Décision No. 4/2002



Décision No. 4/2002

Date: 15/07/2002

 

Le Conseil Constitutionnel,

Réuni en son siège en date du 12/07/2002, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Sami Younes, Afif Mokaddem et Emile Bejjani et en l’absence du récusant, M. Salim Jreyssati.

Et après lecture des documents suivants :

1- L’assignation enregistrée au greffe du Conseil Constitutionnel en date du 10/07/2002 et présentée par le député élu dont la députation est contestée, M. Gabriel Murr, par l’intermédiaire de son représentant, Me Salim Azar à l’encontre du membre du Conseil Constitutionnel, M. Salim Jreyssati et de Mme Mirna Murr.

2- La lettre du membre du Conseil Constitutionnel, M. Salim Jreyssati datée du 11/07/2002,

3- L’assignation en référé présentée par le député élu dont la députation est contestée, M. Gabriel Murr et enregistrée au greffe du Conseil Constitutionnel en date du 13 juillet 2002 ainsi que les documents produits en annexe à ladite assignation.

4- Les documents présentés par le membre du Conseil Constitutionnel, M. Salim Jreyssati en date du 15/07/2002.

Après délibération,

Considérant que M. Gabriel Murr, a demandé à M. Salim Jreyssati, membre du Conseil Constitutionnel, de se récuser de l’examen du recours en invalidation de sa députation présenté par Mme Mirna Murr et d’assister à toute réunion s’y rapportant, conformément aux dispositions de l’article 121 du Code de Procédure Civile et que dans le cas où M. Salim Jreyssati refuserait de se récuser, M. Gabriel Murr a demandé au Conseil Constitutionnel de le récuser, conformément aux dispositions des alinéas 4 et 7 de l’article 120 du Code de Procédure Civile.

Considérant que le membre du Conseil Constitutionnel, M. Salim Jreyssati a présenté, après sa notification de l’assignation, une lettre produite en annexe au libellé, en vertu de laquelle il a déclaré que bien que l’assignation soit vaine et n’ait aucun impact sur le procédures relatives au recours, il se récuse de la participation à l’examen du recours en invalidation de la députation de M. Gabriel Murr.

Considérant que M. Gabriel Murr, suite à la récusation présentée par le membre du Conseil Constitutionnel, M. Salim Jreyssati, a présenté une annexe à son assignation en référé accompagnée de trois copies de documents émis par le secrétariat du registre du commerce de Beyrouth et du Mont Liban, réitérant ses demandes exprimées dans sa précédente assignation.

Considérant que M. Salim Jreyssati, après avoir été notifié de l’annexe et des pièces jointes, a présenté des documents en réponse à ceux produits par M. Gabriel Murr.

Considérant que M. Gabriel Murr, tel qu’il appert de son assignation en référé, a basé la demande de récusation de M. Jreyssati sur le fait que ce dernier ne s’est pas récusé de l’examen du recours intenté par Mme Mirna Murr.

Considérant que après que M. Jreyssati se soit récusé, l’examen est désormais limité à la demande de récusation, sans omettre les causes de récusation.

Considérant que cette requête soulève une question essentielle relative à la légalité de la récusation ou du renvoi du membre du Conseil Constitutionnel, ce qui impose le règlement de cette question avant d’étudier la récusation de M. Jreyssati ainsi que les causes de ladite récusation.

Considérant que la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 relative à la création du Conseil Constitutionnel et la loi No. 234/2000 (qui a annulé et remplacé la loi No. 516/96) relative au règlement intérieur du Conseil Constitutionnel ne comprennent aucune disposition permettant à un membre du Conseil Constitutionnel de se récuser d’une affaire soumise au Conseil ou permettant à la partie adverse concernée de demander sa récusation.

Considérant qu’il convient de savoir si les deux lois susmentionnées et relatives à la création et au règlement intérieur du Conseil Constitutionnel comprennent une disposition implicite ne permettant pas la récusation d’un membre du Conseil Constitutionnel ou interdisant à ce dernier de se récuser de l’examen d’une affaire soumise au Conseil ou s’il s’agit d’un simple manque dans les règles de procédures auquel il convient de pallier par le biais des règles y relatives prévues au Code de Procédure Civile, conformément à l’article 6 de la loi susmentionnée.

