Décision No. 5/2001



Décision No. 5/2001

Date: 29/09/2001

Articles en question

Constitution Art. 65

 

Recours No. : 4/2001

Requérants: Houssein El Housseini – Omar Karamé – Nayla Mouawad – Mohsen Dalloul – Nicolas Fattouche – Moustapha Saad Masri – Georges Kassargi – Mansour El-Bone – Fayçal Daoud – Fares Souaid.

Loi objet du recours: la loi No. 363 du 16 août 2001 (dispositions spéciales relatives à la nomination dans les emplois des catégories A et B dans les personnels de l’administration publique), publiée au Journal Officiel No. 41 du 18/08/2001, vu son inconstitutionnalité.

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège en date du 29/09/2001, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.

Vu l’article 19 de la Constitution,

Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport du membre rapporteur,

Considérant qu’il appert que les Requérants susnommés ont présenté, le 1er septembre 2001, à la présidence du Conseil Constitutionnel, un recours enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 4/2001, demandant de recevoir le recours en la forme vu qu’il remplit toutes les conditions de forme et au fond, de suspendre les effets de la loi incriminée puis de l’annuler vu son inconstitutionnalité et étant donné qu’elle est contraire aux dispositions de la Charte de l’entente nationale, aux alinéas B et C du préambule de la Constitution ainsi qu’aux articles 7, 12, 17, 54, 65 et 66 de la Constitution.

Considérant que le Conseil Constitutionnel a rendu la décision No. 3/2001 en date du 5 septembre 2001 ordonnant de suspendre les effets de la loi incriminée et que ladite décision a été dûment notifiée aux autorités compétentes et publiée au Journal Officiel No. 41 du 18/08/2001,

Considérant que les Requérants ont invoqué les motifs suivants relatifs au fond en vue d’appuyer leur demande d’annulation de la loi objet du présent recours :

- La loi incriminée a porté préjudice au principe d’égalité en autorisant le gouvernement, à son article 1, à « nommer dans les postes vacants des emplois du niveau de la catégorie A dans les personnels des administrations publiques, des personnes n’ayant pas le statut de fonctionnaire, titulaires de diplômes ou de licences universitaires et dont l’âge varie entre 30 et 52 ans à la date de présentation des tests relatifs au poste pour lequel le candidat a postulé, à condition toutefois que le nombre de personnes n’ayant pas le statut de fonctionnaire ne soit pas supérieur aux deux tiers des emplois du niveau de la catégorie A, sachant que la priorité est donnée aux titulaires de diplômes de spécialisation dans les domaines les plus proches du poste pour lequel le candidat a postulé », ce qui est contraire aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 12 du règlement des fonctionnaires.

- La loi incriminée a porté préjudice au principe d’égalité en autorisant le gouvernement, contrairement à tout autre texte général ou spécial, à « nommer dans les postes vacants des emplois du niveau de la catégorie B dans les personnels des administrations publiques, des fonctionnaires ou des personnes n’ayant pas le statut de fonctionnaire, titulaires de diplômes ou de licences universitaires et dont l’âge varie entre 25 et 52 ans à la date de présentation des tests relatifs au poste pour lequel le candidat a postulé, à condition toutefois que le nombre de personnels n’ayant pas le statut de fonctionnaire ne soit pas supérieur à pas la moitié des emplois du niveau des catégories B et C postes de la deuxième catégorie, sachant que la priorité est donnée aux titulaires de diplômes de spécialisation dans les domaines les plus proches du poste pour lequel le candidat a postulé ».

- La loi incriminée porte préjudice aux droits des fonctionnaires des administrations publiques qui occupent des emplois du niveau des catégories A et B, étant donné qu’elle les prive de leur droit d’avancement alors qu’ils sont enrôlés dans le corps de fonctionnaire de la fonction publique conformément aux conditions prévues à cet effet, qu’ils ont passé de longues années au service de l’administration publique, qu’ils ont subi le test d’admission, que la plupart d’entre eux sont titulaires d’un diplôme délivré par l’Ecole Nationale d’Administration et de Développement et qu’ils ont par la suite suivi des sessions de formation et présenté les examens y relatifs dans l’espoir d’être promus à une catégorie supérieure qui leur permettra d’obtenir une augmentation de salaire, une amélioration de leur niveau de vie et par conséquent, une meilleure pension de retraite, dans le cadre de la relation réglementaire qui les lie à l’administration qui respecte et applique le principe d’égalité entre eux et leurs collègues ayant le même statut fonctionnel.

