Décision No. 7/2000



Décision No. 7/2000
Date : 8/12/2000

Recours No. : 7/2000
Le Requérant : Dr Pierre Daccache, candidat battu au siège maronite de la troisième circonscription du Mont Liban – Baabda, Aley, au cours des élections législatives de l’année 2000.
Le Défendeur : Me. Abdallah Farhat, député élu pour le siège susmentionné.
Objet : Recours en invalidation de la députation du Défendeur.

Le Conseil Constitutionnel,
Réuni en son siège en date du 8 décembre 2000, sous la présidence de son Président Amin Nassar, en la présence de son Vice-Président Moustapha El Auji, ainsi que de ses membres Houssein Hamdan, Faouzi Abou Mrad, Salim Jreyssati, Sami Younes, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani et Emile Bejjani.
Vu l’article 19 de la Constitution,
Et après lecture du libellé du recours ainsi que du rapport des membres rapporteurs,
Il appert que le Requérant a présenté un recours auprès du Conseil Constitutionnel en date du 26/09/2000, enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 7/2000, visant à contester la validité de l’élection du Défendeur et demandant de recevoir le recours en la forme et au fond, d’annuler le résultat, de le rectifier,d’annuler la députation du Défendeur et de le proclamer élu (le Requérant) pour le siège maronite de la troisième circonscription du Mont-Liban – Baabda, Aley étant donné qu’il a obtenu la majorité des voix qui le rend éligible.
Considérant que le Requérant allègue que le résultat de l’élection dont la validité est contestée est contraire à la réalité pour plusieurs motifs dont la falsification, l’annulation arbitraire d’un bureau de vote, contrairement aux procédures en vigueur et les graves irrégularités dont il a eu connaissance et qui ont entaché le décompte des voix dans certains bureaux de vote. Le Requérant allègue également qu’en date du 27 août 2000, soit le jour du scrutin, Nizar Makarem et Maher Gharzeddine, originaires de la localité de Ras El Metn, ont falsifié des cartes électorales et ont été arrêtés suite à l’enquête ; le Requérant a demandé de les entendre et de consulter les listes électorales de Ras El Metn ainsi que les procès-verbaux de l’enquête relative à ladite falsification dont a bénéficié le député dont la validité de l’élection est contestée. Le Requérant allègue qu’il a été surpris par la décision de la commission de décompte des voix ordonnant l’annulation du bureau de vote No. 462 de Al Azounieh pour des motifs juridiques sans toutefois les étayer. Le Requérant demande de revenir sur la décision d’annulation dudit bureau de vote et d’en comptabiliser les résultats, ce qui porterait l’écart entre le nombre des voix obtenues par chacun des deux candidats à 9 voix uniquement, en faveur du Défendeur. Par ailleurs, le Requérant déclare ne pas avoir été capable de visiter tous les bureaux de vote en vue de s’assurer de leurs résultats et de les collationner avec les résultats définitifs, en dépit des demandes officielles réitérées visant à recevoir des copies des listes électorales et des procès-verbaux du dépouillement. Il allègue également qu’il cherche à établir la véracité des erreurs commises dans les résultats officiels de certains bureaux de vote qu’il a en sa possession, tout en émettant des réserves quant la production de documents qui pourraient être disponibles ultérieurement et qui seraient susceptibles de prouver l’existence d’irrégularités similaires dans d’autres bureaux de vote. Selon lui, après le calcul des résultats des différents bureaux de vote : Choueifat 380, Al Kobbeh, Aley – Al Hay El Gharbi 292, Aley – Al Hay Al Wastani 282, Aley – Al Hay Al Kebli 287, Ain Dara 416, Kahalé 436 et Kobeih 191, l’écart entre les voix obtenues par les deux candidats s’élève en fait à 18 voix en sa faveur, à savoir en faveur du Requérant. Il poursuit que les irrégularités susmentionnées ne représentent qu’un simple exemple des irrégularités commises dans la méthode de décompte des voix dans certains bureaux de vote, a combien s’élèverait cet écart si le Ministère de l’intérieur lui avait permis de consulter les résultats des 481 bureaux de vote et des bureaux rattachés. Le Requérant a également appris que plusieurs bureaux de vote ont été le théâtre de plusieurs irrégularités et manipulations, en ce sens que de nombreux suffrages ont été émis de manière contraire à la loi et que l’on a assisté au vote des morts, des malades, des expatriés ainsi que des personnes se trouvant dans d’autres villes ou villages, comme il en a été le cas dans les bureaux de vote de Btater No. 296, 297, 298, 299, 300 où 66 électeurs morts, expatriés, invalides ou absents ont pu voter en faveur du député dont la députation est contestée et de la liste à laquelle il appartenait. Pour ces motifs, il convient d’annuler les cinq bureaux de vote susmentionnés étant donné qu’ils compromettent la volonté des votants et qu’ils sont susceptibles d’avoir une incidence certaine sur les résultats, or cette prérogative appartient au Conseil Constitutionnel. La différence serait ainsi suffisante pour annuler la députation du député dont l’élection est contestée et proclamer le Requérant élu pour la troisième circonscription du Mont-Liban, Baabda-Aley et ce, conformément à la jurisprudence constante ainsi qu’à l’article 31 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 et relative à la création du Conseil Constitutionnel.
