Décision No. 2/2002
Décision No. 2/2002
Date: 03/07/2002
Articles en question | Constitution Art. 16, 65 et 89 Preambule parag. (f) |
Recours No. : 2/2002
Requérants: Houssein El Housseini – Omar Karamé – Nayla Mouawad – Boutros Harb – Moustapha Saad Masri – Mohammed Kabbara – Georges Kassargi – Nazih Mansour – Mohammed Safadi – Nehmtallah Abi Nasr – Salah Honein – Farid El Khazen.
Loi objet du recours: la loi No. 393 du 01/06/2002 relative à l’autorisation à l’Etat d’octroyer deux licences pour la fourniture de services de téléphonie cellulaire et publiée au Journal Officiel No. 31 du 01/06/2002, étant donné qu’elle est contraire à la Charte de l’entente nationale et aux dispositions de la Constitution.
Le Conseil Constitutionnel,
Réuni en son siège en date du 03/07/2002, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.
Vu l’article 19 de la Constitution,
Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur,
Considérant qu’il appert que les Requérants susnommés ont présenté, en date du 14 juin 2002, un recours enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 2/2002, demandant de suspendre les effets et d’annuler la loi No. 393 du 01/06/2002 relative à l’autorisation à l’Etat d’octroyer deux licences pour la fourniture de services de téléphonie cellulaire et publiée au Journal Officiel No. 31 du 01/06/2002, étant donné qu’elle est contraire à la Charte de l’entente nationale et aux dispositions de la Constitution.
Considérant que les Requérants ont allégué ce qui suit :
La loi No. 218/93, promulguée en date du 13 mai 1993, autorise le Ministère des Postes et Télécommunications à lancer un appel d’offres international en vue d’exécuter le projet relatif au système GSM ou à un système équivalent présentant les mêmes capacités et facilités, en adoptant le principe d’autofinancement et ce, sur base d’un cahier des charges spécial élaboré à cette fin qui définit les conditions techniques, administratives, financières et d’exploitation et qui est approuvé par le Conseil des ministres.
La loi No. 228/2000 relative à la réglementation et à la définition des conditions et des champs d’application des opérations de privatisation a été promulguée en date du 31 mai 2000.
Avant même la réunion des conditions fondamentales de la privatisation prévues à la loi, dont notamment :
- Les organes de contrôle indépendants créés à cette fin.
- La concurrence pour garantir un meilleur service et des coûts moindres.
- La sauvegarde des finances publiques et la protection des droits des consommateurs.
- L’élargissement de la base de participation à la propriété et au capital en permettant aux libanais de participer à la propriété ou à la gestion du projet public en vue d’éviter tout monopole des actions.
La loi incriminée a été promulguée, sachant qu’elle est contraire aux dispositions de la Constitution:
a- Etant donné qu’elle est contraire au principe de la séparation des pouvoirs.
b- Etant donné qu’elle est contraire aux dispositions de l’article 89 de la Constitution.
c- Etant donné qu’elle est contraire aux principes généraux des contrats administratifs et aux travaux préparatoires précédant l’élaboration du contrat.
d- Etant donné qu’elle est contraire au principe de la souveraineté de l’Etat et dans l’Etat.
Sur base de ce qui précède,
Premièrement : En la forme :
Considérant que le recours a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme, il est par conséquent recevable en la forme.
Deuxièmement : Au fond :
1- Concernant la violation du principe de la séparation des pouvoirs :
Les Requérants ont allégué à cet égard que la loi incriminée a substitué le pouvoir exécutif au pouvoir législatif dans l’exercice de ses compétences en matière d’instauration de règles contraignantes ayant qualité législative ce qui est contraire à la Constitution et au principe général « pas de substitution sans texte », que ladite substitution concernait une question financière, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 16 de la Constitution sur le plan de la compétence et à l’article 89 de la Constitution sur le plan de l’accord d’une concession ou d’un engagement ayant pour objet d’exploiter une richesse naturelle du pays ou un service d’utilité publique et que le régime constitutionnel libanais est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, leur équilibre et leur coopération, ce qui garantit leur intégration dans le cadre de leurs compétences qui ne peuvent aucunement être cédées.
