Décision No.11/2000



 

Décision No. 11/2000

Date: 08/12/2000

 

Recours No. : 11/2000

Le Requérant : Me Boutros Succar

candidat battu au siège maronite de Bécharré, première circonscription électorale du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.

Les Défendeurs : Kabalan Issa El Khoury et Jibran Tawk, députés élus pour le siège susmentionné.

Objet : Recours en invalidation de la députation des Défendeurs.

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,

Premièrement :

Concernant le recours intenté contre M. Kabalan Issa El Khoury :

Considérant que le Requérant, Me Boutros Succar, candidat battu au siège maronite du Caza de Bécharré, première circonscription du Nord, au cours des élections législatives de 2000, a présenté un recours auprès de la présidence du Conseil Constitutionnel en date du 27/09/2000, enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 11/2000 et visant à contester la validité de l’élection de M. Kabalan Issa El Khoury, qui a été proclamé élu pour le siège susmentionné au cours des élections législatives du 27/08/2000 dans la circonscription électorale susnommée. Le Requérant a demandé de recevoir le recours en la forme, d’annuler la députation du Défendeur, de le proclamer (le Requérant) élu pour le siège susmentionné et, subsidiairement, d’annoncer l’invalidité de la députation du député dont l’élection est contestée, de permettre l’organisation de nouvelles élections pour le siège qui sera vacant en raison de ladite annulation et plus subsidiairement, d’annuler l’ensemble des élections législatives et d’en organiser d’autres conformément aux lois et règles en vigueur. A cet égard, le Requérant a invoqué les motifs suivants :

1- La liste des électeurs :

La liste des électeurs n’a pas été mise à jour, ce qui est contraire à la loi et qui porte atteinte par conséquent à la validité des élections. En effet, d’une part, lesdites listes comprenaient des noms qui auraient dû être rayés en raison du décès de l’électeur ou pour tout autre motif et devaient comprendre d’autre part, les noms de personnes ayant désormais le droit de voter. Il est possible de s’assurer de la véracité de ces allégations en comparant la liste des électeurs en vigueur depuis les législatives de 1996 et jusqu’au 30/03/2000 à la liste adoptée pour les élections objet du recours et de les collationner avec les inscriptions figurant aux registres du statut personnel.

Le Requérant a par ailleurs ajouté que, conformément à l’article 25 de la loi No. 171 du 06/01/2000, le Ministre de l’intérieur est tenu, en cas d’erreurs ou de failles entachant les listes électorales, de quelque nature qu’elles soient, de saisir la commission supérieure de décompte des voix compétente de l’affaire qu’elle réglera dans l’espace de trois jours et que le Requérant, ainsi que certains de ses camarades, avaient émis des demandes visant à remédier aux failles. Le Ministre de l’intérieur avait soumis, à la commission supérieure de décompte des voix, plus de huit mille trois cents demandes qui avaient été déposées auprès de lui. Ladite commission a rendu des décisions à leur égard ordonnant d’inscrire les demandes sur la liste des électeurs et bien que lesdites décisions jouissent de la force de la chose jugée, elles n’ont pas été exécutées, ce qui a porté atteinte au processus électoral étant donné que cette situation est similaire à celle de l’électeur dont le nom figure sur la liste des électeurs et qui n’a pu émettre son suffrage. Le Requérant a demandé d’obtenir une copie desdites décisions et de se référer, le cas échéant, au président et aux membres de la commission pour tout éclaircissement.

Le Requérant a également ajouté que si l’on avait remédié aux failles, il aurait obtenu les voix des personnes pour lesquelles des décisions ordonnant l’inscription de leurs noms sur les listes électorales ont été rendues. Considérant que les personnes dont les noms n’ont pas été inscrits sur les listes des électeurs en vertu des décisions rendues par la commission supérieure de décompte des voix n’ont pas reçu, personnellement, les décisions rendues, dans ce cas, et conformément à la doctrine et la jurisprudence, il convient de joindre le nombre de ces voix (un peu plus de 8 300 voix) à celles obtenues par les candidats battus, ce qui inverserait les résultats et ferait du Requérant le candidat dûment élu.