Considérant que le Défendeur a allégué, dans ses conclusions responsives présentées en date du 14/10/2000 qu’il convient de rejeter le recours en la forme pour les motifs suivants :
- La procuration établie par le Requérant en faveur de son avocate, Me. Thérèse Daccache Aoun, est invalide.
- L’autorisation du bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth n’a pas été obtenue.
- Le recours n’a pas été dûment présenté au Président du Conseil Constitutionnel.
- La procuration de Me. Thérèse Daccache Aoun n’a pas été dûment enregistrée auprès de l’ordre des avocats.
- Les droits de timbre n’ont pas été payés. - L’article 445 du Code de Procédure Civile n’a pas été respecté.
Le Défendeur a allégué, au fond, qu’il ne connaissait pas les auteurs de la falsification, les dénommés Nizar Makarem et Maher Gharzeddine, qu’il a su par la suite que l’un d’eux détenait la carte électorale de son frère, ce qui signifie que ladite carte électorale était valide et non falsifiée, que l’objet de l’arrêt était une carte électorale et non deux et qu’il a été prouvé de manière certaine que ces derniers n’ont pas voté et que par conséquent, il est impossible que leur tentative ait eu une incidence négative ou positive sur l’élection. Il a également déclaré que le dénommé Tony Youssef Mouannes, un représentant de la même liste concurrente à laquelle appartenait, a été appréhendé puis arrêté suite à une tentative de vote dans la localité de Chabanieh muni d’une carte électorale qui ne lui appartenait pas. Le Défendeur a demandé de l’entendre ainsi que MM. Elias Mouannes de la localité de Chabanieh et Naji Al Zawki de la localité de Hammana et d’examiner les procès-verbaux d’investigation relatifs à cette affaire. Quelle que ce soit la décision du Conseil en ce qui concerne le bureau de vote de Al Azounieh, l’écart de 9 voix n’aura aucune incidence sur le résultat définitif étant donné que le Défendeur a obtenu 89 voix de plus que le Requérant, ce qui établit sans aucun doute la validité de l’élection ainsi que celle de son résultat. Les votes en faveur du Défendeur sont les suivants :
Bureau de vote No. 142/ Ghbayri Bir Hasan
Bureau de vote No. 20 Hadath Al Chamali
Bureau de vote No. 285/ Aley Al Hay Al Kebli
Bureau de vote No. 311/ Bdedoun
Bureau de vote No. 5 Tahwita Al Ghadir
Les commissions de décompte des voix n’ont par conséquent pas enregistré 11 votes en sa faveur qu’il convient donc de rajouter au total général des voix qu’il a obtenues et que ces mêmes commissions ont enregistré 8 voix en faveur du Requérant alors qu’ils ne les avait pas obtenues dans les bureaux de vote suivants :
Bureau de vote No. 289/ Aley Al Hay Al Gharbi
Bureau de vote No. 304/ Bhamdoun
Bureau de vote No. 321/ Bsous
Bureau de vote No. 344/ Baysour
Le Défendeur allègue qu’il convient de soustraire les 8 votes susmentionnés du nombre total des voix obtenues par le Requérant et que par conséquent, la différence s’élèverait au moins à 108 voix en faveur du Défendeur. Le Défendeur s’est réservé le droit de produire tous documents nouveaux attestant que les commissions de décompte des voix ont enregistré des votes supplémentaires en faveur du Requérant en comparaison avec le nombre de voix figurant dans les procès-verbaux. Le Défendeur a ajouté que les allégations du Requérant selon lesquelles il a été élu par des morts, des expatriés ou des personnes résidant dans d’autres villages libanais et ce, dans les bureaux de vote No. 296, 297, 298, 299 et 300 de Btater ne s’accompagnent d’aucune preuve, que le requérant n’a pas prouvé que lesdits votes étaient en faveur du député élu et que, subsidiairement, le nombre de voix mentionné n’a aucune incidence sur le résultat définitif étant donné qu’il s’élève à 66 voix uniquement et que la relation causale entre le succès du député élu et les allégations du Requérant n’existe pas et que subsidiairement, les procès-verbaux des bureaux de vote susmentionnés ne comprennent aucune contestation, ce qui représente une preuve écrite et officielle attestant la validité de l’élection dans ces bureaux de vote.