Considérant que l’article 1 de la loi incriminée prévoit ce qui suit :
« Article 1 : - L’Etat est autorisé, en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres, à octroyer deux licences à travers le lancement d’enchères publiques internationales annoncées dans les médias locaux, arabes et internationaux, pour une durée maximale de 20 ans pour la fourniture de services de téléphonie cellulaire locale avec ses différentes technologies avancées au cours de cette période et qui comprennent uniquement les systèmes GSM et GPRS. »
« - L’Etat est également autorisé, en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres, à procéder à une adjudication publique internationale annoncée dans les mêmes médias pour la gestion des deux réseaux cellulaires opérant actuellement pour une durée maximale de 10 ans. »
« - Les enchères et l’adjudication publiques seront lancées simultanément conformément à la loi No. 228 du 31/05/2000 (réglementation et définition des conditions et des champs d’application des opérations de privatisation). »
Considérant qu’il est clair que la loi incriminée, en permettant la réalisation des enchères et de l’adjudication publiques conformément à la loi No. 228/2000 susmentionnée, a contraint le pouvoir exécutif à se conformer aux dispositions de cette loi qui définit, à son article 8, les règles fondamentales du transfert du projet privatisé qui sont relatives au fait d’assurer la concurrence et de protéger les finances publiques à travers l’évaluation des actifs et avoirs du projet public conformément aux principes financiers et économiques internationaux, au fait de protéger l’intérêt public et les intérêts du consommateur au niveau des prix, de la qualité des services fournis ainsi qu’au fait d’assurer le contrôle à travers les organes spécialisés créés en vertu de législations sectorielles.
Considérant que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision No. 4/2000 datée du 22/06/2000 a considéré constitutionnelle la loi No. 228/2000 mentionnée ci-dessus.
Considérant que l’article 2 de la loi incriminée prévoit que les enchères et l’adjudication publiques objet de l’article 1 de la loi soient effectuées conformément à un cahier des charges spécial élaboré par une société internationale spécialisée et approuvé par le Conseil des ministres sur proposition du ministre compétent et considérant que ledit article a déterminé les différents points à inclure dans le cahier des charges et ceux ne devant pas l’être et qui sont, conformément à la clause 7 de l’article 2 susmentionné, les points contraires aux principes, dispositions et conditions financières prévus à la loi susvisée.
Considérant que l’article 89 de la Constitution prévoit que : « Aucune concession, ayant pour objet l’exploitation d’une richesse naturelle du pays ou un service d’utilité publique, ni aucun monopole ne peuvent être accordés qu’en vertu d’une loi et pour un temps limité ». Considérant que l’article 65 de la Constitution prévoit que le Conseil des ministres auquel est confié le pouvoir exécutif exerce, entre autres, la prérogative de prendre les décisions nécessaires à la mise en application des lois.
Considérant qu’il appert de ce qui précède que la détermination des règles et principes fondamentaux relatifs à l’accord d’une concession ayant pour objet l’exploitation d’une richesse naturelle du pays ou d’un service d’utilité publique donné relève de la compétence du pouvoir législatif, que la détermination des procédures appropriées pour l’application de ces principes et règles de mise en oeuvre relève de la compétence du pouvoir exécutif et que les autres procédures n’entrent pas dans le cadre des éléments déterminants constitutifs de la volonté du législateur.
Considérant que la loi incriminée qui prévoit d’accorder la concession ou le service d’utilité publique pour une durée limitée, qui a définit les règles fondamentales à cet égard et qui a confié, à l’Etat, la mission de prendre les mesures de mise en oeuvre nécessaires en application de son contenu en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres, a dans ce cas délégué la compétence du pouvoir législatif au pouvoir exécutif et a par conséquent porté préjudice au principe de la séparation des pouvoirs.