Considérant que le Code de Procédure Civile est une loi générale dont les dispositions ne sont pas applicables dans le cadre d’une loi spéciale sauf dans la mesure où celles-ci sont conformes aux dispositions de ladite loi.

Considérant qu’il appert des dispositions relatives au renvoi et à la récusation prévues au chapitre 8 du Titre II du Code de Procédure Civile que l’autorité compétente pour examiner la demande de renvoi ou de récusation est une autre cour ou une autre chambre que celle à laquelle appartient le magistrat à récuser ou le magistrat récusant.

En effet, les demandes de renvoi ou de récusation relatives aux magistrats des tribunaux de première instance sont examinées par la Cour d’appel dont relèvent ces tribunaux (alinéa 1 de l’article 123 du Code de Procédure Civile) alors que les demandes de renvoi ou de récusation relatives aux magistrats de la Cour d’appel sont examinées par une de ses chambres désignée par le premier président de la cour d’appel (alinéa 2 de l’article 123 du Code de Procédure Civile).

Quant aux demandes de renvoi ou de récusation relatives aux magistrats de la Cour de cassation sont examinées par une de ses chambres désignée par le premier président de la Cour de cassation (alinéa 3 de l’article 123 du Code de Procédure Civile).

Considérant que le Code de Procédure Civile qui prévoit la possibilité de renvoi ou de récusation des magistrats des tribunaux de première instance, de la Cour d’appel et de la Cour de cassation, ne mentionne ni les magistrats de l’assemblée plénière de la Cour de cassation ni les magistrats du conseil judiciaire et ne désigne pas une autorité compétente pour examiner les demandes de renvoi ou de récusation les concernant. L’assemblée plénière de la Cour de cassation considère que ceci implique qu’aucun des magistrats la composant ne peut être renvoyé ou se récuser, tel qu’il appert de sa décision No. 17 du 30/03/1998 :

L’assemblée plénière de la Cour de Cassation « forme, avec la totalité de ses membres, une entité indissociable pour laquelle la loi n’a prévu aucune assemblée pouvant la remplacer par conséquent, le président ou les membres de ladite assemblée ne peuvent se récuser ou être récusés sur simple demande de l’un d’eux ou en vertu d’une action ou d’un pourvoi. »

Elle a également jugé, dans sa décision No. 123 rendue en date du 18/11/1995 que « le président de l’assemblée plénière, les magistrats la composant ou certains d’entre eux ne peuvent être récusés en vertu d’une action en responsabilité de l’état (plainte portée contre les magistrats) intentée par une personne concernée en raison d’un jugement rendu, remettant ainsi en cause la sincérité desdits magistrats qui se trouvent au sommet de la hiérarchie judiciaire et la sincérité de la justice sur laquelle ils règnent… »

Dans cette même décision susmentionnée, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a également ajouté que « cette tendance s’aligne sur la position prise par une précédente formation comprenant, sous la présidence du premier président Atef Nakib, les présidents suivants : Salim Azar, Roger Chidiac, Khalil Zein, Georges Kassouf et Dib Darwiche, qui a considéré, dans le cadre d’une demande de renvoi du premier président Nakib et des présidents Azar et Kassouf, qu’il convient en premier lieu d’étudier une question formelle qui consiste à savoir s’il est possible de récuser des membres de l’assemblée plénière de la Cour de cassation… »

La formation susmentionnée a alors décidé que les membres de l’assemblée générale de la Cour de cassation ne peuvent faire l’objet d’une demande de récusation et ce, en raison des motifs suivants :

1- L’absence d’assemblée judiciaire du même type et du même degré pouvant examiner ladite demande.

2- L’inviolabilité de la justice exige que la plus haute assemblée judiciaire ne puisse être remise en cause.