Toute preuve du contraire devrait se faire en vertu d’un document écrit et officiel sous peine de négligence. Il est facile de nommer des personnes de manière arbitraire, cependant ceci ne peut être invoqué pour inverser la charge de la preuve et le procès-verbal officiel non contesté est le seul qui peut être opposable. Plus subsidiairement encore et à supposer l’impossible, à savoir que les allégations du Requérant en ce qui concerne les bureaux de vote de Btater sont fondées et prouvées par des documents, l’écart entre les votes reste néanmoins en faveur du Défendeur, soit 42 voix. Que le Conseil considère ledit écart s’élevant à 108 voix ou à 42 voix en faveur du député élu, il convient toujours de rejeter le recours. Le Conseil Constitutionnel ne peut décider d’annuler l’élection qu’en cas d’impossibilité de rectifier les résultats, que l’écart entre les voix soit minime ou important. Par ailleurs, il appartient au Conseil Constitutionnel de recompter les voix sans que ceci n’influe sur le résultat proclamé et peut décider d’annuler les élections s’il appert que le député dont la députation est contestée a intentionnellement provoqué les irrégularités commises ou si ces dernières ont eu une incidence significative sur le résultat définitif, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. Les jurisprudences invoquées par le Requérant sont en harmonie avec celles invoquées par lui, à savoir par le Défendeur et à la lumière desquelles il convient de rejeter le recours. Le Défendeur a demandé de rejeter la demande de recours en la forme, sinon, au fond étant donné qu’il ne se base sur aucun motif juridique.
Considérant que le Requérant a soumis, en date du 25/10/2000 un mémoire dans lequel il allègue que le fait de présenter le recours au Conseil Constitutionnel au lieu de le présenter à sa présidence est une erreur matérielle qu’il demande de rectifier et qu’il a en effet rectifiée au début de son mémoire. Le Requérant allègue également que tous les motifs liés à la forme invoqués par le Défendeur ne sont pas à leur place juridique et que, en ce qui concerne le fond, certains villages, que tout le monde connaît, n’étaient soumis à aucun contrôle et tout le monde sait que lesdits villages ont voté en faveur de la liste à laquelle appartenait le Défendeur. Par ailleurs, en ce qui concerne les nombreuses personnes qui n’ont pas voté personnellement, il est largement reconnu que le vote ne peut être considéré valide si la signature de l’électeur ne figure pas sur la liste électorale sous peine d’annulation dudit vote. De même, la mention de noms de personnes absentes ou expatriées sur les listes électorales devrait également aboutir à l’annulation des résultats des bureaux de vote concernés, tant d’irrégularités dont plusieurs personnes ont été témoin. Il appert des dépositions de MM. Samir Bou Moujahed et Ragheb Merhi, de la localité de Btater, produite en annexe à son mémoire, que plusieurs personnes expatriées ou défuntes et dont les noms figurent sur les listes électorales ont voté. A cet égard, le Requérant a demandé d’entendre les témoins qu’il a nommés dans son mémoire et a demandé aux services de renseignements de la Direction Générale de la Sûreté Générale de se renseigner sur ces personnes expatriées. Par conséquent, le Requérant allègue qu’il convient de ne pas compter les urnes de Btater dans le cadre de l’opération de décompte des voix vu les irrégularités qui ont entachés lesdits bureaux de votes, a demandé de rejeter toutes les allégations du Défendeur et a réitéré ses précédentes allégations et requêtes.