2- Concernant la violation de l’article 89 de la Constitution :
Les Requérants ont allégué à cet égard que la loi incriminée est non seulement contraire à la volonté du législateur constitutionnel étant donné qu’elle a délégué la compétence d’accorder toute concession ayant pour objet d’exploiter une richesse naturelle du pays au pouvoir législatif, conformément à l’article 89 de la Constitution et ce, en restituant cette compétence au pouvoir exécutif, mais qu’elle est également contraire à la règle imposant la promulgation d’une loi spéciale pour chaque concession et a délégué au pouvoir exécutif la compétence d’approuver le cahier des charges qui représente l’essence du contrat.
Considérant que l’article 89 de la Constitution prévoit que toute concession ne peut être accordée qu’en vertu d’une loi et que pour un temps limité mais n’impose cependant pas la promulgation d’une loi spéciale pour chaque autorisation concernant le même service public objet de la concession que la loi a approuvée conformément à l’article 89 de la Constitution susmentionné,
Considérant que la loi incriminée est relative à un seul service public, à savoir le projet de fourniture de services de téléphonie cellulaire.
Considérant que l’élaboration du cahier des charges conformément aux règles fondamentales prévues par la loi sur l’accord de la concession et l’approbation dudit cahier des charges par le Conseil des ministres sont des procédures préparatoires des enchères et de l’adjudication en vue d’accorder la concession et ne s’inscrivent par conséquent pas dans le cadre des règles et principes législatifs fondamentaux relatifs à cet accord.
Considérant que le dépouillement des offres des enchères et de l’adjudication, l’octroi des projets, la signature des contrats nécessaires et les opérations de transfert et de réception prévus à l’article 3 de la loi incriminée sont des formalités et des décisions exécutives en application de la loi susmentionnée.
Considérant que la loi incriminée, dans un souci de préserver les finances publiques, prévoit que dans le cas où les enchères échoueraient pour quelque motif que ce soit, les revenus des deux sociétés cellulaire reviendront à l’Etat à compter du 31/08/2002,
Considérant que la loi incriminée approuve l’accord de la concession pour une durée limitée, détermine les règles fondamentales à cet effet, confie à l’Etat la mission de prendre les mesures d’application de la loi en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres et prévoit que le cahier des charges spécial approuvé par le Conseil des ministres et les décrets réglementaires pris par ce dernier ne peuvent comprendre des clauses contraires aux principes, dispositions et conditions financières prévues à la loi incriminée, tel qu’il appert de ce qui précède ; le législateur n’a dans ce cas pas porté préjudice à l’article 89 de la Constitution et a respecté les dispositions de l’article 65 de la Constitution également.
3- Concernant la violation des principes généraux des contrats administratifs et des travaux préparatoires précédant l’élaboration du contrat :
Les Requérants ont allégué à cet égard que les travaux préparatoires qui démontrent l’intérêt de l’Etat à s’orienter vers sa substitution par une personne ou une société dans l’exploitation d’une richesse naturelle du pays et dans la fourniture d’un service public aux citoyens, sont essentiels avant l’élaboration du projet de contrat, étant donné que si le pouvoir exécutif ne soumet pas, au pouvoir législatif, le projet de loi ayant pour objectif d’accorder une concession ainsi que le cahier des charges y relatif, ceci signifie qu’il est demandé au pouvoir législatif d’approuver une question d’une grande importance bien qu’elle lui soit inconnue et que toutes les concessions relatives aux services publics depuis 1949 et jusqu’à la promulgation de cette loi étaient accordées en vertu de lois accompagnées des cahiers des charges y relatifs.
Considérant que ni la Constitution ni les principes généraux ayant valeur constitutionnelle n’interdisent au pouvoir de recourir à l’enchère ou à l’adjudication dans les contrats de concession ou n’imposent que le titulaire de la concession soit d’origine libanaise.
