Décision No. 16/2000



Décision No. 16/2000

Date: 08/12/2000

 

Recours No. : 16/2000

Le Requérant : Samir Hamid Frangieh, candidat battu au siège maronite de Tripoli, deuxième circonscription électorale du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.

Le Défendeur : Jean Obeid, le député élu pour le siège susmentionné.

Objet : Recours en invalidation de la députation du Défendeur.

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,

Il appert que le Requérant, M. Samir Frangieh, candidat battu au siège maronite de Tripoli, deuxième circonscription du Nord, au cours des élections législatives de 2000, a présenté un recours auprès de la présidence du Conseil Constitutionnel en date du 27/09/2000, enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 16/2000 et visant à contester la validité de l’élection du député Jean Obeid, qui a été proclamé élu pour le siège susmentionné. Le Requérant a invoqué les motifs suivants :

La loi du 06/01/2000 relative à l’élection des membres de la chambre du Parlement est contraire aux tendances de toutes les parties politiques, ce qui signifie que ladite loi a été promulguée sur base d’une volonté extérieure contraignante, ce qui est contraire au principe de la démocratie ainsi qu’à la Constitution. De plus, les autorités syriennes ont tenté de former une liste de coalition dans la deuxième circonscription électorale du Nord en vue de garantir l’élection de leurs partisans. Durant la fête de Adha, le Ministre syrien de la défense a rendu visite à Sleiman Frangieh dans la localité de Bnachii et lui a offert la Abaya du Président Hafez El Assad, ce qui a été considéré comme un signe de soutien au ministre Frangieh face à ses adversaires politiques. Le ministre Frangieh a déclaré que les divisions électorales qui ont englobé la totalité du territoire servent les intérêts du parti national arabe.

Par ailleurs, les pressions syriennes ont eu une influence majeure dans la constitution des listes électorales. En effet, les personnes indésirables ont été écartées et les candidats préférés ont été retenus. Cette intervention contraignante a été également accompagnée d’une accusation de confessionnalisme adressée au Requérant par le colonel syrien Mohammed Khlouf qui l’a accusé d’écrire des discours diffamatoires contre le patriarche maronite. Par ailleurs, le candidat concurrent au siège maronite de Tripoli, M. Jean Obeid a mené une campagne électorale basée sur le confessionnalisme et visant à dresser les votants contre le Requérant. Un journal local de Tripoli a publié un communiqué en grosses lettres, s’étendant sur la moitié de la dernière page du journal, accusant le Requérant, sans pour autant mentionner son nom, de changer son fusil d’épaule, de l’extrême gauche à l’extrême droite. Un communiqué similaire a été distribué dans plusieurs quartiers de la ville de Tripoli, ce qui a poussé un Imam d’une mosquée à Al Mina à attaquer le Requérant et à l’accuser d’athéisme. Les campagnes publicitaires menées par Jean Obeid, le député dont la députation est contestée, englobaient une chaîne télévisée qui a refusé de permettre au Requérant de répondre, à travers ses ondes, aux propos calomnieux qui lui ont été adressés.

Le Requérant a également ajouté que les pressions syriennes qui ont eu une incidence certaine sur le résultat de l’élection sont prouvées par le communiqué émis par le conseil des patriarches en date du 20/09/2000, qui a conforté sa propre position politique. Il également déclaré qu’il ne nommera pas les personnes qui ont été sujettes aux pressions syriennes pour les préserver de tout préjudice.

Le Requérant a demandé de recevoir son recours en la forme et au fond et de proclamer l’invalidité de la députation du défendeur Jean Obeid, après s’être assuré de la validité de ses allégations, et par conséquent, d’annuler l’élection du Défendeur et de rectifier le résultat de l’élection pour le siège maronite de Tripoli, deuxième circonscription du Nord.

Considérant que le Défendeur, Jean Obeid dont l’élection est contestée a présenté, par le biais de son mandataire, le bâtonnier Rachid Derbas, ses conclusions responsives, enregistrées au greffe du Conseil en date du 16/10/2000 en vertu desquelles il a répondu aux allégations du Requérant comme suit :

Le recours du Requérant est purement politique puisqu’il reprend les opinions politiques de sa campagne électorale et ne peut par conséquent constituer une preuve. Par ailleurs, la constitutionnalité de la loi électorale ne peut être contestée dans le cadre du présent recours étant donné que cette opération est sujette à un mécanisme différent et à des procédures constitutionnelles bien définies. La majorité des points soulevés par le Requérant sont relatifs à d’autres candidats n’ayant aucune relation avec le Défendeur. Les coalitions électorales et l’adhésion à telle liste ou à telle autre dépendent de la volonté des partis politiques et ne sont en aucun cas contraires aux dispositions de la loi relative aux élections législatives. Le Défendeur n’est aucunement responsable des tracts diffamatoires publiés à l’adresse du Requérant et, en ce qui concerne l’article publié dans un journal local, le Requérant aurait pu exercer son droit juridique de réponse et obliger le journal à publier sa réponse à la même page, avec les mêmes caractères, sous peine de poursuite judiciaire. Le Défendeur a également ajouté que le Requérant appartenait à la liste du Président Karamé qui jouit d’une grande popularité dans les milieux islamiques et que les accusations de confessionnalisme faites à son égard n’ont eu aucune incidence sur le scrutin dans la ville de Tripoli, surtout que les voix obtenues par le Requérant sont nettement moins nombreuses que celles obtenues par le Défendeur dans la plupart des régions et localités chrétiennes. Le résultat définitif a également fait état d’un écart considérable entre les voix obtenues par le Requérant d’une part et le Défendeur d’autre part. Par ailleurs, il est admis par les jurisprudences libanaise et française que l’élection ne peut être annulée dans le cas où l’écart entre les voix obtenues par le candidat élu et le candidat battu est considérable et si les faits allégués n’ont pas eu d’incidence sur le résultat de l’élection. Par ailleurs, la plupart des allégations du Requérant sont invalides et le député dont l’élection est contestée n’est aucunement lié à elles, surtout que le Requérant avait choisi de se porter candidat au siège maronite de Tripoli, soit hors de sa région d’origine qui est Zghorta.