Considérant que le Défendeur a soumis, en date du 09/11/2000 un mémoire visant à affirmer que les dépositions produites en annexe, établissent que les expatriés, les malades et les personnes non résidant dans la localité de Btater qui ont émis leur suffrage, selon les allégations du Requérant, ont personnellement et effectivement participé aux élections du 27/08/2000. Les signatures figurant sur lesdites attestations sont certifiées par le Mukhtar de Btater, M. Afif Bou Moujahed. De plus, le Défendeur a allégué que de nombreuses personnes mentionnées par le Requérant comme ayant voté alors qu’elles étaient en voyage ou décédées n’ont pas émis leur suffrage et que, en ce qui concerne la déposition signée par les dénommés Samir Maarouf Bou Moujahed et Ragheb Abdallah Merhi, elle a été révoquée par le premier en vertu de la révocation produite en annexe. Le Défendeur déclare également que les actes du Requérant, à savoir, l’énumération des noms et la production d’un faux-témoignage signé par des témoins ignorant le contenu du document qu’ils ont signé ne peuvent être considérés comme étant les preuves requises, qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une enquête étant donné que le juge électoral est compétent pour examiner la validité de l’élection et non celle des procédures juridiques, que la jurisprudence constitutionnelle considère que, lorsque les motifs allégués n’influent pas sur le résultat de l’élection, il convient de rejeter le recours sans procéder à aucune enquête, qu’après avoir établi la nullité des infractions alléguées et suite à la détermination de l’écart entre les voix obtenues par le Requérant et celles obtenues par le Défendeur, à 108 voix en la faveur de ce dernier, il convient également de rejeter le recours sans besoin de procéder à aucune enquête, que le Conseil Constitutionnel n’examine que les graves infractions qui ont une incidence significative sur les résultats des élections, sachant que les enquêtes ne peuvent être menées lorsque le recours ne se base pas sur des preuves sérieuses et que les témoins mentionnés par le Requérant sont des adversaires politiques de tous les membres de la liste à laquelle appartient le Défendeur qui sont prêts à alléguer ce qui leur a été demandé. Le Défendeur a également allégué qu’en cas d’enquête, il est nécessaire d’entendre les témoins qu’il a lui-même mentionnés dans son mémoire et a demandé de rejeter le recours en la forme, sinon, au fond étant donné qu’il ne se base sur aucun motif matériel ou juridique.
Considérant que le Requérant a soumis un second mémoire en date du 28/11/2000, accompagné de documents produits en annexes et a réitéré ses précédentes allégations et requêtes.
Considérant que le Défendeur a soumis un second mémoire en date du 01/12/2000 accompagné de documents produits en annexes et a réitéré ses précédentes allégations et requêtes
Considérant que le Défendeur a soumis une annexe à son second mémoire en date du 04/12/2000, accompagné de deux documents produits en annexes dans lesquels il a réitéré ses précédentes allégations et requêtes.
Considérant que les rapporteurs ont rendu, en date du 27/09/2000, une décision ordonnant de demander au Ministère de l’intérieur de fournir au Conseil Constitutionnel les documents relatifs aux élections législatives de la troisième circonscription du Mont-Liban, Baabda – Aley et de demander au Parquet Général de cassation de charger le Parquet Général d’appel du Mont-Liban de déposer auprès du Conseil Constitutionnel les procès-verbaux de l’interrogatoire de MM. Nizar Makarem et Maher Gharzeddine, de la localité de Ras El Metn, en ce qui concerne la falsification des cartes électorales ainsi que les résultats de cette enquête.
Il appert que les rapporteurs ont décidé, en date du 30/11/2000, de convoquer le Requérant et le Défendeur à une audience en vue de les interroger sur certains points figurant au recours ainsi que sur les circonstances de ce dernier. L’audience a passé en application de la décision susmentionnée.
Sur base de ce qui précède,
Premièrement : En la forme
1- Considérant que le Requérant, Dr Pierre Daccache, candidat battu à un des sièges maronites de la troisième circonscription du Mont Liban – Baabda, Aley, au cours des élections législatives de l’année 2000, a présenté un recours auprès du Conseil Constitutionnel en date du 26/09/2000, enregistré au greffe du Conseil Constitutionnel sub No. 7/2000 et visant à contester la validité de l’élection de l’avocat, Dr Abdallah Farhat, proclamé élu pour l’un des sièges susmentionnés au cours des élections dans la même circonscription.
Considérant que les élections de la troisième circonscription ont eu lieu le 27/08/2000 et que les résultats ont été proclamés le 28/08/2000, le recours a par conséquent été intenté dans le délai prévu à l’article 24 de la loi No. 250/93 amendée en vertu de la loi No. 150/99 ainsi qu’à l’article 46 de la loi No. 243/2000.
Le présent recours est par conséquent intenté dans le délai légal et remplit toutes les conditions légales, il est donc recevable en la forme.
2- Considérant que la Défendeur allègue qu’il convient de rejeter le recours en la forme pour les motifs suivants :
1. La procuration établie par le Requérant en faveur de son avocate qui a intenté le recours, est invalide.
2. L’autorisation préalable du bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth n’a pas été obtenue.
3. Le recours n’a pas été dûment présenté :
a- Le recours a été présenté au Conseil Constitutionnel et non à la Présidence du Conseil.
b- Le Défendeur a été considéré comme une tierce partie dont la notification est requise.