- Les articles 1 et 2 de la loi incriminée autorisent le gouvernement à recruter des personnels n’ayant pas le statut de fonctionnaire ni l’ancienneté et l’expérience des employés des emplois du niveau des catégories B et C ni les qualités acquises en raison des études effectuées au sein de l’Ecole Nationale d’Administration et de Développement qui est considérée comme s’inscrivant dans le cadre des plus grandes réalisations dans le domaine de l’administration publique depuis sa création.

- L’article 3 de la loi incriminée autorise les emplois permanents dans les catégories A et B par l’affiliation au régime de retraite.

- La loi objet du recours a transformé la mesure exceptionnelle en mesure permanente et en un mécanisme réglementaire qui régit la fonction publique de manière permanente, ce qui est contraire aux motifs justifiant le projet de loi.

- Les garanties accordées aux fonctionnaires en vertu du décret-loi No. 112/59 sont des garanties constitutionnelles prévues au dernier paragraphe de l’article 12 de la Constitution qui stipule « Un Statut spécial régira les fonctionnaires de l’Etat suivant les administrations auxquelles ils appartiennent », ce qui interdit à tout pouvoir, législatif ou exécutif, de porter atteinte à ces droits.

- La loi incriminée est susceptible de porter atteinte à l’administration publique ainsi qu’aux droits des fonctionnaires permanents qui y occupent un emploi.

- Suite à l’amendement de l’article 17 de la Constitution, le pouvoir exécutif est confié au Conseil des ministres qui l’exerce conformément aux dispositions de la Constitution. Par ailleurs l’amendement susmentionné avait pour seul objectif de faire participer toutes les catégories du peuple libanais au gouvernement de la nation.

- Il appert des articles 54, 65 et 66 de la Constitution ce qui suit :

1- Le fait que les actes du Président de la République doivent être contresignés par le ministre compétent n’est pas une procédure formelle mais représente plutôt une procédure essentielle déterminant la légitimité ou l’illégitimité desdits actes.

2- Le Conseil des ministres n’a qualité de Conseil des ministres que lorsqu’il se réunit en son siège propre et lorsqu’il prend ses décisions à la majorité des membres présents, conformément aux dispositions de l’article 65 de la Constitution. Lors de la clôture de sa session, le Conseil des ministres a qualité de gouvernement. Au sein du Conseil des ministres s’effectue la participation à la prise de décision alors qu’au sein du gouvernement a lieu l’exécution qui engage la responsabilité de la personne qui en est chargée.

3- Les ministres ont la direction des services de l’Etat qui relèvent de leurs départements respectifs. Ils assurent, chacun en ce qui le concerne, l’application des lois et des règlements.

- L’article 3 de la loi incriminée prévoit la formation d’un comité chargé de choisir les personnes qui seront nommées aux emplois du niveau des catégories A et B. Ledit comité sera formé de :

Le Président du Conseil de la Fonction Publique Président

Le Président du Conseil Supérieur de la Discipline

Le Président de la Direction des Recherches et de l’Orientation

Trois personnes compétentes ayant de l’expérience Membres

qui seront désignées en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres

sur proposition du Premier Ministre

L’article 3 de la loi incriminée prévoit également de conférer, au Conseil de la Fonction Publique les prérogatives de définir le mécanisme de fonctionnement dudit comité qui soumet au Conseil des ministres une liste comprenant les noms des trois premiers candidats à chaque emploi. Le Conseil des ministres sera chargé d’en choisir un seul, à condition toutefois que la nomination soit effectuée conformément à ce qui suit :

- En ce qui concerne les personnels n’ayant pas le statut de fonctionnaire : en vertu d’un contrat concernant l’emploi offert et ce, pour une durée de maximale de 3 ans, à condition toutefois que ledit contrat soit revêtu de la formule exécutoire en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres.

A l’expiration de la durée susmentionnée, le contrat sera reconduit de la même manière et pour une durée similaire ou alors, le fonctionnaire sera titularisé dans le personnel permanent dans l’emploi convenu dans le contrat en vertu d’un décret pris en Conseil des ministres sur proposition du ministre compétent, après avoir obtenu l’approbation du Conseil de la Fonction Publique. Dans ce cas, le fonctionnaire percevra le salaire de premier grade de l’échelle des salaires relative à l’emploi dans lequel il a été nommé, sous peine de considérer son contrat automatiquement nul et non avenu, sans besoin d’élaborer tout texte à cet égard.

