraîner l’annulation des résultats des élections mais qu’il est impératif de prouver de manière indiscutable, que les résultats auraient été différents si les irrégularités mentionnées n’avaient pas eu lieu. Par ailleurs, le Défendeur allègue que l’écart considérable entre les voix et qui s’est élevé à 22 000 voix environ signifie que les pressions et pratiques alléguées sans aucune incidence sur le résultat de l’élection. Le Défendeur demande également de rejeter le recours en la forme, sinon au fond pour invalidité et manque de preuve et de sérieux.
Il appert que le Requérant, Chawki Fakhry, a présenté en date du 25/10/2000 un mémoire en vertu duquel il affirme que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel admet l’annulation de la députation d’un député élu même si l’écart entre les voix obtenues par les différents candidats est considérable et ce, à condition toutefois de prouver que les pressions exercées sur les électeurs durant les périodes préélectorale et électorale ont vraiment porté atteinte à leur volonté, les empêchant par conséquent d’exercer leur droit électoral en toute liberté.
Il appert que le Requérant, M. Samir Chamoun a présenté, à son tour, un recours enregistré au greffe du Conseil sub No. 20/2000 visant à contester la validité de l’élection du Défendeur et à demander d’annuler sa députation en alléguant les motifs suivants :
Des forces occultes contrôlaient la constitution des listes. Au cours de la dernière semaine précédant le jour du scrutin, les interventions provenant de l’intérieur et de l’extérieur du territoire libanais ont atteint leur apogée et se sont manifestées à travers des menaces et des actes de corruption, en ce sens que les mukhtars, chefs de municipalités et différentes autorités ont été convoqués pour recevoir des instructions leur ordonnant de voter en faveur de certains candidats, dont, en premier lieu, le Défendeur Nader Succar. C’est alors qu’un climat de frustration a régné sur la circonscription et les chefs de bureaux de vote ainsi que les forces de sécurité ont empêché les représentants du Requérant de pénétrer les bureaux de vote lors de l’opération de dépouillement des voix. De plus, le résultat officiel qui a été proclamé n’est pas conforme au résultat effectif. Le Requérant a affirmé qu’il tente d’obtenir les documents susceptibles de prouver l’invalidité des chiffres officiels.
Il appert que le Défendeur a présenté, en date du 17/10/2000, par le biais de son mandataire, un mémoire responsif en vertu duquel il déclare que l’allégation du Requérant en ce qui concerne les forces occultes qui ont contrôlé le processus de constitution des listes est invalide et que l’adhésion du Défendeur à la liste de coalition de Baalbek Hermel était tout à fait normale, vu l’alliance et la coordination entre le parti auquel il appartient et les différentes forces et tendances représentées par le reste des candidats de la même liste. Par ailleurs, il considère les allégations du requérant dénuées de toute preuve et de tout sérieux. Il est admis par la jurisprudence qu’il ne suffit pas de prouver l’existence des irrégularités alléguées qui ont vicié le processus électoral à travers les pressions morales et matérielles qui ont été exercées sur la volonté des électeurs mais qu’il est impératif de prouver de manière indiscutable, que les résultats auraient été différents si les irrégularités mentionnées n’avaient pas eu lieu. Par ailleurs, le Défendeur allègue que l’écart considérable entre les voix obtenues par chacun des candidats et qui s’est élevé à plus de 30 000 voix signifie que les pressions et pratiques alléguées sans incidence aucune sur le résultat de l’élection. Le Défendeur a également demandé de rejeter le recours en la forme, sinon au fond pour invalidité et manque de preuve et de sérieux.
Sur base de ce qui précède,
Premièrement : Concernant le fait de joindre deux recours :
Considérant que les deux Requérants ont présenté deux recours visant à contester la validité de la députation du Défendeur, M. Nader Succar.
Considérant que, pour le bon fonctionnement de la justice, il convient d’examiner les deux recours en même temps et de les joindre.
Deuxièmement : En la forme :
Considérant que les élections législatives de 2000 dans la première circonscription de la Békaa (Baalbek Hermel) ont eu lieu le 03/09/2000 et que les résultats ont été officiellement proclamés en date du 04/09/2000, par conséquent, les deux recours présentés par M. Chawki Fakhry sub No. 19/2000 et par M. Samir Chamoun sub No. 20/2000 ont été intentés dans le délai légal prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 et à l’article 46 de la loi No. 243/2000.