4. La procuration n’a pas été dûment enregistrée auprès de l’ordre des avocats.
5. Les droits de timbre n’ont pas été payés.
6. L’article 445 du Code de Procédure Civile n’a pas été respecté.
Le premier motif :
Considérant que, en vertu de l’article 46 du règlement intérieur du Conseil Constitutionnel, tout recours en invalidation de la députation d’un député élu présenté par un candidat battu dans la même circonscription électorale doit être personnellement signé par ce dernier ou par un avocat à la Cour d’Appel, titulaire d’une procuration expresse l’autorisant à intenter le recours.
Considérant qu’il appert que la procuration émise par le Requérant, le candidat battu au siège maronite de la troisième circonscription du Mont-Liban, Baabda – Aley, en faveur de son mandataire comprend la mention suivante :
« Pour agir pour mon compte et en mon nom aux fins de la présentation du recours en invalidation de la députation… et me représenter de manière absolue à cet égard ».
Considérant que l’objet de la procuration susmentionnée doit être suffisamment déterminé, tel que prévu à l’article 773 du Code des Obligations et des Contrats.
Considérant que la loi n’a pas prévu la nécessité de mentionner, dans la procuration, le nom du député dont la députation est contestée.
Considérant que la procuration dont la validité est contestée, même si elle ne mentionne pas le nom du député dont la députation est contestée, confère pleins pouvoirs au mandataire pour présenter, au nom de son mandant, le candidat battu, un recours en invalidation de la députation de tout député élu pour un siège maronite dans la troisième circonscription du Mont-Liban Baabda – Aley, comme il en est le cas en ce qui concerne le Défendeur.
Considérant que le premier motif invoqué visant à rejeter le recours en la forme n’est pas à sa place juridique, il convient par conséquent de le rejeter.
Le deuxième motif :
Considérant que l’obligation prévue à l’article 94 de la loi réglementant la profession d’avocat, selon laquelle l’avocat est tenu d’obtenir l’autorisation du bâtonnier pour accepter une procuration dont l’objet est d’intenter une action en justice contre un collègue est prévue dans une loi spéciale qui détermine les droits et obligations des avocats, en vue de préserver une certaine discipline dans les rangs des avocats. La loi susmentionnée a également prévu, à l’article 99, les sanctions dont serait passible l’avocat en cas de non respect des obligations professionnelles, tel que prévu à la loi sur la réglementation de la profession d’avocat. Ladite sanction est personnelle, propre à l’avocat ayant commis l’infraction, de nature disciplinaire et ne porte en aucun cas atteinte à l’action mandatée audit avocat, ni aux procédures légales engagées par lui.
Considérant que le deuxième motif invoqué visant à rejeter le recours en la forme n’est pas à sa place juridique, il convient par conséquent de le rejeter.
Le troisième motif :
Considérant que l’objectif visé par le législateur à l’article 24 de la loi relative à la création du Conseil Constitutionnel et à l’article 46 de son règlement intérieur est de permettre au Conseil de saisir le recours et de l’enregistrer au greffe en vue de compter le délai de 30 jours que le recours soit présenté à la Présidence du Conseil ou au Conseil lui-même, conformément à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel à cet égard.
Considérant qu’il appert de l’assignation du recours que M. Abdallah Farhat figure au nombre des parties à notifier et est également le seul dont la députation est contestée.
Considérant que le contenu de l’assignation du recours ne devrait susciter aucun doute en ce qui concerne la qualité du Défendeur.
Considérant que le troisième motif invoqué visant à rejeter le recours en la forme n’est pas à sa place juridique, il convient par conséquent de le rejeter.
Le quatrième motif :
Considérant que l’absence d’enregistrement par l’avocat de sa procuration auprès de l’ordre des avocats avant de l’utiliser ne constitue pas une condition de recevabilité de l’action. Par ailleurs, il est inconcevable que le mandant soit tenu responsable de la négligence de son mandataire en ce qui concerne le défaut d’enregistrement de sa procuration auprès de l’ordre des avocats avant de l’utiliser.
Considérant que le quatrième motif invoqué visant à rejeter le recours en la forme n’est dans tous les cas, pas à sa place juridique, il convient par conséquent de le rejeter.
Le cinquième motif :
Considérant que, conformément à l’article 6 de la loi sur les droits des timbres fiscaux, les actes et lettres expressément prévus aux tableaux annexés à ladite loi ainsi qu’aux lois spéciales seront exemptés desdits droits.