2- Concernant les listes électorales adoptées dans les bureaux de votes ainsi que les vices qui les entachent :

Conformément à la loi, les listes électorales doivent être conformes aux listes électorales, ce qui n’a pas été le cas au cours des élections et qui porte atteinte au processus électoral. Par ailleurs, les procès-verbaux des bureaux de vote comprenaient des électeurs fictifs dont la signature ne figurait pas sur les listes électorales. Or, conformément à la doctrine et la jurisprudence, les inscriptions figurant sur les listes électorales prévalent en cas de divergence avec les inscriptions des procès-verbaux du scrutin ou avec tout autre document. Il appert de l’examen de plusieurs listes électorales adoptées par les différents bureaux de vote que certaines signatures sont attribuées à des expatriés qui se trouvaient hors du territoire libanais le jour du scrutin ainsi qu’à des personnes décédées, comme il en a été le cas dans les quartiers de Saydé et de Mar Saba à Bécharré et ce, à titre indicatif non limitatif.

3- Concernant les infractions à la loi commises par la commission du bureau de vote :

Considérant que la loi prévoit que la commission du bureau de vote soit formée d’un président, d’un assistant et de quatre représentants au moins. Le Requérant allègue que par simple consultation des procès-verbaux de tous les bureaux de vote, le Conseil peut s’assurer du fait que les commissions des bureaux de vote étaient toutes formées de manière contraire à la loi et aux procédures en vigueur, tel qu’il ressort du nombre insuffisant des signatures des représentants qui figurent dans les procès-verbaux. Ces failles portent atteinte à la validité du processus électoral.

4- Concernant le mode de scrutin et l’isoloir :

L’article 25 de la loi électorale promulguée en 1960 a prévu la forme et le mode du scrutin, la forme de l’isoloir ainsi que son contenu. Conformément à ladite loi, le bulletin de vote doit être placé dans une enveloppe derrière l’isoloir et l’enveloppe doit être fermée avant d’être glissée dans l’urne, ce qui n’a pas été le cas. Par ailleurs, les isoloirs dans tous les bureaux de vote n’étaient pas conformes aux dispositions de la loi. La véracité de ces allégations peut être établie en interrogeant les présidents des bureaux de vote et en cas de dénégation, le Requérant se réserve le droit de convoquer ses témoins. Il convient de noter également qu’un grand nombre d’électeurs n’émettaient pas leurs suffrages derrière l’isoloir et glissaient la liste des candidats dans l’urne ouvertement. Toutes ces infractions à la loi portent atteinte au processus électoral.

5- Concernant les urnes :

Les urnes arrivaient aux commissions locales de décompte des voix sans certains des documents requis, tels que les listes électorales et le procès-verbal de la commission du bureau. La plupart, si ce n’est toutes les urnes ont été livrées à la commission supérieure de décompte des voix de manière contraire aux dispositions de la loi. Les urnes doivent être fermées au moyen de deux serrures, la clé de la première confiée au président du bureau de vote et la clé de la deuxième, confiée à l’un des représentants ; elles doivent être livrées à la commission locale de décompte des voix par le président du bureau de vote qui est tenu de se faire accompagner par des membres des forces de la sécurité et par quelques représentants. Elles doivent également être ouvertes devant la commission de décompte des voix et contenir les documents requis susmentionnés et ce, sous peine d’annulation de l’urne concernée. Le Requérant allègue à cet égard que ces dispositions n’ont pas été respectées et qu’il se réserve le droit de souligner, le cas échéant, les autres facteurs qui ont également porté atteinte à la liberté et volonté des électeurs.

6- Concernant les différents moyens de pression et de contrainte visant à influencer la volonté des électeurs :

Tous les habitants de la première circonscription électorale de la Mohafazat du Liban Nord savent que le Défendeur a dépensé d’importants montants pour influencer la volonté des électeurs et les pousser à voter en sa faveur. Le Requérant déclare qu’il est capable de prouver ses allégations à cet égard par tous les moyens de preuve disponibles dont la preuve personnelle, mais qu’il se réserve le droit de mentionner les noms des témoins, en vue de préserver leurs intérêts et pour éviter qu’ils ne soient obligés à ne pas témoigner ou à nier la vérité en raison des pressions exercées par les personnes concernées et qu’il compte sur les prérogatives dont le Conseil Constitutionnel jouit en matière d’enquête pour que ce dernier s’assure de la véracité des faits allégués. Le Requérant se réserve également le droit d’avoir recours à la jurisprudence ainsi qu’à certains témoignages dans ces mémoires futurs.