- En ce qui concerne les fonctionnaires : Ils percevront le salaire de premier grade de l’échelle des salaires relative à l’emploi qu’ils remplissent, à condition toutefois que chacun d’entre eux réserve son droit d’ancienneté lui permettant d’être promu dans le cas où il est classé dans le grade qui correspond à son salaire ou dans le grade le plus proche de son salaire à condition toutefois de réduire ou d’avancer son grade selon que son salaire ait été augmenté ou réduit.

- La nomination des fonctionnaires de la première catégorie s’inscrit dans le cadre des prérogatives du Conseil des ministres qui détermine la politique générale du conseil de l’Etat. L’alinéa 5 de l’article 65 de la Constitution prévoit « l’approbation des deux tiers des membres du Gouvernement tel que le nombre en a été fixé dans le décret de formation », qui a considéré que la nomination des fonctionnaires de la première catégorie est une question fondamentale qui requiert une telle majorité. Par conséquent, cette prérogative constitutionnelle dont jouit le Conseil des ministres ne peut être limitée que par le fait de lui donner des conseils et de lui fournir toutes les données et informations nécessaires lui permettant de prendre la décision appropriée. Ainsi, conférer une telle prérogative au comité susmentionné ou à tout autre organe est contraire aux dispositions de la Constitution.

- La cession, par le pouvoir législatif de ses prérogatives de « définir le mécanisme de fonctionnement dudit comité » et le fait de les conférer au Conseil de la Fonction Publique constitue une violation expresse de la Constitution, étant donné que, s’il était possible de conférer au pouvoir exécutif la prérogative d’émettre des décrets réglementaires sur un sujet prévu à la loi et pour une durée déterminée, conformément aux dispositions de l’alinéa 1 de l’article 65 de la constitution, le pouvoir législatif ne peut déléguer cette prérogative à toute administration de l’Etat. Ainsi, même si cette prérogative était conférée au pouvoir exécutif, ce dernier ne pourra la déléguer à aucune administration de l’Etat.

- Le texte qui prévoit que le comité susmentionné soumet les noms des trois premiers candidats au Conseil des ministres afin que ce dernier choisisse l’un d’entre eux pour une fonction bien déterminée dans une administration donnée, sans besoin de passer par le ministre compétent, est contraire aux dispositions des articles 54 et 66 de la Constitution, transforme la prérogative constitutionnelle du ministre en prérogative formelle et rend également formelle la participation du ministre à la prise de décision.

- Le comité susmentionné et tel que prévu à la loi incriminée, ne représente pas la garantie « visant à doter l’administration publique et les institutions publiques de compétences scientifiques et d’expertise technique », conformément aux motifs justifiant le projet de loi, mais sape les garanties et règles prévues au statut du Conseil de la Fonction Publique, au statut des fonctionnaires ainsi qu’au statut de l’Ecole Nationale d’Administration et de Développement et permettrait de revenir à la situation qui prévalait avant 1959, qui se distinguait par l’absence de contrôle de l’administration ainsi que par son manque d’expérience et de responsabilité.

Sur base de ce qui précède,

Premièrement : En la forme :

Considérant que le recours a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme, il est par conséquent recevable en la forme.

Deuxièmement : Au fond :

Considérant que l’article 65 de la Constitution a confié le pouvoir exécutif au Conseil des ministres et a évoqué certaines des prérogatives qu’il exerce, dont l’établissement de la politique générale de l’Etat dans tous les domaines, l’élaboration des projets de loi et les décrets réglementaires et la prise des décisions nécessaires pour leur mise en application. Le Conseil des ministres veille à l’exécution des lois et règlements et supervise les activités de tous les organismes de l’Etat sans exception. L’alinéa 5 de l’article 65 prévoit également que « les décisions y sont prises par consensus, ou si cela s’avère impossible, par vote, et les décisions sont alors prises à la majorité des présents. Quant aux questions fondamentales elles requièrent l’approbation des deux tiers des membres du Gouvernement tel que le nombre en a été fixé dans le décret de formation. Les questions suivantes sont considérées comme fondamentales :

La révision de la Constitution, la proclamation de l’état d’urgence et sa levée, la guerre et la paix, la mobilisation générale, les accords et traités internationaux, le budget général de l’Etat, les programmes de développement globaux et à long terme, la nomination des fonctionnaires de la première catégorie et équivalent, la révision des circonscriptions administratives, la dissolution de la Chambre des députés, la loi électorale, la loi sur la nationalité, les lois concernant le statut personnel et la révocation des ministres. » Ce qui signifie que le législateur constitutionnel a considéré fondamentale la question de la nomination des fonctionnaires de la première catégorie ou équivalent, à l’instar des autres questions mentionnées à l’alinéa 5 de la Constitution.