Considérant que, conformément à l’article 16 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel, tous recours, assignations et documents y relatifs présentés auprès du Conseil Constitutionnel sont exemptés de tous droits, sachant que toute infraction des dispositions de la loi sur les droits des timbres fiscaux est passible d’une sanction financière, administrative ou pénale et ne devrait pas porter atteinte à la validité des actes et lettres (articles 66 et suivants de la loi susmentionnée).
Considérant que le cinquième motif invoqué visant à rejeter le recours en la forme n’est dans tous les cas, pas à sa place juridique, il convient par conséquent de le rejeter.
Le sixième motif :
Considérant que, conformément à l’article 25 de la loi sur la création du Conseil Constitutionnel, tout recours en invalidation d’une députation en vertu d’une assignation enregistrée au greffe du Conseil doit mentionner le nom du Requérant, sa qualité, sa circonscription électorale, le nom du député dont l’élection est contestée ainsi que les motifs visant à annuler l’élection.
Considérant qu’il appert que l’assignation du recours mentionne de manière expresse que le député dont l’élection est contestée est Me Abdallah Farhat, le candidat élu pour un des sièges maronites de la troisième circonscription du Mont-Liban, Baabda-Aley.
Considérant qu’il est admis par la loi (articles 6 et 59 du Code de Procédure Civile) que toute procédure ne peut être annulée pour un vice de forme sauf si la partie adverse qui invoque l’annulation prouve qu’elle a été lésée du fait du vice mentionné.
Considérant que le Défendeur a répondu au recours de manière détaillée et dans le délai légal sans cependant prouver qu’il a été lésé du fait du vice de forme qu’il invoque.
Considérant que le sixième motif invoqué visant à rejeter le recours en la forme n’est pas à sa place juridique, il convient par conséquent de le rejeter.
Considérant que le présent recours a été intenté dans le délai légal et remplit toutes les conditions de forme, il convient de le recevoir en la forme.
Deuxièmement : Au fond
Considérant que le Requérant demande d’annuler les résultats de l’élection, de les rectifier, d’annuler la députation du Défendeur et de le proclamer élu (Requérant) pour le siège maronite de la troisième circonscription du Mont-Liban – Baabda, Aley étant donné qu’il a obtenu la majorité des voix qui le rend éligible.
Considérant que le Défendeur demande de rejeter le recours pour invalidité des allégations du Requérant et pour absence de preuves y relatives et de motifs juridiques.
Considérant que le Requérant allègue que les résultats sont contraires à la réalité pour plusieurs motifs dont la falsification, l’annulation arbitraire du bureau de vote de Al Azounieh, les erreurs commises dans le décompte des voix dans certains bureaux de vote dont il a pu examiner les résultats, le vote des malades, des morts, des expatriés ou des personnes résidant dans d’autres villes ou villages comme il en a été le cas, par exemple, dans les bureaux de vote de Btater No. 296, 297, 298, 299 et 300.
Considérant que le Requérant allègue qu’il convient d’annuler les résultats des bureaux de vote entachés d’irrégularités graves telles que le vote des morts ou des expatriés et qu’il appartient au Conseil Constitutionnel de procéder au décompte des voix et de rectifier ce qui est nécessaire.
Considérant qu’il appert du procès-verbal de l’interrogatoire du Requérant que celui-ci a répondu à la question relative aux irrégularités dont il se plaint, que dans certains bureaux de vote, notamment dans les localités de Btater, Btekhnieh, Ras El Metn, Khraybeh et Aley, le vote se déroulait en dehors de l’isoloir, que l’Emir Talal Arslane et M. Marwan Abi Fadel qui étaient chargés de désigner les représentants de la liste à laquelle il appartient dans les localités susmentionnées n’ont été capables de rien faire à cet égard surtout lors du dépouillement des voix, qu’il a su que certains électeurs ont voté deux fois et qu’il n’a présenté aucun recours administratif vu qu’il ignorait l’absence de représentants de la liste à laquelle il appartenait dans les bureaux de vote susmentionnés. Selon ses propos, tout ceci revient au fait que la région est isolée, les gens avaient peur, sachant cependant qu’aucun électeur n’a été agressé et que deux personnes envoyées par l’Emir Talal Arslane, le premier est dénommé Abou Majed et le second appartient à la famille Al Merhi, lui ont remis l’attestation qu’il a produite après que le premier recours soit intenté prouvant l’existence de certaines irrégularités dans les bureaux de vote mentionnés ci-dessus, à savoir, le vote des malades, des morts et des expatriés. Le Requérant ignore si le second, qui appartient à la famille Al Merhi, était un représentant fixe ou mobile de la liste à laquelle le Requérant appartenait. Le Requérant a également ajouté qu’il n’a pas de réponse en ce qui concerne l’allégation que les signatures ou empreintes figurant sur les listes électorales sont invalides en ce qui concerne les individus qu’il a désignés dans les documents qu’il a produits et que le décompte des voix mentionné dans son deuxième mémoire est le fruit résultat des recherches effectuées par Kamal Feghali en ce qui concerne les pots-de-vin payés à M. Abou Majed, le Requérant a allégué qu’il lui a donné deux millions de livres libanaises en tant qu’aide scolaire à son enfant, à l’instar de tant autres.