7- Concernant les allégations préjudiciables :

Le Requérant a ajouté que les candidats de la liste à laquelle il appartenait avaient l’intention de laisser le siège sunnite vacant pour que les électeurs choisissent entre deux candidats à savoir, Ahmad Fitfit et Abdelnasser Raad. Cependant, le Requérant et les autres candidats de la même liste ont considéré, au cours d’une réunion tenue sur demande du député Issam Fares, qu’il serait mieux, dans l’intérêt de la liste, d’inclure le candidat Abdelnasser Raad au lieu de laisser le siège concerné vacant. Lorsque M Ahmad Fitfit a senti qu’il avait perdu les voix des candidats de la liste, il a déclaré, sur la Future TV, que la coalition entre lui et le Requérant était toujours en vigueur, alors que rien ne le liait aux autres membres de la liste qui étaient ses adversaires électoraux, alors que, selon le Requérant, il n’y avait effectivement aucune coalition entre les deux, ce qui a porté préjudice au Requérant exclusivement, sans que ceci ne soit obligatoirement intentionnel de la part de Ahmad Fitfit, en ce sens qu’il n’a obtenu aucune voix de la part de ses partisans ni de la part des partisans du courant Al Moustakbal, ce qui a influencé le résultat définitif. Le Requérant demande au Conseil Constitutionnel d’obtenir une copie de ladite entrevue télévisée en vue de corroborer ses allégations. Il appuie également ses propos par les résultats des élections de 1996.

Il appert que le Requérant a présenté, en date du 07/10/2000 un mémoire visant à clarifier les motifs allégués dans l’assignation du recours, à les soutenir par des textes de la jurisprudence française et à réitérer ses précédentes requêtes. Il a également présenté un autre mémoire le 23/10/2000 visant à détailler les motifs du recours et à demander de désigner une commission d’experts chargée d’enquêter sur le déroulement du processus électoral et sur l’application, par le Ministre de l’intérieur, des dispositions de l’article 25 de la loi électorale.

Il appert que le Défendeur a présenté ses conclusions responsives enregistrées au greffe Conseil Constitutionnel en date du 13/10/2000 visant à rejeter le recours intenté par le Requérant vu qu’il n’a pas qualité pour agir étant donné qu’il est le candidat battu au siège maronite du caza de Bécharré (première circonscription) et qu’il a obtenu 20 249 voix, contre 23 130 voix pour le candidat Benoît Habib Keyrouz, par conséquent, ce dernier est le candidat concurrent battu et celui qui a qualité pour présenter le recours et non pas le Requérant et ce, conformément aux dispositions de l’article 38 de la loi No. 516 (règlement intérieur du Conseil Constitutionnel).

Le Défendeur a ajouté que subsidiairement, il convient de rejeter le recours en la forme étant donné que les motifs y relatifs ne sont pas mentionnés et que les critiques y figurant ne peuvent constituer les motifs légaux du recours et que, de manière totalement subsidiaire, il convient de rejeter le recours en sa totalité vu l’invalidité et l’illégalité des motifs allégués.

Il appert que le Requérant a présenté, en date du 23/10/2000 un mémoire visant à clarifier les motifs précédemment allégués et à faire état du déroulement du processus électoral, tout en soulignant le fait qu’il a qualité pour intenter le recours conformément aux dispositions de la loi No. 234 du 07/08/2000 qui a abrogé la loi invoquée par le Défendeur et dont l’article 46 a remplacé l’article 38 abrogé. En effet, cette nouvelle loi prévoit que le recours peut être intenté par tout candidat concurrent battu dans sa circonscription électorale. Le Requérant a rappelé au Défendeur que son avocat est tenu d’obtenir l’autorisation de l’ordre des avocats pour intenter une action en justice contre lui, étant donné que le Requérant est un avocat. Enfin, le Requérant a demandé de désigner un commission d’experts chargée d’exécuter les missions mentionnées dans son mémoire et relatives au déroulement du processus électoral avant de réitérer ses précédentes requêtes.