Considérant que la loi incriminée a établi les règles fondamentales régissant le processus d’octroi de la concession par le biais d’enchères publiques ainsi que le processus d’octroi de la concession par le biais d’une adjudication publique, qu’elle a définit les clauses à inclure dans le cahier des charges ainsi que celles ne devant pas y figurer et qu’elle a conféré à l’Etat la mission de prendre les mesures nécessaires en application de son contenu.
Considérant que le défaut de soumission du cahier des charges au pouvoir législatif ne constitue pas, dans ce cas, une violation de la Constitution ou des principes généraux ayant valeur constitutionnelle.
Considérant que la violation des principes généraux des contrats administratifs et des travaux préparatoires précédant l’élaboration du contrat n’est pas établie, il n’est par conséquent pas nécessaire de contrôler la constitutionnalité de ces règles.
4- Concernant la violation du principe de la souveraineté de l’Etat et dans l’Etat :
Les Requérants ont invoqué à cet égard les alinéas A et D du préambule de la Constitution ainsi que l’article 1 de la Constitution, qu’ils ont défini leur conception de la souveraineté de l’Etat et de la souveraineté dans l’Etat et qu’ils ont allégué que la loi incriminée faisait mention des « enchères publiques internationales » et d’une « adjudication publique internationale » sans pour autant définir de manière claire et précise les limites de la participation des parties étrangères à la propriété du service public objet de la loi, sachant qu’il s’agit là d’une capacité économique financière qui se transforme rapidement en force politique. Ils ont par ailleurs invoqué à cet égard la loi No. 218/93 ainsi que les conséquences de son application et ont affirmé que la loi incriminée menace la souveraineté de l’Etat et la souveraineté dans l’Etat et est contraire aux dispositions de la Charte de l’entente nationale ainsi qu’à la Constitution.
Considérant que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision No. 1/2002, datée du 31/01/2002 a estimé que, étant donné que la Charte de l’entente nationale comprend des textes figurant au préambule ou dans le corps de la Constitution ou des principes généraux ayant valeur constitutionnelle, la violation desdits textes et principes est soumise au contrôle du Conseil Constitutionnel,
Considérant que l’alinéa F du préambule de la Constitution prévoit que le régime économique est libéral et qu’il garantit l’initiative personnelle.
Considérant que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision No. 4/2000 mentionnée ci-dessus, a estimé qu’il appartient à l’Etat de déterminer les limites de sa propre compétence, son rôle dans les affaires économiques et sociales ainsi que celui du secteur privé et le degré et les limites de son intervention dans ces deux domaines. L’Etat peut également soustraire certains projets de nature économique au secteur public et les confier au secteur privé ou fait participer le secteur privé à la propriété et à la gestion desdits projets, sans toutefois porter atteinte aux dispositions et au préambule de la Constitution ou aux principes ayant valeur constitutionnelle.
Considérant que la Constitution n’a posé aucune restriction ou condition au capital du projet de gestion du service public objet de la concession.
Considérant que le service public objet de la loi incriminée n’est pas un service public constitutionnel ou national qui ne peut faire l’objet d’une concession accordée au secteur privé, alors que les services publics économiques sont ceux qui peuvent être privatisés ou faire l’objet d’une concession accordée au secteur privé en vertu d’une loi,
Considérant que la loi incriminée ne porte pas préjudice au principe de la souveraineté de l’Etat et dans l’Etat.
Par ces motifs,
Le Conseil Constitutionnel décide :
Premièrement : De recevoir le recours en la forme.
Deuxièmement : De rejeter le recours au fond et de considérer la loi incriminée conforme aux dispositions de la Constitution ou aux principes généraux ayant valeur constitutionnelle.
Troisièmement : De notifier les autorités compétentes de la présente décision et de la publier au Journal Officiel.
Décision rendue le 3 juillet 2002.