Le député dont l’élection est contestée a déclaré en fin de compte que le recours constitue un commentaire politique sur les élections plutôt qu’un recours juridique accompagné de faits et preuves et que, par conséquent, il ne s’inscrit pas dans le cadre des litiges judiciaires et juridiques.

Sur base de ce qui précède,

Premièrement : En la forme :

Considérant que les élections dans la deuxième circonscription du Nord ont eu lieu le 27/08/2000, que les résultats ont été officiellement proclamés en date du 28/08/2000 et que le présent recours a été intenté en date du 27/09/2000, soit dans le délai légal prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 et à l’article 46 de la loi No. 243/2000, il est par conséquent recevable en la forme.

Deuxièmement : Au fond

Considérant que le Requérant, M. Samir Hamid Frangieh, candidat battu au siège maronite de Tripoli, deuxième circonscription du Nord, allègue que les élections ont eu lieu conformément à une loi inconstitutionnelle et non démocratique qui a été refusée par la majorité des autorités politiques.

Considérant que le Conseil Constitutionnel, en tant que juge électoral, n’est pas compétent pour contrôler la constitutionnalité de la loi électorale étant donné que cette dernière qui a régi les élections est devenue une loi écran. Par ailleurs, le recours concernant l’inconstitutionnalité des lois est sujet à des procédures bien définies et prévues à l’article 18 et suivants de la loi No. 250/93, amendée en vertu de la loi No. 150/99, ainsi qu’à l’article 30 et suivants de la loi No. 243/2000. Lesdites procédures diffèrent de celles adoptées dans les recours et litiges relatifs aux élections législatives et ne peuvent être interprétées comme prévoyant la possibilité d’avoir recours à un contrôle indirect à cet égard, sachant que l’article 21 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel prévoit de considérer tout texte législatif recevable même dans le cas où le Conseil Constitutionnel n’a pas rendu de décision à l’égard de sa constitutionnalité dans le délai prévu à l’alinéa 1 dudit article.

Considérant que le Requérant allègue que l’intervention de certaines autorités syriennes a eu une incidence sur la constitution des listes électorales. Il n’a cependant pas nommé les témoins de cette intervention et s’est contenté de mentionner les articles parus dans la presse locale et les propos tenus dans le communiqué du conseil des patriarches maronites.

Considérant que, dans le cadre de la preuve juridiquement recevable, les articles de presse et les circulaires ne peuvent être invoqués et manquent de précision et de preuve.

Considérant que les circonstances de constitution des listes électorales ne portent pas atteinte au processus électoral tant qu’aucune preuve n’atteste que lesdites circonstances ont eu une incidence directe sur la liberté et volonté des électeurs.

Considérant qu’il convient de négliger les allégations du Requérant concernant la campagne publicitaire menée contre lui et les tracts comprenant des propos calomnieux à son adresse qui ont été distribués dans certains quartiers de Tripoli, l’accusant de confessionnalisme et de changement de position, étant donné que les positions des partisans ou des opposants d’un candidat donné s’inscrivent dans le cadre des campagnes électorales et que le Requérant peut répliquer à la campagne le visant par une campagne contraire et peut avoir recours aux moyens juridiques à cet égard, surtout qu’il n’a pas été prouvé qu’un discours ou un tract bien déterminé a porté atteinte ou portera atteinte à la volonté des électeurs, sachant que les communautés politiques renferment plusieurs tendances différentes et que toute information pourrait mettre un terme au soutien d’une certaine catégorie d’électeurs qui est susceptible de lui garantir le vote d’autres catégories d’opposants, ce qui signifie que le Conseil Constitutionnel, en tant que juge électoral, ne peut, dans des cas pareils, s’assurer de l’existence d’une relation causale entre les actes douteux et leur possible incidence sur le processus électoral et son résultat.

Par ces motifs,

Et après délibération,

Le Conseil Constitutionnel décide :

Premièrement : En la forme

De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.

Deuxièmement : Au Fond

1- De rejeter le recours présenté par M. Samir Hamid Frangieh, candidat battu au siège maronite de Tripoli, deuxième circonscription électorale du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.

2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.

3- De publier la présente décision au Journal Officiel.

 

Décision rendue le 8 décembre 2000.