Deuxièmement :

Concernant le recours intenté par le Requérant contre le député élu Jibran Tawk :

Il appert que le Requérant, Me Boutros Succar, a intenté un recours contre le député élu Jibran Tawk, enregistré en date du 27/09/2000 au greffe du Conseil Constitutionnel et relatif au siège maronite du Caza de Bécharré, première circonscription du Nord (en vertu duquel il a contesté la validité de l’élection du députe élu M. Kabalan Issa El Khoury). Le Requérant a demandé de recevoir le recours en la forme et au fond, d’annuler la députation du Défendeur vu l’invalidité de son élection, d’annuler l’élection, dans la première circonscription du Liban Nord, pour le siège pour lequel le Défendeur a été proclamé élu, de le proclamer (le Requérant) élu pour le siège susmentionné et, subsidiairement, d’annoncer l’invalidité de la députation du député dont l’élection est contestée, ou sinon, de permettre l’organisation de nouvelles élections pour le siège qui sera vacant en raison de ladite annulation et plus subsidiairement, d’annuler l’ensemble des élections législatives et d’en organiser d’autres conformément aux règles et lois en vigueur.

Le Requérant a invoqué les mêmes motifs que ceux invoqués dans le cadre de l’invalidation de la députation du député élu, Kabalan Issa El Khoury ainsi que dans le cadre de son mémoire daté du 07/10/2000, réitérant ses précédentes requêtes figurant au recours qui sont identiques à celles figurant dans son recours intenté contre Kabalan Issa El Khoury. Le Requérant a également présenté un mémoire en date du 31/10/2000 visant à demander de désigner une commission d’experts chargée d’enquêter sur le déroulement du processus électoral ainsi que sur les procédures préélectorales.

Il appert que le Défendeur, le député élu Jibran Tawk a présenté ses conclusions responsives enregistrées au greffe du Conseil Constitutionnel en date du 19/10/2000, alléguant que le Requérant a présenté deux recours, le premier contre le député élu, Kabalan Issa El Khoury, et le second contre le député élu Jibran Tawk, ce qui est contraire aux textes juridiques qui ne prévoient pas qu’un recours puisse être intenté contre deux députés en même temps ; il convient par conséquent de rejeter le recours en la forme étant donné que ce type de recours, ainsi que les motifs précédemment allégués ne permettent pas au Conseil Constitutionnel de déterminer le député contre lequel le recours a été intenté, vu que le Conseil ne peut annuler la députation de deux députés en faveur d’un seul concurrent, sachant que la loi a conféré au Conseil le droit d’annuler la députation d’un député élu et de le remplacer par le candidat battu ou d’ordonner la réorganisation d’élections en vue de pourvoir au poste vacant en raison de l’annulation. Par ailleurs, le Défendeur allègue qu’aucun texte de loi n’autorise le Conseil Constitutionnel à différencier entre deux députés dont l’élection est contestée pour annuler la députation de l’un d’eux uniquement, en cas de motifs justifiant l’annulation, surtout que le recours intenté contre les deux députés est basé sur les mêmes motifs.

Le Défendeur a par ailleurs demandé, dans le cas où le recours n’est pas rejeté en la forme, de le rejeter au fond pour invalidité et manque de preuves. Il a également, dans un autre mémoire, réitéré ses requêtes en ce qui concerne le rejet des conclusions et du mémoire présentés par le Requérant pour manque de preuves et a demandé de rejeter la demande de désignation de la commission d’experts.

Sur base de ce qui précède,

Premièrement : Concernant le fait de joindre les deux recours intentés par Me Boutros Succar contre les deux députés élus, Kabalan Issa El Khoury et Jibran Tawk :

Considérant que les deux recours visent à annuler l’élection des deux députés élus Kabalan Issa El Khoury et Jibran Tawk pour les deux sièges maronites du Caza de Bécharré, première circonscription du Nord et qu’ils sont tous deux basés sur les mêmes motifs en ce qui concerne le fond.

Considérant que, pour le bon fonctionnement de la justice, il convient d’examiner les deux recours en même temps.

Pour ces motifs, le Conseil Constitutionnel décide de joindre les deux recours et d’examiner les motifs sur lesquels ils sont basés.

Deuxièmement : En la forme :

Considérant que l’élection dans la première circonscription du Nord a eu lieu le 27/08/2000, que les résultats ont été officiellement proclamés en date du 28/08/2000 et que le présent recours a été intenté auprès du Conseil Constitutionnel le 27/09/2000, soit dans le délai légal prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 (relative à la création du Conseil Constitutionnel) et à l’article 46 de la loi No. 243/2000, il est par conséquent recevable en la forme.