Considérant que le Requérant, M. Chawki Tannous Fakhry, a produit en annexe à son recours une procuration certifiée par-devant notaire, autorisant son mandataire de manière expresse à intenter le présent recours auprès du Conseil Constitutionnel.
Considérant que le Requérant, M. Samir Chamoun a intenté son recours accompagné de sa propre signature.
Les deux recours intentés par les deux Requérants remplissent par conséquent les conditions de forme et sont ainsi recevables en la forme.
Deuxièmement : Au fond
Considérant que les coalitions et négociations entre les différents candidats s’inscrivent en principe dans le cadre de l’exercice, par les citoyens, de leurs libertés et droits politiques prévus à la Constitution.
Considérant que l’on ne peut invoquer dans tous les cas et notamment, dans la présente affaire, des interventions alléguées avoir eu lieu lors de la constitution des listes, étant donné que les propos tenus par le deux Requérants à cet égard sont venus sous forme d’accusations génériques, dénuées du degré requis de précision et non prouvées par une preuve ou un commencement de preuve.
Considérant que le Conseil Constitutionnel, même s’il jouit de prérogatives de nature interrogatives lui permettant d’approfondir l’enquête, ceci ne porte pas atteinte à la règle générale selon laquelle le Requérant est tenu, en principe, de prouver ses allégations ou du moins, d’apporter une preuve ou un commencement de preuve en ce qui concerne les irrégularités et les dépassements qu’il allègue avoir eu lieu, ce qui permettrait au Conseil Constitutionnel d’exercer ses prérogatives en matière d’enquête et de s’assurer de la véracité des faits allégués ainsi que de leur incidence sur le résultat des élections.
Considérant que le Requérant, M. Chawki Fakhry invoque, en vue de prouver ses allégations susmentionnées, des communiqués particuliers et non officiels et des extraits de revues et journaux produits en annexe à son recours, qui sont tous de nature générique et manquent de sérieux ainsi que des faits matériels spécifiques et bien définis, ce qui ne constitue pas des moyens de preuve suffisants au sens prévu par la loi…
Considérant que la décision du Requérant, M. Chawki Fakhry de ne pas nommer les différents témoins, alléguant – selon ses propos – les préserver des pressions auxquelles ils pourraient être soumis ne peut également être invoquée ou constituer la base de lancement de toute enquête, surtout que cette position est contraire aux dispositions de l’article 25 de la loi No. 250 amendée en vertu de la loi No. 150 du 30/10/1999 relative à la création du Conseil Constitutionnel, étant donné que ledit article impose au Requérant d’accompagner son recours des documents attestant sa validité.
Considérant que l’article 25 s’applique également aux allégations du Requérant qu’il tente de rassembler les documents attestant la validité de son recours et prouvant l’invalidité des chiffres officiellement proclamés, surtout que le Requérant n’a pas prouvé, dans tous les cas, que ses tentatives ont abouti au résultat voulu…
Considérant que, subsidiairement, il appert que l’écart entre les voix est considérable, soit 13 997 voix pour le Requérant Chawki Fakhry, 1 467 voix pour le Requérant Samir Chamoun contre 35 765 voix pour le Défendeur Nader Succar, par conséquent, il convient de ne pas s’arrêter aux allégations génériques, ambiguës et imprécises, surtout qu’il n’a pas été prouvé que le député dont la députation est contestée doit un grand nombre des voix qu’il a obtenues aux pratiques contestées qui ne sont elles-mêmes pas établies à l’origine.
Par ces motifs,
Et après délibération,
Le Conseil Constitutionnel décide :
Premièrement : En la forme
Après avoir joint les deux recours,
De recevoir le recours intenté par les deux Requérants en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.
Deuxièmement : Au Fond
1- De rejeter le recours présenté par les deux Requérants, MM. Chawki Tannous Fakhry et Samir Amin Chamoun, candidats battus au siège maronite de la première circonscription électorale de la Békaa (Baalbek Hermel), au cours des élections législatives de l’année 2000.
2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.
3- De publier la présente décision au Journal Officiel.
Décision rendue le 8 décembre 2000.