Considérant qu’il ne convient pas de limiter le pouvoir du Conseil des ministres, notamment en ce qui concerne les questions considérées fondamentales par la Constitution, par des lois élaborées par le législateur, même si celles-ci réglementent la fonction publique, dans le cas où ces lois seraient susceptibles de réduire ce pouvoir ou d’imposer des conditions limitant son exercice.

Considérant qu’il appert que l’article 3 de la loi incriminée stipule ce qui suit :

1- Le comité dont les membres sont énumérés à l’article 3 de la loi incriminée choisit les personnes visées aux articles 1 et 2 (à savoir les fonctionnaires de la première et deuxième catégorie) après que les candidats eussent subi un test.

2- Les candidatures sont soumises au Conseil de la Fonction Publique et le mécanisme de fonctionnement du comité est défini en vertu d’une décision prise à la majorité par le Conseil de la Fonction Publique.

3- Le comité soumet, au Conseil des ministres, une liste comprenant les noms des trois premiers candidats à chaque fonction. Le Conseil des ministres sera chargé d’en choisir un seul, à condition toutefois que la nomination soit effectuée conformément aux procédures prévues à l’article 3 susmentionné.

Considérant que la prise de décision par la majorité simple des membres du comité signifie en premier lieu qu’il jouit d’un pouvoir décisionnaire et en deuxième lieu, qu’il exerce ce pouvoir par la majorité simple de ses membres en ce qui concerne l’une des phases de la nomination des fonctionnaires de l’Etat, y compris les fonctionnaires de la première catégorie ou équivalent ; alors que les décisions du Conseil des ministres en ce qui concerne la même opération, sont prises par consensus, ou si cela s’avère impossible, par vote et les décisions sont alors prises à la majorité des deux tiers des membres du Gouvernement tel que le nombre en a été fixé dans le décret de formation.

Considérant que ceci est susceptible de porter atteinte au procédures ainsi qu’aux conditions de vote tels que prévus à l’alinéa 5 de l’article 65 de la Constitution.

Considérant que, outre ce qui précède, les décisions prises par le comité qui jouit d’un pouvoir décisionnaire, tel que qualifié ci-dessus, limitent le pouvoir du Conseil des ministres en ce qui concerne la nomination des fonctionnaires et notamment les fonctionnaires de la première catégorie ou équivalent, étant donné que le choix du Conseil des ministres sera nécessairement limité aux seules personnes désignées par le comité.

Considérant que, comme nous l’avons démontré ci-dessus, l’article 3 de la loi incriminée porte atteinte aux prérogatives constitutionnelles du Conseil des ministres ainsi qu’aux procédures de vote lors de son exercice desdites prérogatives. Il convient par conséquent d’annuler l’article 3 de la loi objet du recours.

Considérant que le législateur a le droit absolu de réglementer la fonction publique, comme il l’a fait dans la loi incriminée en ce qui concerne le profil des personnels nommés n’ayant pas le statut de fonctionnaire ou leur nombre par rapport au nombre total d’emplois du niveau de la même catégorie, cependant, l’article 3 étant relié aux autres articles de la loi incriminée, son annulation ainsi que ses effets s’étendent à ces autres articles, étant donné que le processus de nomination prévu à l’article 3 susmentionné a trait aux statuts juridiques prévus dans les différents articles de la loi incriminée.

Considérant que le Conseil Constitutionnel n’estime pas nécessaire de s’arrêter à tous les motifs invoqués par les Requérants.

Par ces motifs,

Et après délibération,

Le Conseil Constitutionnel décide :

Premièrement : En la forme

De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.

Deuxièmement : Au Fond

D’annuler la loi No. 363 datée du 16/08/2001 vu son inconstitutionnalité.

Troisièmement :

De notifier les autorités compétentes de la présente décision et de la publier au Journal Officiel.

Décision rendue le 29 septembre 2001.