Troisièmement : Concernant la recevabilité du recours :

Considérant que le Défendeur, le député élu, Jibran Tawk, demande rejeter le recours en la forme étant donné qu’il est intenté à la fois contre deux députés élus par un seul candidat concurrent battu, le Conseil ne peut par conséquent annuler la députation de deux députés en faveur d’un seul Requérant battu et ce, étant donné que les textes de loi qui régissent le Conseil Constitutionnel prévoient la possibilité d’annuler la députation d’un député élu et de proclamer élu un candidat battu en vue de le remplacer,

Considérant qu’il s’agit par conséquent d’une fin de non-recevoir étant donné qu’elle se base sur l’absence de droit de former une demande au sens de l’article 62 amendé du Code de Procédure Civile qui prévoit également ce qui suit: «est considérée comme fin de non-recevoir également le défaut de qualité ou d’intérêt ». Il est possible d’invoquer cet article conformément à l’article 6 de cette même loi étant donné que la loi relative au Conseil Constitutionnel ne comprend pas un texte spécial qui régit ce type de fins.

Considérant que les fins de non-recevoir basées sur le défaut de qualité ou d’intérêt sont considérées comme des fins de non-recevoir liées au fond. Ce principe a été adopté par le législateur libanais qui l’a inscrit dans le cadre des fins reliées au fond qui peuvent être invoquées quelle que soit la nature du procès, tel que prévu à l’article 63 du Code de Procédure Civile et ce, contrairement aux exceptions de procédure qui doivent être invoquées avant de débattre du fond, tel que prévu à l’article 53 de la loi susmentionnée.

Considérant qu’il appert de ces textes que la différence entre les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir réside dans le fait qu’elles ne produisent pas les mêmes effets. Les fins de non-recevoir de procédure n’engagent le débat que sur la forme et doivent être invoquées au début du procès et avant de débattre du fond, alors que les fins de non-recevoir sont liées au fond et épuisent la juridiction du tribunal sur le fond du litige :

« Les effets procéduraux des fins de non-recevoir – Les fins de non-recevoir de procédure et les fins de non-recevoir liées au fond ne produisent pas les mêmes effets. Tandis que les premières n’engagent pas le débat sur le fond, les secondes, au contraire, ont pour résultat d’aboutir à un jugement qui épuise la juridiction du tribunal sur le fond même du litige ».

Solus et Perrot, Droit Judiciaire Privé, T.1, Ed. 1961 No. 319.

J. Vincent et S. Guinchard, Procédure Civile, Dalloz, 23e Ed. p. 128.

Considérant que, en principe, lorsqu’il appert que le Demandeur a qualité de former une demande, même si ce droit n’est pas prouvé de manière certaine, contre plus d’une partie adverse, il est difficile de déterminer ladite qualité étant donné que certaines preuves relatives à son droit de former une demande ne sont pas disponibles de manière précise, mais peuvent le devenir au cours du procès grâce aux enquêtes que le tribunal peut ordonner, en sens que, si le tribunal considère que les moyens de preuve présentés par le Demandeur sont recevables, le Demandeur peut former une demande contre plus d’un Défendeur directement liés au droit invoqué, à condition toutefois que le tribunal décide, sur base des preuves qui lui seront disponibles dans le cadre de l’affaire, lequel des Défendeurs sera tenu par son jugement ainsi que des résultats dudit jugement,

Considérant qu’il est faux d’alléguer que tout recours en invalidation de la députation de deux députés élus ou plus aura pour seule et unique conséquence le fait de remplacer un seul député élu par un seul candidat battu soit à travers la rectification des résultats en procédant au recompte des voix, soit à travers la réorganisation d’élections et ce, étant donné qu’il appartient au juge de supposer, au cours de la phase d’étude des fins, que la partie concernée a le droit de former une demande, lorsque ledit droit est possible ou éventuel, contre deux députés, de statuer sur le fond par la suite et de juger l’un d’eux après avoir statué sur le fond,

Considérant qu’il est faux d’alléguer que la loi parle au singulier en ce qui concerne le recours intenté par un candidat battu contre un député proclamé élu, étant donné que ceci n’est qu’un principe d’écriture adopté par le législateur dans le cadre de l’élaboration des lois générales, qu’il n’y ait qu’un Demandeur ou qu’un Défendeur ou plus,

Considérant qu’il est faux d’alléguer que l’article 46 de la loi No. 243/2000 prévoit de limiter le recours au député élu qui a obtenu le nombre de voix le plus proche de celui obtenu par le député battu et ce, puisque l’article 46 susmentionné est absolu et autorise tout candidat concurrent à intenter un recours, contrairement à l’article 38 de la loi No. 516/96, abrogée par la loi No. 243/2000, sachant que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel aurait reconnu, même à la lumière de l’article 38 susmentionné, la possibilité du recours quel que soit le Requérant et quelle que soit sa fonction,