Aller à l’encontre de cette opinion favoriserait le disfonctionnement de la justice et permettrait ainsi à toute personne concernée de demander le récusation de la majorité, voire même de tous les membres de l’assemblée plénière, ce qui suspendrait les activités de l’assemblée dans le cadre de l’action sans qu’il n’y ait aucune autre assemblée judiciaire similaire compétente pour examiner la demande de récusation. »

Considérant que la position prise par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans sa dernière décision n’est qu’une simple application des dispositions de l’article 738 du Code de Procédure Civile qui prévoit que « toutes les décisions rendues par l’assemblée plénière, quel que soit leur sujet, ne peuvent faire l’objet d’une voie de recours, y compris l’action intentée contre l’Etat en ce qui concerne la responsabilité découlant des activités des magistrats » (plainte portée contre les magistrats ou prise à partie) et ce, étant donné que le législateur considère que le magistrat qui est parvenu à l’assemblée plénière est nécessairement au-delà de tout ce pourrait affecter ses convictions, ses vertus, son indépendance, son intégrité et son savoir.

Considérant que les deux décisions susmentionnées de l’assemblée plénière de la Cour de cassation ainsi que le texte de l’article 738 du Code de Procédure Civile est également applicable au Conseil Constitutionnel, étant donné qu’il représente l’organe judiciaire le plus élevé du pays. Le Conseil Constitutionnel est en effet un organe indépendant à caractère judiciaire qui est chargé de contrôler la constitutionnalité des lois ainsi que de tous textes ayant force de loi et d’examiner tout contentieux et recours résultant des élections présidentielles et parlementaires. Le Conseil Constitutionnel forme, avec l’intégralité de ses membres, une entité indissociable pour laquelle la Constitution n’a prévu aucune assemblée pouvant la remplacer par conséquent, aucun membre du Conseil Constitutionnel ne peut se récuser ou être récusé sur simple demande de l’un d’eux et son impartialité ne peut être remise en cause, d’autant plus que la loi sur la création du Conseil Constitutionnel et son règlement intérieur n’ont pas prévu la possibilité de renvoi ou de récusation en ce qui concerne son président ou ses membres et que les textes susmentionnés extraits du Code de Procédure Civile ne conviennent pas, voire sont contraires à la nature et aux conditions de création du Conseil Constitutionnel et sont également contraires à la nature et conditions de création de l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Considérant que la recevabilité de la demande de renvoi d’un membre du Conseil Constitutionnel ou sa récusation pourrait entraver les activités de Conseil ou paralyser son action surtout dans les cas où la demande de renvoi ou de récusation est présentée contre plus de deux membres, conformément à l’article 11 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel.

Considérant qu’il appert de cette réalité que le quorum requis pour la prise des décisions au sein du Conseil Constitutionnel ne peut être atteint en l’absence des membres ayant fait l’objet de la récusation, étant donné que les règles juridiques ne peuvent être aléatoires, d’autant plus que le Conseil Constitutionnel, tel que mentionné ci-dessus, forme une entité indissociable et qu’il est la seule autorité constitutionnelle chargée d’examiner les contentieux et les recours résultant des élections présidentielles et parlementaires. En effet, si le quorum n’est pas atteint en raison du renvoi ou de la récusation, la structure du Conseil Constitutionnel s’effondrerait et sa fonction serait interrompue.

Considérant qu’il appert de ce qui précède que le silence de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel et de son règlement intérieur en ce qui concerne le renvoi ou la récusation de ses membres ne constitue pas une faille de la législation à laquelle il convient de remédier à travers l’application des dispositions du Code de Procédure Civile relatives à ce sujet, mais il s’agit plutôt d’une position législative expresse qui comprend une disposition implicite ordonnant l’impossibilité de renvoi ou de récusation des membres du Conseil Constitutionnel, d’autant plus que la loi a prévu que la nomination des membres et l’exercice de leurs missions soient accompagnés de conditions éducationnelles et morales garantissant leur impartialité et objectivité et attestant leur équité et intégrité. C’est bien cette considération qui a poussé le législateur à créer le Conseil Constitutionnel en tant qu’organe unique muni des garanties nécessaires qui écartent toute suspicion et assurent une bonne performance, en dépit des doutes exprimés par les personnes lésées à cet égard.

Par ces motifs,

Le Conseil Constitutionnel décide :

1) De rejeter la demande de récusation présentée par M. Salim Jreyssati, membre du Conseil Constitutionnel.

2) De rejeter les motifs invoqués dans le cadre de la demande de récusation ou de renvoi.

Décision rendue le 15 juillet 2002.