Considérant que, même si le Conseil Constitutionnel jouit, en matière de recours parlementaires, des pouvoirs du juge d’instruction et même si les procédures adoptées sont des procédures statistiques qui lui confèrent de larges pouvoirs en matière d’enquête, ceci n’est cependant pas contraire à la règle générale selon laquelle il incombe au Requérant, en principe, de prouver ses allégations ou d’apporter une preuve ou du moins, un commencement de preuve ou de prouver qu’il a présenté une contestation au président du bureau de vote ou à la commission de décompte des voix en ce qui concerne les irrégularités qu’il invoque, tel qu’il est admis par la jurisprudence à cet égard.
Considérant que sur base de ce qui précède, le Conseil Constitutionnel ne peut se baser sur les allégations et propos des parties au litige si ceux-ci ne se distinguent pas par un certain degré de précision et ne se caractérisent pas par la nature de l’accusation généralisée sans que ceci ne soit prouvé par une preuve ou un commencement de preuve attestant lesdits propos et allégations.
Considérant qu’il est clair que le Conseil Constitutionnel ne peut s’arrêter aux allégations non étayées par des preuves dans le cadre de l’interrogatoire susmentionné. Ce point sera étudié ultérieurement ci-dessous.
Considérant qu’il appert du libellé de la plainte pénale auquel le Requérant se réfère, que ladite plainte était relative, tel qu’il ressort également de l’interrogatoire, à une seule carte électorale qui a mis un terme à une tentative de vote.
Considérant que le Conseil Constitutionnel ne peut s’arrêter à l’attestation produite par le Requérant en annexe à son mémoire daté du 25/10/2000 parce que ledit document était signé par un représentant de la liste adverse à laquelle le Défendeur appartenait, tel qu’il ressort des allégations du Requérant lors de son interrogatoire. Par ailleurs, la jurisprudence judiciaire considère, par principe, les dépositions écrites préalablement produites avec prudence et doute étant donné que la partie qui les produit ne fera aucune allégation contraire dans le cas où elle est appelée à témoigner, ce qui jette des doutes en avance sur ses allégations. Il convient de noter que, environ 30% des noms figurant à ladite déposition ainsi qu’à l’assignation du recours n’ont pas effectivement voté.
Considérant qu’il est admis par la jurisprudence que lorsque les irrégularités qui entachent les élections sont flagrantes et empêchent par conséquent le Conseil Constitutionnel d’exercer son contrôle sur la sincérité des élections, ledit Conseil ne peut se dérober à l’annulation des résultats des élections dans lesquelles lesdites irrégularités ont été commises.
Considérant que le Conseil considère que les graves irrégularités commises dans le cadre des listes et des procès-verbaux électoraux sont celles qui ne permettent au Conseil Constitutionnel d’exercer son contrôle sur la sincérité des élections, tel qu’il en est le cas en cas de perte desdits procès-verbaux ou listes électorales, ce qui entraîne la nécessité d’annuler les résultats des élections dans les bureaux de vote concernés :
- Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Les Grandes Décisions du Conseil Constitutionnel – 1995, 8e édition.
Considérant que s’il est possible de déterminer le nombre de suffrages viciés, il serait par conséquent possible de considérer nuls ces suffrages uniquement.
- Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Op. cit. 16 – 6.
- Philippe DUFRESNOY, Guide du Contentieux Electoral, 1991, 8e édition.
0641- Votes sous un faux nom : sont nuls les suffrages émis par les individus non inscrits votant sous le nom d’électeurs.
- J.P. Camby, Le Conseil Constitutionnel, juge électoral- 1996, No. 167, p.123.
Considérant qu’il est admis par la jurisprudence que, s’il est possible de connaître l’identité du candidat en faveur duquel les suffrages ont été émis, il serait possible de les déduire du nombre total des suffrages que le vainqueur des élections, détenteur de la majorité aurait eus.
- Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, Op. cit. 26, p. 357 – 20.
Considérant que conformément à la règle admise selon laquelle la fraude corrompt tout, fraus omnia corrumpit, l’effet de cette règle se limite à la chose qui a constitué l’objet de cette fraude. Par conséquent, en cas de falsification dans le vote de certains électeurs et s’il est possible de déterminer le nombre de leurs suffrages ou de les compter dans un bureau de vote ou dans des bureaux de votes bien définis, la nullité s’applique exclusivement sur ces suffrages. Dans le cas contraire, le Conseil Constitutionnel aura annulé les suffrages d’autres électeurs qui avaient émis des suffrages valides et qui avaient exercé leur droit de démocratie que le Conseil Constitutionnel aura remplacé de manière négative en tant que corps électoral, ce qui est prohibé par la loi :
Jean GICQUEL, Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, 16e édition, p. 628.
Considérant que, à la lumière de ces principes et en se basant sur l’enquête précise et détaillée relative à la présente affaire et qui vise à examiner tous les procès-verbaux électoraux, les documents liés aux élections, les noms des candidats ainsi que les voix obtenues par chacun d’entre eux en vue de d’établir si ceux-ci sont dûment constitués ou s’ils sont entachés d’un vice flagrant, après avoir reçu les attestations officielles de la Direction Générale du Statut Personnel et de la Direction Générale de la Sûreté Générale, après avoir étudié les résultats des enquêtes menées par la Direction Générale des Forces de Sécurité Intérieures en vue d’établir s’il y a eu effectivement des votes de morts ou d’expatriés, vu l’écart relativement faible entre les voix obtenues par le Requérant d’un côté et le Défendeur d’un autre, suite à un examen approfondi des documents susmentionnés en vue de déterminer le degré de conformité des procès-verbaux aux documents et rapports des commissions de décompte des voix, suite à la rectification des erreurs matérielles et de calcul commises dans les résultats des bureaux de vote suivants : Tahwita Al Ghadir /No. 5, Ain Dara No. 416, Aley Al Hay Al Kebli No. 287, Bdedoun No. 311, Bsous No. 321, Ghbayri No. 142, suite au recompte des suffrages, au contrôle des résultats figurant au procès-verbal de la commission de décompte des voix, au collationnement des résultats avec ceux figurant aux rapports des commissions locales de décompte des voix, à la déduction d’une seule voix attribuée à une personne défunte et de 12 voix attribuées à des expatriés (conformément aux certificats issus des autorités administratives susmentionnées) du total des voix obtenues par le député dont la députation est contestée, sans compter les résultats des bureaux de vote dont les enveloppes ne contenaient pas de listes électorales ou de procès-verbaux ou de bulletins de dépouillement ou contenaient des bulletins de dépouillement ou des procès-verbaux blancs ou non signés vu la nullité de leurs résultats et qui sont : Hammana No. 88, Al Abadieh No. 12, Al Kossaybeh No. 200, Haret Hrek Hay Karanouh No. 245, Al Hadath Al Kebli No. 59, Chiah Bir Abed No. 110, Al Hadath Al Chemali No. 22, Haret Hrek Hay Karanouh No. 250, Aley Al Hay Al Gharbi No. 291, Al Azounieh No. 462, il appert que le Requérant a obtenu un total de 1 094 voix alors que le Défendeur a obtenu un total de 699, ce qui signifie que le Défendeur, après déduction des suffrages nuls, a toujours 400 voix de plus par rapport au Requérant.
Considérant que la demande du Requérant, sur base de ce qui précède, vise à annuler le résultat de l’élection, à annuler la députation du Défendeur et à proclamer le Requérant élu pour le siège maronite de la troisième circonscription du Mont-Liban – Baabda, Aley étant donné qu’il a obtenu la majorité des voix qui le rend éligible, n’est pas à sa place juridique et il convient par conséquent de la rejeter.
Par ces motifs,
Et après délibération,
Le Conseil Constitutionnel décide :
Premièrement : En la forme
De recevoir le recours en la forme étant donné qu’il a été intenté dans le délai légal et qu’il remplit toutes les conditions de forme.
Deuxièmement : Au Fond
1- De rejeter le recours présenté par Me. Pierre Daccache, candidat battu à un des sièges maronites de la troisième circonscription du Mont-Liban – Baabda, Aley, au cours des élections législatives de l’année 2000.
2- De notifier le Président de la Chambre des députés, le Ministère de l’intérieur ainsi que les parties concernées de la présente décision.
3- De publier la présente décision au Journal Officiel.
Décision rendue le 8 décembre 2000.