Considérant que ces principes sont conformes aux principes d’égalité et de justice étant donné qu’il se peut que l’écart entre les voix obtenues par le candidat battu qui a présenté le recours d’une part et celles obtenues par les deux députés élus d’autre part soit extrêmement faible, ce qui entraîne la nécessite de se référer aux procès-verbaux officiels, conservés par le Ministère de l’intérieur et que le Requérant pourrait ignorer, par conséquent, il n’est pas logique de rejeter son recours en la forme pour un motif qui est hors de sa volonté ou pour un motif qu’il ignore, surtout s’il appert de l’examen des procès-verbaux officiels et de l’étude des chiffres y figurant que le vrai candidat battu qui a obtenu un nombre de voix inférieures à celles du Requérant n’est pas le concurrent direct visé par le recours mais le concurrent qui lui a précédé et qui a obtenu un plus grand nombre de voix,

Considérant qu’il est faux d’alléguer que le recours intenté contre deux députés élus épuise la juridiction du Conseil Constitutionnel en ce qui concerne son droit de remplacer un député élu par un candidat battu ou de procéder à des réélections puisque, que le recours soit basé sur le motif de l’écart des voix ou sur le motif d’irrégularités fondamentales commises dans le cadre du processus électoral, il appartient au Conseil Constitutionnel de libérer le député ayant obtenu un certain nombre de voix du recours et de lui permettre par conséquent de remporter les élections sans contestation aucune ou de les annuler dans le cas où il s’assure de l’existence d’infractions fondamentales. Dans ce cas, des élections pour un seul siège seront dûment organisées et ce, selon les circonstances et particularités de chaque affaire et en application des larges pouvoirs dont il jouit dans le cadre de son appréciation des faits, preuves et moyens de preuve,

Considérant qu’il n’y a pas d’intérêt à alléguer que le Conseil Constitutionnel pourrait établir que le vrai candidat évincé est un concurrent contre lequel le recours n’a pas été intenté étant donné que l’effet de l’adversité englobe uniquement, au sens de la loi, les parties en lice dans l’affaire et qui se disputent entre eux sur les faits et objets du litige, ce sont ces derniers uniquement qui sont affectés par le jugement, surtout que la juridiction du Conseil Constitutionnel, en tant que juge électoral, ne s’étend pas à l’annulation de l’ensemble du processus électoral,

Considérant que, sur base de ce qui précède, la demande de rejet du recours en la forme en ce qui concerne son irrecevabilité ou sa recevabilité est dénuée de tout fondement juridique valide ; il convient par conséquent de la rejeter,

Quatrièmement : Au fond

Concernant les listes électorales :

Considérant que la loi électorale No. 171 du 06/01/2000 a prévu, au troisième chapitre, les dispositions juridiques relatives aux listes électorales et aux moyens de recours y relatifs (article 11 et suivants).

Considérant que les textes figurant au chapitre trois ont prévu les méthodes de vérification et de rectification des listes électorales, ainsi que les moyens de recours y relatifs ; ces derniers représentant des actes administratifs soumis aux procédures et délais prévus par la loi.

Considérant qu’il ressort de la définition desdites procédures, que le Conseil Constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler leur application et que sa compétence est limitée aux activités électorales et ne s’étend pas aux procédures administratives préélectorales, dont la constitution, vérification et rectification des listes électorales, à l’exception des cas où lesdites procédures relatives aux listes électorales sont entachées de fraude, ce qui vicie le processus électoral, à condition toutefois que le Requérant, dans le cas où son recours est basé sur ladite fraude, mentionne les noms des personnes figurant sur les listes électorales de manière illégale ou dont les noms n’ont pas été rayés malgré les motifs juridiques imposant cette mesure.

Considérant que, dans le cadre de la présente affaire, il n’appert pas que le Requérant a invoqué des actes de fraude viciant les listes électorales et n’a pas mentionné les noms des personnes ayant commis ou ayant été victimes de ladite fraude, ce qui a corrompu le processus électoral.

Considérant que, à supposer qu’il y ait eu négligence ou fraude dans l’inscription ou la suppression illégale de noms, ceci s’applique au Requérant ainsi qu’au Défendeur de manière égale, par conséquent, il n’est pas possible de parler de corruption du processus électoral.

Considérant qu’il en est autrement dans le cas où un électeur n’est pas inscrit sur la liste des électeurs alors qu’une décision ordonnant son inscription avait été rendue par l’autorité compétente. Dans ce cas, l’article 48 de la loi électorale l’autorise à se présenter aux urnes, conformément à cette décision et dans le cas où sa demande est refusée ledit article impose l’enregistrement de cette irrégularité dans le procès-verbal du scrutin. Par conséquent, le Conseil Constitutionnel peut s’assurer si cette irrégularité est susceptible d’avoir une incidence significative sur le résultat définitif proclamé et prendre la décision appropriée à cet égard.

Considérant que, à supposer que la commission de décompte des voix ait rendu une décision ordonnant l’inscription de noms ne figurant pas aux listes électorales et que ladite inscription ait été refusée, aucune preuve n’atteste que les personnes objet de la décision d’inscription ont tenté d’exercer leur droit de vote, que les présidents des bureaux de vote les en ont empêchées et que ledit refus ait été inscrit dans les procès-verbaux officiels.

Concernant les autres irrégularités invoquées :

Considérant que les principes suivants sont admis par la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel :

1- Même si le Conseil Constitutionnel jouit de larges prérogatives en matière d’enquête dans le cadre des recours électoraux et même si les mesures qu’il adopte sont de nature interrogatives, ceci ne porte pas atteinte à la règle générale selon laquelle le Requérant est tenu de prouver ses allégations ou du moins, d’apporter un commencement de preuve sérieuse en vue de permettre au Conseil Constitutionnel de lancer l’enquête sur base des faits et motifs allégués dans le recours,

2- Il ne suffit pas d’alléguer l’existence de certaines infractions entachant le processus électoral pour que le Conseil Constitutionnel soit tenu de les examiner ; il faut que lesdites irrégularités soient dangereuses, répétitives et préméditées, elles doivent également avoir une incidence directe et significative sur la validité de l’élection du Défendeur et avoir entraîné son élection ou du moins, avoir largement contribué à sa victoire.

3- Il est impératif de prendre en considération l’écart entre les voix obtenues par le Requérant d’une part et le Défendeur d’autre part, en ce sens que si cet écart est important et que les irrégularités, à supposer qu’elles aient eu lieu, ne sont pas susceptibles de modifier le résultat définitif, le Conseil Constitutionnel ne les prend pas en considération étant donné qu’elles n’ont aucune incidence sur le résultat.

Considérant que, à la lumière de ces principes, il convient d’examiner les motifs du recours intenté par le Requérant.

Considérant qu’il appert de l’examen desdits motifs que le Requérant s’est limité à des généralités sans prouver les irrégularités alléguées pour soutenir sa demande d’annulation de l’élection des Défendeurs, qu’aucune demande d’enregistrement d’une irrégularité n’a été présentée auprès des bureaux de vote ou des commissions de dépouillement, ses allégations ont par conséquent dénuées de toute preuve et il n’appartient pas au Conseil Constitutionnel de lancer une enquête sur base de simples allégations faites par le Requérant ou de désigner une commission d’experts pour s’assurer de la véracité des faits allégués ou pour vérifier des procédures entachées d’irrégularités non précisées et dont l’incidence sur la validité du processus électoral n’a pas été déterminée.

Considérant que les allégations relatives aux propos préjudiciables ne représentent que de simples suppositions en ce qui concerne leur incidence sur la volonté des électeurs et vu l’absence de preuves attestant l’existence d’une relation causale entre les faits allégués à cet égard et le choix des électeurs qui s’est porté sur le concurrent du Requérant en raison des manoeuvres alléguées ; il convient par conséquent de rejeter le présent motif.

Par ces motifs,

Et après délibération,

Le Conseil Constitutionnel décide :

Premièrement : En la forme

De recevoir les recours en la forme étant donné qu’ils ont été intentés dans le délai légal et qu’ils remplissent toutes les conditions de forme.

Deuxièmement : De rejeter la fin de non-recevoir du recours en invalidation de la députation de deux députés élus pour son invalidité.

Troisièmement : Au Fond

1- De rejeter les recours présentés par Me Boutros Succar, candidat battu au siège maronite de Bécharré, première circonscription électorale du Nord, au cours des élections législatives de l’année 2000.

2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.

3- De publier la présente décision au Journal Officiel.

 

Décision rendue le 8 décembre 2000.